La Presse à Paris Les attentas, un an plus tard

« Toute ma douleur est là-dedans »

Dans un livre émouvant, Grégory Reibenberg, le patron de La Belle Équipe, raconte comment il s’est remis des attaques qui ont coûté la vie à 20 personnes dans son établissement, dont la mère de sa petite fille…

On souligne aujourd’hui le premier anniversaire des attentats. Comment vivez-vous tout ça ?

C’est éprouvant. Je me prends des uppercuts qui me remettent là-dedans. Avec les appels, la famille, les journalistes, la mairie, ça revient en boomerang. Normal. Les mauvais souvenirs, on veut les effacer. Tout ce qui s’est passé ce soir-là, j’ai envie de l’effacer..

Justement. Ce livre que vous venez d’écrire (Une belle équipe, éditions Héliopoles), c’était pour tourner la page ?

Je me suis mis à écrire parce que je ne savais pas quoi faire d’autre. C’est en revenant de l’enterrement de Djamila [la mère de sa fille, tuée le 13 novembre], où j’ai vécu des choses très fortes avec ma fille dans le taxi. C’était tellement puissant, je me suis dit : « Il faut que je note pour elle plus tard », sinon je savais que j’allais l’oublier… J’avais besoin de donner un sens à tout ça.

Dans votre livre, vous dites : « Je ne suis pas un écrivain, je suis un vomisseur… »

Vomisseur de mots, oui. C’est le sentiment d’un trop-plein qui était partout. Vous imaginez, ça fait une semaine que vous vivez des choses extraordinaires, au sens propre, il y a tous ces gens chez vous, une maman qui n’est plus là, une petite fille à qui il faut expliquer. Toute ma douleur est là-dedans.

Vous avez rouvert La Belle Équipe quatre mois après les attentats. Vous n’avez pas songé à fermer pour de bon ?

J’ai envie de vous dire : pourquoi ne pas le rouvrir ? Moi, ma vie, c’est ici. J’habite ce quartier et il était hors de question que ça devienne autre chose qu’un lieu de vie. Il fallait que ça reste un endroit festif. On se fait flinguer comme des chiens et il faudrait qu’on leur dise « merci, amen » ? Aujourd’hui, l’endroit est méconnaissable. On a tout refait. J’en ai eu pour 300 000 euros.

Vous revoyez souvent les images de ce moment ?

Il y a de longues périodes où je n’y pensais plus du tout. D’un côté, ça date d’hier matin, de l’autre, c’est comme si c’était il y a 600 000 ans… Mais ces images, oui, je vis avec. Après les attaques, je suis resté là longtemps. J’ai regardé tous les visages, tous les corps. J’étais un peu comme le capitaine qui reste sur son bateau et qui regarde les dégâts. Ce sont des corps et du sang, mais ce sont surtout les corps de mes amis. C’est impossible à décrire. C’est tellement énorme…

Vous avez compris sur le coup ce qui se passait ?

Au début, je croyais que c’était un dégât électrique. Les lumières se sont éteintes. Je me suis dit : « Qu’est-ce qui se passe encore ? » Je regarde dehors, les chaises par terre, et là, je vois un type tirer avec une Kalachnikov. J’ai pensé que c’était un règlement de compte entre Arabes. Après, je me suis dit : « Oh non putain ! C’est Al-Qaïda, je suis dans un attentat ! » Je me suis vu mourir une demi-seconde. Je me suis dit : « Ils ont fini à l’extérieur, maintenant ils vont rentrer à l’intérieur. Sauve-toi ou tu vas mourir aussi. »

Vous êtes sorti par l’arrière et êtes revenu pour vous occuper des blessés. La mère de votre fille, qui était sur la terrasse, est morte pendant que vous lui teniez la main…

C’est comme je l’écris. Au début, j’ai cru qu’elle était vivante. Je ne pensais même pas qu’elle allait mourir. Je me suis dit : « Putain, elle va être en chaise roulante. Fait chier. C’est horrible. » C’est comme dans un feuilleton. Le jeune pompier qui était là était plus blanc que moi. Il savait qu’elle allait mourir et pas moi. J’essaie de ne pas repenser à ça. S’ils avaient été là 20 minutes plus tôt, est-ce qu’ils l’auraient sauvée ? Je ne crois pas. Je ne veux pas savoir…

Dans votre livre, vous gardez la scène des attaques pour la toute fin. C’était voulu ?

C’est sorti comme ça. Je l’ai vraiment écrite à la fin... C’est douloureux de se remettre là-dedans. J’ai repoussé parce que je savais que ce serait le plus éprouvant. J’avais le cœur qui battait avant d’écrire. Je ne pouvais pas ne pas en parler. Mais pour moi, cette putain de soirée, ce n’est pas le plus important. L’important, c’est ce que sera ma vie aujourd’hui, et comment je vais élever ma fille. Tout le reste, c’est du cinéma…

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