Plastique jetable

Le prix résiste aux bonnes intentions

Malgré l’omniprésence du plastique dans les manchettes depuis quelques mois, les principaux fabricants et distributeurs de plastique québécois ne ressentent pas encore vraiment de vague de fond dans leur industrie. Un obstacle important continue de résister aux bonnes intentions : le prix.

Interdiction des sacs en plastique à Montréal, chaînes de restaurants qui cessent la distribution de pailles en plastique, engagement du gouvernement fédéral à éliminer tout le plastique à usage unique de ses installations… Les exemples de volonté de se débarrasser du plastique ne manquent pas.

« L’intention est là, mais il y a un coût associé à ça », observe Martin Boily, vice-président aux ventes et marketing d’Emballages Carrousel, plus grande entreprise indépendante au Canada dans le domaine de la distribution de solutions d’emballage.

« Et le coût, c’est quatre ou cinq fois plus cher. C’est comme la voiture électrique, tout le monde en voudrait une, mais ce n’est pas tout le monde qui a 100 000 $ pour une Tesla. »

— Martin Boily, vice-président aux ventes et marketing d’Emballages Carrousel

Cela incite nombre de clients à y aller d’une transformation progressive plutôt que subite, observe-t-il. « D’abord les pailles, puis les ustensiles, etc. »

Problème de recyclage

Il faut dire que la grande majorité des produits en plastique sont déjà recyclables, à l’exception notable du polystyrène, le fameux plastique « numéro 6 ».

« Tout ce que nous fabriquons est recyclable, rappelle Jason Raven, directeur national des ventes de Polykar. C’est aux municipalités de s’organiser pour pouvoir le faire proprement. »

Selon les dernières données publiées par Recyc-Québec, à peine 18 % du plastique recyclable déposé dans les bacs résidentiels en 2015 avait effectivement été acheminé à des recycleurs. Le plastique était au deuxième rang des matières les plus présentes dans les bacs de recyclage, derrière les papiers et cartons, mais devant le verre et le métal, respectivement.

« Tout est recyclable, mais presque rien n’est recyclé. »

— Sylvain Allard, professeur spécialisé dans les emballages à l’École de design de l’Université du Québec à Montréal

« La plupart des plastiques qu’on utilise sont neufs, poursuit M. Allard. C’est très rare, le plastique recyclé dans les emballages. »

Le Canada s’est engagé lors du sommet des ministres de l’Environnement du G7, il y a quelques jours à Halifax, à recycler et réutiliser 55 % des emballages de plastique en 2030.

Sur le plan de la recherche, la mauvaise presse faite au plastique a un impact, estime Abdellah Ajji, professeur au département de génie chimique de Polytechnique Montréal.

« Ça a commencé il y a plusieurs années, mais ça devient de plus en plus important. »

Les travaux se concentrent sur deux axes : réduire le volume de matériaux utilisés dans les emballages et réduire le nombre de plastiques différents dans le même emballage. Certains emballages sont en effet constitués, explique-t-il, de plusieurs couches de plastique ayant chacune des propriétés différentes (résistance au froid, étanchéité, blocage des rayons UV, etc.). Cela rend leur recyclage plus difficile.

Impact incertain

Comme tous les autres fabricants québécois de sacs, Marc Robitaille, propriétaire d’Omniplast, doit s’adapter au règlement montréalais qui a fait passer en début d’année l’épaisseur des sacs de plastique de 17 à 50 microns.

Ces sacs sont fabriqués avec le même équipement et sont évidemment vendus plus cher, environ le triple. Est-ce à dire que ses revenus augmenteront ?

« C’est certain que nos produits se vendent un peu plus cher, mais il reste à voir si on va en vendre autant », modère-t-il.

Il faudra attendre que le règlement soit en vigueur depuis environ 18 mois, croit-il, pour que l’impact sur les finances des producteurs s’éclaircisse. Entre autres parce que les commerçants ont dû passer de grosses commandes au début pour garnir leurs stocks.

« À ce stade-ci, c’est trop tôt pour savoir s’il va y avoir un impact positif ou négatif sur les revenus. Mais ça cause énormément d’angoisse et de confusion, notamment à cause des différents règlements mis en place par différentes villes. Il y a presque autant de règlements que de villes. »

Forte demande pour les pailles de papier

Il existe néanmoins un produit de plastique pour lequel l’impact semble plus fort : les pailles. Au cours des derniers mois, les pailles de plastique ont été prises pour cible un peu partout, ce qui a incité certains commerçants, notamment les chaînes St-Hubert et A & W, à les éliminer de leurs réseaux.

Du coup, la demande pour les pailles de papier a explosé.

« En 20 ans dans l’entreprise, je n’ai jamais vu une demande progresser aussi rapidement », témoigne Steve Paquin, vice-président et directeur général de Lapaco, qui fabrique des produits de papier.

« Ça a commencé dans l’Ouest et en peu de temps, on se faisait demander ça. Au Canada, ça a commencé par la Colombie-Britannique et en moins de deux semaines, c’était rendu à Toronto et Montréal. »

Incapable de répondre à la demande en s’approvisionnant en Asie, Lapaco et sa société mère américaine, Hoffmaster, ont acheté il y a tout juste deux mois une usine américaine qui fabriquait des pailles de papier depuis longtemps.

« On est déjà en train d’investir massivement. D’ici la fin de l’année, la capacité va avoir été multipliée par quatre. La demande est phénoménale. »

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