Joe Poulin, PDG de Luxury Retreats

Pourquoi Joe Poulin a choisi les 300 millions d’Airbnb

À 35 ans, le rêve d’une retraite dorée n’est pas à l’agenda de Joe Poulin. Pourtant, le jeune entrepreneur aurait largement les moyens de se la payer avec les 300 millions US que vient de rapporter la vente de son entreprise Luxury Retreats à la multinationale du voyage Airbnb. « Je ne prends jamais de vacances. Je suis un entrepreneur, j’aime ce que je fais et je vais continuer à développer Luxury Retreats, mais avec beaucoup plus de moyens », expose le principal intéressé.

La nouvelle a été confirmée il y a bientôt un mois, mais ce n’est que la semaine dernière que Joe Poulin a été en mesure de nous expliquer les tenants et aboutissants de cette importante transaction. Il venait de passer trois semaines à San Francisco avec la haute direction d’Airbnb à peaufiner les détails de l’entente et à orchestrer la suite des choses.

Le géant mondial de la location et de la réservation en ligne de logements et de résidences, avec un portefeuille riche de plus de 3 millions de propriétés, a déboursé 300 millions US pour acquérir la totalité des actions de Luxury Retreats, selon l’agence Bloomberg.

« Je ne peux pas commenter les détails financiers de la transaction. Mais Airbnb a payé en argent comptant et actions pour faire notre acquisition. Je me suis fait payer en actions et argent. Le fonds iNovia, qui était actionnaire minoritaire, s’est fait payer tout en argent », précise toutefois Joe Poulin.

C’est à 17 ans que l’entrepreneur montréalais a fondé Luxury Retreats, une firme de location de villas de luxe sur l’internet, pour en faire un leader mondial dans son domaine avec un catalogue de plus de 4000 propriétés dans 90 marchés et un service spécialisé de conciergerie qui répond à toutes les demandes de ses usagers. Luxury Retreats réalise plus de 150 millions US de revenus par an.

Vendre pour grossir

Jusqu’en septembre dernier, Joe Poulin n’envisageait nullement de vendre un jour Luxury Retreats. L’entreprise, hautement profitable, progressait à un bon rythme.

Un premier investisseur, Peter Kern, PDG du fonds new-yorkais Intermedia Partners, avait acquis une participation minoritaire au milieu des années 2000 avant que le fonds montréalais iNovia réalise un premier financement de 5 millions, en 2012, et un second de 11 millions, en 2015, auquel ont participé Stephen Bronfman et Andrew Lufty.

« Lors d’un colloque international sur les voyages, en septembre dernier, j’ai croisé Chip Conley, le CHO [chief hospitality officer] d’Airbnb. On a discuté de possibles collaborations entre nos deux groupes. »

« Quelques jours plus tard, Brian Chesky, le PDG d’Airbnb, a évoqué la possibilité que son groupe puisse aussi nous acheter. J’ai alors décidé de rencontrer d’autres acquéreurs potentiels pour évaluer d’autres options. »

— Joe Poulin

Joe Poulin n’a mis en place aucun processus formel. Pas de banquier d’affaires, pas de courtiers, il savait ce que valait son entreprise et s’estimait capable de mener à terme une transaction si cela en valait le coup.

Expedia venait d’acquérir le site HomeAway et s’intéressait à Luxury Retreats tout comme le groupe européen Accor. Mais Joe Poulin a vu beaucoup plus de potentiel de croissance et d’affinités avec la proposition d’Airbnb.

« Airbnb était intéressée à notre plateforme de luxe et de vacances, un secteur où ils n’étaient pas représentés. Ils sont plus dans les marchés urbains.

« On venait combler des besoins dans des segments où ils étaient absents, mais en retour, on devenait responsable de toute la stratégie de développement mondiale d’Airbnb dans le secteur du luxe. C’est à partir de Montréal que cela va se faire dorénavant », se réjouit l’entrepreneur.

Des besoins en explosion

Joe Poulin affirme avoir réalisé une transaction entrepreneuriale plutôt que financière. Il conserve son rôle de PDG de Luxury Retreats et toute son équipe de direction va orchestrer maintenant l’implantation d’Airbnb dans le monde de la location de luxe.

« Airbnb, c’est gros. C’est une entreprise qui est valorisée à 30 milliards US et elle vient de réaliser un financement de 3,1 milliards. En nous achetant, ils viennent aussi de réaliser la plus grosse transaction de leur histoire.

« Google et Microsoft ont une présence à Montréal, mais ce n’est rien comparé à celle que va prendre Airbnb par l’entremise de Luxury Retreats », anticipe Joe Poulin.

Durant l’une de ses nombreuses visites dans la métropole, le PDG Brian Chesky a même eu le loisir de rencontrer le maire Denis Coderre, qui est bien content d’accueillir un acteur de l’envergure d’Airbnb.

Avant que ne se confirme la transaction, Joe Poulin prévoyait devoir embaucher une centaine de personnes chez Luxury Retreats au cours de l’année pour répondre à la croissance anticipée.

Maintenant qu’Airbnb veut faire de Montréal sa plateforme mondiale pour le marché de location de luxe, Joe Poulin estime que Luxury Retreats va faire face à une explosion de besoins.

« Airbnb, c’est avant tout une entreprise qui développe des technologies, et on va devoir développer à Montréal nos propres ressources. On va devoir embaucher un paquet d’ingénieurs, de développeurs, de designers. J’ai déjà huit personnes de San Francisco qui sont ici pour évaluer quels seront nos besoins les plus urgents », souligne le PDG.

Fait à souligner, Joe Poulin a utilisé une partie des revenus de la vente de Luxury Retreats pour rendre chacun de ses 250 employés montréalais et des 30 autres à l’étranger actionnaires d’Airbnb. « On est tous actionnaires d’Airbnb », résume-t-il.

Les gens de l’entreprise établie à San Francisco aiment Montréal. Ils ont été séduits par la diversité culturelle de la métropole et par le fait que l’on parle 10 langues dans les bureaux de Luxury Retreats, à Griffintown.

« On vient de se joindre à la Ligue nationale. On est maintenant sur une voie rapide et on renforce la position de Montréal dans la nouvelle économie », résume Joe Poulin, bien loin encore de la retraite dorée.

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