Ces étudiants qui créent des entreprises

L’entrepreneuriat sur les campus est en effervescence aux États-Unis comme au Canada. Montréal n’échappe pas à la frénésie. Notre journaliste André Dubuc a fait la tournée des universités. Voici ce qu’il a vu et entendu.

Le déblocage montréalais

Ce n’est pas parce qu’il n’existe pas d’Institut Lassonde dans la région de Montréal qu’il ne se passe rien dans l’écosystème universitaire en matière d’entrepreneuriat étudiant. Bien au contraire. L’effervescence est bien palpable sur les campus d’ici.

« Il y a un déblocage énorme au niveau de l’entrepreneuriat à Montréal », signale Camille Gagnon, fondateur et associé principal chez Innovitech, architecte et promoteur du Quartier de l’Innovation, dans le quartier Griffintown, à Montréal.

Pas plus tard que le 31 janvier dernier, un, sinon le premier, fonds canadien de capital de risque géré par des étudiants, Front Row Ventures, annonçait son premier investissement. Il s’agit d’un engagement de 25 000 $ dans Pelcro, une plateforme de gestion d’abonnements pour publications en ligne fondée par des étudiants qui sont passés par l’accélérateur X-1, de l’Université McGill.

« Je pense que c’est une idée brillante, dit Renjie Butalid, directeur associé du Centre Dobson d’entrepreneuriat de McGill au sujet de Front Row Ventures. Les fonds de capitaux-risque doivent remplir leur pipeline de projets et c’est en réalisant un volume important de transactions qu’ils vont identifier les meilleurs potentiels de rendement. Pour l’étudiant-gestionnaire du fonds, poursuit-il, c’est une expérience extraordinaire. Il a une meilleure idée des tendances émergentes et des champs d’intérêt de la prochaine génération. »

Ce fonds, mis sur pied par Real Ventures, dispose d’un capital de 600 000 $, soit assez pour répéter 24 fois l’investissement dans Pelcro.

En Utah, un de ces fonds associés à l’étape du préamorçage se nomme Campus Founders Fund et joue un rôle crucial dans l’essor des jeunes pousses universitaires.

Il ne s’agit que d’un exemple de l’essor que connaît l’écosystème de l’entrepreneuriat étudiant.

D’après Troy D’Ambrosio, directeur de l’Institut Lassonde rencontré à Salt Lake City en janvier, l’effervescence, perceptible des deux côtés de la frontière, s’explique par la facilité de lancer une entreprise de nos jours.

« Avec 2000 $, on ouvre facilement une entreprise de nos jours, c’était plus cher au début des années 2000. »

— Troy D’Ambrosio

« Depuis la grande récession, ajoute-t-il, les étudiants, qui ont vu leurs prédécesseurs en arracher pour trouver un emploi, perçoivent l’entrepreneuriat comme une façon de mieux contrôler leur destinée. »

Toujours est-il qu’à Montréal, les avancées les plus spectaculaires à ce chapitre, c’est à Concordia et à l’École de technologie supérieure (ETS) qu’on les observe, soutient Camille Gagnon.

Le Centech au planétarium

Avec l’ouverture en juin du Centech 2.0 dans les locaux de l’ancien planétarium, au coût de 11 millions, Montréal se dotera d’une vitrine hors du commun pour mettre en valeur nos start-ups issues du milieu universitaire.

« Il va devenir un symbole autour de l’entrepreneuriat, croit Camille Gagnon. Le planétarium aurait pu devenir bien d’autres choses que ça. »

Existant depuis 1996, le Centech, un incubateur d’entreprises technologiques rattaché à l’École de technologie supérieure (ETS), doublera sa superficie à 40 000 pi2 et triplera sa capacité en matière d’accompagnement des jeunes pousses. Actuellement de 1,5 million, le budget de fonctionnement augmentera significativement, puisque le Planétarium accueillera 10 cellules d’innovation, financées par la grande entreprise.

De par l’envergure, le caractère emblématique du bâtiment et sa situation géographique, le Centech au Planétarium sera l’institution montréalaise se rapprochant le plus des Studios Lassonde, de l’Université de l’Utah.

