CHRONIQUE

Un enfant est mort (et c’est pas de vos affaires)

Un policier au volant d’une voiture banalisée roule à 122 km/h dans une zone de 50. Bang, il percute une Kia. Même s’il freine, il percute pourtant l’auto à 90 km/h.

Un enfant de 5 ans est assis à l’arrière de la Kia. Il succombera quelques jours plus tard à ses blessures, à l’hôpital.

C’était à Longueuil, en février dernier.

Et c’était sous la plume de Gabrielle Duchaine, hier dans La Presse : le policier qui circulait à tombeau ouvert sur le boulevard Gaétan-Boucher ne sera pas accusé au criminel. Gabrielle avait une entrevue à fendre le cœur avec les parents, qui ne comprennent pas.

Ils ne comprennent pas pourquoi leur fils est mort comme si c’était la faute à pas de chance. On ne leur dit rien.

Des fois, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) explique publiquement – ou aux familles des victimes – pourquoi il a choisi de ne pas déposer d’accusations, au terme d’une enquête policière. Des fois. C’est l’exception.

Dans le cas du fils de Stephanie Thorne et Mike Belance, le DPCP n’allait rien dire à ces parents éplorés. Jusqu’à ce que Duchaine mette son nez dans cette fable sur l’opacité. Jusqu’à ce que ça rebondisse à l’Assemblée nationale. Là, quelqu’un au DPCP a trouvé le bouton pour allumer la lumière. On verra avec quelle intensité.

Eh bien, on ne sait pas. Le DPCP dit simplement que l’enquête de la police de Montréal, une enquête indépendante, a été « rigoureuse » et que la décision de ne pas accuser le policier a été prise par la procureure au dossier, en collaboration avec sa hiérarchie.

Traduction : un enfant est mort, et ce n’est pas de vos affaires. Les parents ne sauront pas pourquoi, comment. Le public non plus. Ça, c’etait jusqu’à ce que La Presse s’en mêle hier matin, ce qui a forcé un peu de transparence. L’indignité s’en trouve à peine réduite.

Je sais qu’il y a des forces au sein du DPCP qui veulent que ça change, qui poussent pour de nouvelles méthodes, plus ouvertes, plus transparentes. Mais la moindre des choses, quand il y a mort d’homme, c’est d’expliquer à visière levée le raisonnement qui justifie la décision de ne pas porter d’accusation. On ne parle pas d’un vol à l’étalage chez Walmart, ici.

Votre enfant est tué par un type qui roule à 120 km/h sur un boulevard où la vitesse est limitée à 50 km/h. Le policier ne répondait pas à un appel d’urgence. Ces 70 km/h au-delà de la vitesse normale n’étaient pas justifiés par une vie humaine en danger, quelque part dans le secteur.

Non : le policier se rendait à un endroit indéterminé pour relever une équipe de filature ! Il n’était pas lui-même en filature : il se rendait relever des collègues.

Pourquoi 120 km/h sur le boulevard Gaétan-Boucher, alors ?

On ne sait pas.

Tout ce que daigne dire le DPCP, c’est que l’enquête de la police de Montréal a été « rigoureuse ». Ah oui ? Plus rigoureuse que l’enquête de la Sûreté du Québec sur ses collègues de Montréal impliqués dans la mort de Fredy Villanueva, j’espère…

C’est cinglé, à sa face même. J’ai déjà couvert un cas en mai 2000 où un suspect a tiré sur un policier et a pris la fuite. Dans la poursuite qui a suivi, les voitures de police aux trousses du tireur ont reçu l’ordre de cesser la poursuite. Pourquoi ? Parce que la vitesse de la poursuite était trop élevée, trop dangereuse pour autrui. Et on parle ici d’un type qui venait d’abattre un policier !

Et là, un policier qui s’en va relever des collègues en filature roule à 120 km/h, il tue un enfant et… et… et rien ?

Une femme a eu un procès pour négligence criminelle ayant causé la mort, il y a quelques mois. Elle avait stoppé son véhicule pour secourir une famille de canards sur la chaussée. C’était sur l’autoroute 30, dans une courbe. Un homme circulant à moto n’a pas eu le temps de freiner ou d’éviter le véhicule arrêté : bang. Il est mort. Sa fille, passagère, aussi.

Je sais qu’elle n’a pas voulu tuer ce père et sa fille. Je sais que ce geste partait d’un sentiment honorable, sauver des canards. Mais j’étais parfaitement d’accord pour qu’on lui fasse un procès : la société ne peut pas juste dire : « Pas de problème, t’as tué deux personnes, mais comme tu voulais sauver des canards, on va te laisser aller ! »

Non, désolé, la justice des hommes doit trancher. Et c’est ce qui est arrivé : il y a eu procès, il y a eu verdict de culpabilité.

Pourquoi pas la même chose avec ce flic ?

Je sais bien qu’il n’a pas voulu tuer un enfant, en se levant ce matin-là. Mais il l’a fait. Et si rouler à 120 km/h dans une zone urbaine pour aller bêtement relever des collègues qui sont déjà aux trousses de suspects n’est pas quelque chose comme de la négligence criminelle, je me demande ce qu’est la négligence criminelle.

Peut-être qu’il y a des éléments d’enquête qui me permettraient de mieux comprendre. Mais justement, tant qu’on les cache, ces éléments d’enquête...

Avec ce que l’on sait, c’est rigoureusement clair dans mon esprit : un cowboy de la route a tué un enfant et s’en est tiré parce qu’il porte un badge de police.

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