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Utiles, les probiotiques ?

Malgré le peu d’études indépendantes sur les effets potentiellement bénéfiques des probiotiques, des gastroentérologues n’hésitent pas à les recommander à certains de leurs patients, en particulier ceux affectés du syndrome du côlon irritable. Pourquoi ?

« Je ne sais pas si on en prescrit plus, mais ce qui est vrai, c’est qu’on a de plus en plus de preuves scientifiques que les probiotiques peuvent être efficaces dans certaines pathologies comme le syndrome du côlon irritable », nous dit le Dr Mickael Bouin, gastroentérologue au CHUM et directeur du programme de gastroentérologie à l’Université de Montréal.

Est-ce parce qu’il n’y a rien d’autre à proposer aux patients ayant le syndrome du côlon irritable ? « Absolument, admet le Dr Bouin. On se retrouve face à une maladie qu’on ne sait pas bien traiter [le syndrome du côlon irritable], donc on s’intéresse à la gestion du stress, à l’alimentation et aux probiotiques. On recommande à nos patients d’en faire l’essai pendant deux mois, mais s’il n’y a aucune amélioration, ce n’est pas la peine de continuer. »

Que du positif

Le discours des gastroentérologues pour recourir aux probiotiques est le suivant : ça ne peut pas faire de mal et ça peut peut-être faire du bien. La question demeure : est-ce qu’on est sûr que ça ne peut pas causer de tort ?

« Oui, répond le Dr Bouin. Ç’a été démontré que ça ne pouvait pas causer de tort à quelqu’un qui n’a pas de maladie inflammatoire. Dans ce cas, par contre, on n’a pas tendance à le recommander. »

« D’abord, il y a des médicaments beaucoup plus efficaces que les probiotiques pour traiter les maladies inflammatoires comme le Crohn, et puis, si on stimule le système immunitaire, dans le cas d’une maladie inflammatoire, il y a une possibilité que ça puisse causer du tort. »

— Le Dr Mickael Bouin, gastroentérologue

Le vrai tort, conviennent les médecins et pharmaciens, est fait au portefeuille, parce que ces produits coûtent cher. Un pot de 30 capsules vous coûtera entre 30 et 40 $, selon les marques. Si les probiotiques sont pris de manière préventive, sur une longue durée, la facture peut grimper vite.

Les pharmaciens, eux, peinent à conseiller leurs clients, vu le flou entourant le contenu des probiotiques, considérés comme des produits naturels par Santé Canada. Combien de bactéries sont nécessaires pour vous ? Dix milliards ? Vingt ? Cinquante ? Quelles sont les souches les plus efficaces ? Est-ce que ces souches (et le nombre de bactéries) sont celles indiquées sur l’emballage ? Combien de ces bactéries survivent avant de se retrouver dans notre intestin ? On ne le sait pas vraiment.

Olivier Bernard, alias le Pharmachien, a fait le tour de ces questions dans un article/BD très complet paru sur son site en 2015. Le pharmacien met notamment en garde les consommateurs de probiotiques contre les publicités trompeuses vantant par exemple la « reconstruction du système immunitaire ». « Les probiotiques sont des corps étrangers, donc ils vont activer le système immunitaire, soutient-il, mais le système ne sera pas pour autant renforcé. »

Depuis trois ans, la demande de probiotiques est toujours aussi forte en pharmacie, mais Olivier Bernard, lui, est encore plus sceptique.

« Quand on regarde les données scientifiques, on a raison d’être encore plus sceptique qu’on l’était déjà à l’époque, affirme-t-il. Par exemple, précise-t-il, on croyait que la diarrhée du voyageur pouvait être prévenue par la prise de probiotiques, or ça ne semble pas être le cas. Ce qui reste très solide, ce sont les bienfaits des probiotiques pour prévenir les diarrhées quand on prend des antibiotiques ou pour atténuer les symptômes liés à la bactérie C. difficile. »

Une méta-analyse menée en 2017 par une équipe de chercheurs du Weill Cornell Medical College de New York a d’ailleurs conclu que les probiotiques jouaient un rôle important dans la prévention de C. difficile. L’analyse de 19 études sur un total de 6261 patients a démontré que la proportion de patients infectés par la bactérie C. difficile s’élevait à 1,6 % chez les patients qui avaient pris des probiotiques, comparativement à 3,9 % pour ceux qui n’en avaient pris aucun. Une différence de près de 60 %.

