OPINION LE MIRAGE

L’homme des cavernes

Ce que Le mirage nous montre, c’est un être susceptible de s’assurer de son poids sur Terre en violant des femmes

L’auteure réagit à l’éditorial de Luc Boulanger, « Parlons des hommes », publié le 5 août

Le mirage est une comédie réussie. J’ai ri, l’amie avec laquelle je suis allée le voir aussi.

Le regard de Ricardo Trogi et la plume de Louis Morissette sont acerbes : nous ne vivons pas vraiment une vie qui est la nôtre ; nous vivons la vie de tout le monde, et ce tout le monde, c’est autant IKEA, les magazines de décoration et de mode, les palmarès d’écoles primaires, la voiture de l’année, la chirurgie esthétique, la pornographie que la psychothérapie.

Rien ne nous appartient plus et le film est aussi faux que les vies qu’il décrit : un décor qui n’oublie jamais qu’il en est un, des dialogues composés de lieux communs, des gestes désincarnés, en somme, l’échec de vies devenues purs clichés. Jusqu’ici, Le mirage est une réussite. Mais là où ça bascule, c’est dans le rapport aux femmes et à la sexualité.

Si, pour Louis Morissette, Le mirage dépeint le sentiment de vide de plusieurs hommes de sa génération, et si, de fait, il y a des dizaines de milliers de Patrick Lupien au Québec, alors il y a de quoi s’inquiéter.

Pas tant parce que ces hommes souffriraient plus que les femmes de l’impression de ne pas vraiment vivre leur vie – comme le pointe sa conjointe au personnage principal : il n’est pas le seul à se poser des questions sur sa vie !

À GLACER LE SANG

Ce qui est différent entre les hommes et les femmes, semble dire le film, c’est la manière d’exprimer ce désarroi. Les hommes, quand ils ne sont pas bien dans leur peau, quand ils sont désespérés, non seulement se branlent des heures durant devant des sites pornos, fantasment sur des seins qui ne peuvent jamais être trop gros, mais prennent de force des femmes.

Deux scènes du film sont à glacer le sang, du moins, quand on est une femme : le moment où Lupien « baise » une jeune employée, et celui où il agresse la meilleure amie de sa conjointe. On dira que la jeune employée a cherché à le séduire. Mais ce qu’on oubliera de pointer, c’est la manière dont le héros renverse la jeune femme pour la prendre par-derrière en écrasant bien son visage contre la fenêtre de la chambre.

Trogi ne fait pas l’impasse sur la violence des gestes ; il la montre clairement. Tout comme il montre ce que ça veut dire quand un homme s’impose sur une femme, lui malaxe la poitrine, l’embrasse de force, refuse d’entendre le mot « arrête » qu’elle lui crie plusieurs fois. S’il y a une scène à garder en mémoire pour illustrer ce que veut dire l’absence de consentement, c’est celle-là. Lupien ne s’arrête que devant la menace que Roxanne lui fait d’appeler la police. Le héros se sauve, suivra la séparation du couple et un Patrick Lupien qui se retrouve en repli à la campagne, dans un décor de toute beauté.

Ce que le film semble dire, c’est que le burn-out de la conjointe et son absence de libido sont responsables des actes de violence.

Au final, si Lupien avait été satisfait sexuellement, s’il n’avait pas eu à dépenser trop d’argent pour répondre aux demandes de sa femme, il n’en aurait pas violé deux autres.

Le film est arrivé en salle en même temps que le défenseur du viol et masculiniste Roosh V à Montréal, et peu après qu’Action Bronson, artiste dont l’œuvre est cousue de propos misogynes, ait annulé sa présence à Osheaga. C’est une coïncidence des plus parlantes.

L’homme est plus léger que l’air et nous file entre les doigts, écrivait Arthur Miller. Mais ce que Trogi et Morissette nous montrent, c’est un être susceptible de s’assurer de son poids sur Terre en violant des femmes. Au final, ce coureur des bois des temps modernes en vient à ressembler à un homme des cavernes, un homme d’avant l’égalité des sexes, bien sûr, mais surtout, un homme d’avant la loi.

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