Chronique

Pansexuelle ? Non, pantélévisuelle

Dans la vraie vie, mes proches et mon bien-aimé vous le diront, je suis l’incarnation même de la fidélité. Plus fidèle que moi, tu rentres au couvent. En fiction, par contre, surtout en fiction télé, je me venge, je m’éclate, je me libère. Je suis une infidèle, une échangiste, l’équivalent télé d’une pansexuelle, la pansexualité étant l’attirance pour les personnes de tout sexe et de tout genre.

En fiction télé, je suis attirée par tous les genres, mais jamais pour très longtemps. Je peux subitement m’enflammer pour une série et me gaver de ses 12 épisodes en quelques jours. Je peux aussi me lasser en cours de route et passer à un autre appel, une autre chaîne, une autre série, sans raison autre que parce que ça me chante ou – comme le répliquait Bill Clinton au type qui lui demandait pourquoi il s’était envoyé en l’air avec Monica Lewinsky – because I can, parce que je le peux.

N’étant pas, comme mon camarade Hugo Dumas, la chroniqueuse télé attitrée, j’ai tous les droits et toutes les libertés.

Or, jusqu’à maintenant, la télé québécoise m’a donné de nombreuses raisons de la tromper avec sa contrepartie américaine. Pas parce que notre télé est mauvaise mais parce que souvent elle ne fait pas le poids, n’ayant pas le dixième des moyens que déploient les Américains, ceux de Netflix comme ceux de HBO ou d’Amazon.

Quel producteur chez nous peut se permettre d’investir 1 million par épisode dans une série qui ne dure pas six heures, comme celle sur Jean Béliveau, mais dix heures multipliées par quatre ou cinq saisons, comme ce sera le cas pour The Crown, la série sur la reine Élisabeth ? Quel producteur québécois a ces moyens-là ? Aucun, évidemment.

Jusqu’à tout récemment, je ne jurais que par Netflix, où je peux assouvir l’appétit de mon esprit baladeur et pantélévisuel. Mais je constate depuis quelque temps que Netflix ne se renouvelle pas assez vite à mon goût. Et si, du côté du documentaire, il y a toujours des découvertes intéressantes à faire, du côté du cinéma de fiction, déformation professionnelle oblige, j’ai malheureusement vu les trois quarts sinon plus des films proposés. C’est en partie cette insatisfaction qui m’a ramenée au Québec.

Je refuse toujours de payer 6,99 $ pour Tou.tv Extra, une plateforme web mise au point par le réseau public. Je considère que je paie déjà avec mes impôts, d’abord pour la télé publique, puis de nouveau pour toutes les séries qui y sont diffusées et qui sont financées à 100 % par l’État. Et il faudrait en plus que je paie pour la primeur de séries pour lesquelles j’ai déjà donné ? Non, merci.

Je préfère de loin Tou.tv, la plateforme de rattrapage du réseau public, qui, elle, est gratuite mais qui a le défaut d’exiger une quincaillerie électronique de la quatrième génération pour être en mesure de regarder les émissions en rattrapage directement sur l’écran de télé, et non d’ordinateur.

La quatrième génération, c’est un peu trop avancé pour moi. D’ailleurs, même si j’avais une Apple TV de cette génération-là, je ne saurais quoi en faire ni où la brancher. Mais passons.

L’important, c’est que Tou.tv (version iPad) m’a permis de découvrir L’âge adulte, une websérie délicieusement déjantée qui, à mon avis, annonce non seulement un bel avenir, mais qui, par sa qualité, insuffle un esprit nouveau et une crédibilité aux productions web.

Écrite par le jeune et très polyvalent Guillaume Lambert, réalisée par François Jaros, L’âge adulte ne fait que huit épisodes de huit minutes chacun, mais c’est tellement drôle, bien écrit et bien réalisé qu’on ne reste jamais sur sa faim.

Au cœur du récit, la confusion sexuelle de trois jeunes adultes d’une même famille menée par un père veuf et ouvert (Richard Fréchette). Bien que les trois aient quitté la maison paternelle, au fil des ruptures, des changements d’allégeance sexuelle et des grossesses bancales, ils finissent tous par y revenir.

Guillaume Lambert dans le rôle de Tom, le jumeau gai fluctuant, y est hilarant, tout comme Geneviève Boivin-Roussy dans le rôle de Virginie, sa meilleure amie. Marc Beaupré, l’ex-Marc Arcand, y incarne un étonnant gai à lunettes porté sur le sexe. C’est frais, cru, drôle, ça ne se prend pas la tête. Et puis, en regardant L’âge adulte, impossible de ne pas se réjouir de voir poindre le ton et l’esprit d’une nouvelle génération.

Dans un tout autre registre, je suis allée voir ce que le Club Illico de Vidéotron avait à m’offrir. Je n’ai pas été déçue. La série policière Victor Lessard y est offerte gratuitement aux abonnés dans une adaptation du roman de Martin Michaud. Je n’aime pas particulièrement l’univers gore et sanguinolent de Michaud, qui a tendance à torturer un peu trop de gens à mon goût. Mais je me suis laissé prendre par cette série de 10 épisodes, notamment à cause de Julie Le Breton, qui incarne Jacinthe Taillon, la coéquipière de l’enquêteur Lessard (Patrice Robitaille). J’ai rarement vu une actrice québécoise, à plus forte raison une beauté comme Le Breton, se métamorphoser à ce point-là.

Jacinthe Taillon, cette lesbienne bourrue, qui marche comme un camionneur, sacre comme un charretier et qui bouffe tout ce qui lui tombe sous la main, est un personnage plus grand que nature et extraordinairement attachant. C’est une matricule 728 réussie qui, sous ses airs de dure à cuire, a le cœur gros comme une cathédrale. Elle est ma nouvelle héroïne. Du moins jusqu’à la conclusion de cette série. Après cela, la pantélévisuelle que je suis ne jure de rien.

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