De manière ponctuelle

De manière générale, les médecins et les pharmaciens n’hésitent donc plus à recommander à leurs patients de prendre des probiotiques en même temps que des antibiotiques (qui éliminent les bonnes bactéries de notre microbiote), mais de manière ponctuelle.

« Je le recommande aux gens qui réagissent mal à la prise d’antibiotiques, qui ont de grosses perturbations intestinales, des crampes et des diarrhées, nous dit Olivier Bernard. Mais il n’y a pas lieu de le recommander à ceux qui réagissent bien aux antibiotiques, parce que la flore intestinale va se régénérer par elle-même après de toute façon. »

N’empêche, vers quels produits se tourner ? Quel est le nombre de bactéries nécessaire pour que le produit soit efficace ?

« C’est une question difficile, répond le DBouin. On n’a aucune idée des délais entre le moment où le produit sort de l’usine et où il se trouve sur les tablettes. On sait ce qu’on a mis dedans, mais on ne sait pas combien de bactéries vivantes il reste quand on en prend. »

« Je conseille aux gens de choisir des marques locales, parce que si les pots viennent en conteneur de Chine ou de l’Inde, il n’y a quasiment aucune chance que les bactéries soient toujours vivantes au moment où vous en prendrez… »

— Le Dr Mickael Bouin

Le pharmacien Olivier Bernard abonde dans son sens. Selon lui, le nombre de bactéries idéal que devrait contenir un probiotique demeure un mystère. Une des raisons, selon lui, est qu’il existe très peu d’études indépendantes. La plupart sont menées par les fabricants eux-mêmes.

« Il y a un produit vendu en pharmacie, que je ne nommerai pas, mais qui a été prouvé efficace [par le fabricant], illustre-t-il. Ce fabricant a testé trois doses dans ses études – 1 million de bactéries, 100 millions et 10 milliards. La seule dose qui marchait était celle à 100 millions. Ça, en science, ça devrait être un signal d’alarme instantané pour nous dire qu’il y a quelque chose d’anormal. Est-ce qu’on peut dire qu’une autre souche d’une autre compagnie pourrait faire pareil ? C’est le fouillis total et il n’y a aucun moyen de contre-vérifier les résultats. »

Pour ajouter à la confusion, une étude publiée l’automne dernier dans la revue Cell (par des chercheurs israéliens de l’Institut Weizmann des sciences) conclut que non seulement les probiotiques pourraient être inutiles, mais ils pourraient aussi retarder le retour à la normale du microbiote intestinal…

Malaise

Bref, il y a beaucoup de zones grises. Dans ce contexte, quels produits recommande le Pharmachien ? « On est embêtés, répond-il, en refusant de nommer des marques. Je vais recommander le produit le moins cher, parce qu’on n’a pas de preuves sur la bonne dose et la bonne souche, donc j’y vais avec un probiotique de base avec le nombre le plus faible de bactéries, parce que, éthiquement, je ne peux pas justifier l’achat d’un produit qui contient 50, 100 ou 200 milliards de bactéries. »

Le Dr Bouin partage ce malaise. « Le marketing a pris de l’avance sur la science, constate-t-il. Et il est probablement plus intéressant pour ces produits de rester sous forme de produit naturel que de passer sous forme de médicament. En ce moment, les fabricants en vendent beaucoup sans avoir investi grand-chose… Le risque d’investir dans des études pour en faire des médicaments est grand pour eux, parce qu’on pourrait conclure à leur inefficacité. »

Quelle est donc la part de l’effet placebo dans les probiotiques ? « Elle est importante, comme pour tous les produits qu’on utilise, mais pour la déterminer, il faut faire des études scientifiques et là, on n’en a pas », regrette le Dr Bouin.

« Ce qu’on sait, conclut-il, c’est que notre microbiote est un élément de bonne santé. Plus il est diversifié, plus on a des chances d’être en bonne santé. Ce qu’on sait aussi, c’est que la cuisine traditionnelle est riche en probiotiques naturels. Les yogourts, les fromages, les produits fermentés comme le chou sont des probiotiques, mais la cuisine moderne les a fait disparaître. Les probiotiques en pot pallient ce manque-là, voilà tout. »

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