Le cas Khadr

« Omar Khadr a suffisamment payé »

Au nom des Nations unies, Leila Zerrougui voyage aux quatre coins du monde pour faire libérer des enfants soldats et plaider leur cause. Le Canada, un grand partisan de son travail, est ironiquement l’une des principales épines dans son pied, raconte-t-elle.

« Il y a un vrai malaise », dit la représentante spéciale du secrétaire général de l’ONU pour les enfants et les conflits armée, jointe par La Presse à New York. D’une main, dit l’Algérienne, le Canada préside le comité des pays qui appuient son mandat et ne lésine pas pour venir à la défense des enfants soldats devant les pays membres des Nations unies. De l’autre, ajoute-t-elle, le Canada fait tout pour que son seul enfant soldat – Omar Khadr – soit gardé sous les verrous le plus longtemps possible

Ce paradoxe, dit-elle, n’échappe à personne.

« Comment peut-on avoir de la crédibilité quand on demande au Congo, au Soudan ou à la Somalie de libérer des enfants soldats, alors qu’il y a un seul enfant soldat dans les pays du Nord et qu’on veut le garder en prison pendant 20 ans ? »

— Leila Zerrougui, représentante spéciale du secrétaire général de l’ONU pour les enfants et les conflits armé

L’ENFANT SOLDAT IGNORÉ

Pour la représentante spéciale, qui a travaillé en République démocratique du Congo et publié un rapport sur la détention arbitraire à Guantánamo avant d’occuper son poste actuel, il ne fait aucun doute qu’Omar Khadr est un enfant soldat. Le jeune Canadien, fils d’un proche d’Oussama ben Laden, avait 15 ans quand il a été fait prisonnier par les Américains en Afghanistan en juillet 2002 au cours d’un dur combat.

« Qu’est-ce qu’on fait d’un mineur de 15 ans ? Dans ce bureau, nous croyons qu’un enfant recruté est une victime et qu’il doit être réhabilité, explique Mme Zerrougui. Un enfant soldat peut être jugé s’il a commis des crimes graves contre des civils, mais devant la justice juvénile. La détention doit être l’exception et doit se faire pour le plus court moment possible », plaide-t-elle, en s’appuyant sur le droit international.

Or avant d’être libéré sous caution par une cour albertaine le 7 mai, Omar Khadr a passé 13 ans en détention, dont 10 dans la base militaire américaine de Guantánamo. « C’est très, très long, 13 ans », s’indigne l’experte de droit, en ajoutant qu’elle n’a jamais été témoin d’une situation semblable ailleurs dans le monde.

« J’ai vu des enfants soldats qui ont été détenus pendant 2 ou 3 ans, notamment à Bagram [en Afghanistan], mais pas pendant 13 ans. C’est un cas unique au monde. »

— Leila Zerrougui, représentante spéciale du secrétaire général de l’ONU pour les enfants et les conflits armé

CONDAMNATION REMISE EN QUESTION

Sous le couvert du vocabulaire diplomatique, Leila Zerrougui va jusqu’à remettre en question la condamnation d’Omar Khadr par la commission militaire américaine. En 2012, dans l’espoir d’être transféré au Canada, Omar Khadr a plaidé coupable à cinq chefs d’accusation, dont crime de guerre, meurtre et soutien au terrorisme. Pour avoir tué Christopher Speer, un soldat des forces spéciales américaines, il a été condamné à 40 ans de prison. Prenant en compte les 10 années qu’il avait passées derrière les barreaux, la justice militaire américaine a réduit sa peine à 8 ans. Elle viendra à échéance en 2018.

« Un enfant soldat a le droit d’attaquer un autre soldat. C’est un droit reconnu par le droit de la guerre. Ce qui est interdit, c’est de cibler un civil », ajoute la Représentante du Secrétaire général, en poste depuis 2012

LE LONG COMBAT

Leila Zerrougui n’est pas la première à plaider la cause d’Omar Khadr aux Nations unies. Sa prédecesseure, Radhika Coomaraswamy, a interpellé autant les gouvernements canadien qu’américain pour que les droits d’Omar Khadr en tant qu’enfant soldat soient reconnus. Elle pensait avoir remporté une victoire quand le jeune homme a été transféré au Canada en 2012 pour purger la fin de sa peine.

Pour sa part, l’actuelle représentante spéciale du secrétaire général pour les enfants et les conflits armés a été heureuse d’apprendre que la justice canadienne avait libéré Omar Khadr au début du mois, mais elle a de la difficulté à comprendre pourquoi le gouvernement canadien a porté la décision en appel et va tenter de faire réemprisonner le jeune homme, aujourd’hui âgé de 28 ans, à l’automne. « J’espère que la justice canadienne le protégera et qu’il restera en liberté. Il a suffisamment payé », conclut Mme Zerrougui.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.