Même si le planétarium ne sera pas une résidence universitaire, « il y a 400 lits en résidence à moins d’un kilomètre à la ronde », fait remarquer M. Gagnon.

On ne peut toutefois confondre les deux institutions. L’Institut d’entrepreneuriat Lassonde a une mission éducative visant à faire vivre des expériences entrepreneuriales au plus grand nombre d’étudiants. Centech est complètement ailleurs.

L’accent y est mis sur la technologie. On vise le circuit.

Les entreprises sont soigneusement sélectionnées en fonction du potentiel de leurs découvertes et du calibre des entrepreneurs, qui ont bien souvent terminé leurs études. Les titulaires de doctorat sont légion parmi les fondateurs et l’âge des résidants dépasse souvent la trentaine. Fait à souligner les femmes y sont minoritaires.

Ouvert à tous, y compris aux entreprises étrangères, le processus d’admission au Centech devient rapidement très sélectif. On y offre deux programmes : Accélération, 12 semaines intensives, puis, pour les meilleures d’entre elles, Propulsion, où l’on offre le gîte et le mentorat pour deux ans.

« On commence avec 180 candidats ou idées d’entreprise, pour en choisir 45 pour Accélération et pour aboutir, au terme de Propulsion, avec 10 ou 12 entrepreneurs », explique Richard Chénier, directeur du Centech et du bureau de l’entrepreneuriat technologique de l’ETS.

Deux entreprises en démarrage du Centech

Labo sur puce

eNuvio est un bel exemple du coup de circuit que cherche à réussir l’équipe du Centech. Les trois fondateurs, titulaires de doctorats de McGill et de l’UdeM, révolutionnent l’électrophysiologie avec leur technologie de rupture appelée labo sur puce ou Lab-on-a-Chip. En pharma, les chercheurs doivent étudier les phénomènes électriques et électrochimiques qui se produisent dans les cellules à l’aide d’un équipement datant des années 80. Au lieu d’adapter l’équipement à la cellule, eNuvio inverse le problème en déposant la cellule sur la puce, qui s’occupe de mesurer le tout.

Réinventer le soleil

Sollum a réussi à recréer l’efficacité de la lumière du soleil, ce qui augmente la croissance des végétaux et améliore la productivité des fermes serricoles. Sa technologie permet de recréer des levers et couchers de soleil, de respecter le nombre d’heures d’ensoleillement et le spectre de lumière. L’effet est tel que les poivrons rougissent sur plant. Sollum vise en somme à écrire la « recette » d’éclairage parfaite pour chaque plante. En mars 2017, l’entreprise a remporté le prix « Entreprise la plus prometteuse de l’École de technologie supérieure ».

Université Concordia

Ça grouille au District 3

S’il y a un endroit à Montréal qui bouge comme le Hangar Neeleman des Studios Lassonde, c’est bien le District 3 de l’Université Concordia.

Situé au 6e étage de la Tour du Faubourg, à l’angle de Guy et Sainte-Catherine, l’endroit grouille d’activités en ce mercredi en fin d’après-midi. Le vestiaire déborde. L’ambiance est à la création d’entreprises dans le vaste espace collaboratif.

Notre hôte Khalil Haddad, responsable du marketing et des communications, nous fait faire le tour du proprio, nous présente des fondateurs d’entreprises, puis répond à nos questions.

« District 3 a été fondé en 2014 à l’initiative du recteur Alan Shepard, qui arrivait de l’Université Ryerson. Il cherchait à créer un endroit où des étudiants allaient acquérir de l’expérience pertinente en emploi qu’ils pourraient ensuite faire valoir auprès de futurs employeurs après l’obtention de leur diplôme », explique M. Haddad.

En quatre ans, District 3 a contribué à l’épanouissement de 400 jeunes pousses. L’incubateur/accélérateur est ouvert à tous, pas seulement aux étudiants de Concordia. L’engagement requis, 25 heures par semaine minimum, exclut de facto bon nombre d’étudiants à temps plein.

L’incubateur offre trois programmes, en fonction du degré de maturité de la jeune entreprise : Discovery, Launch et Grow. Tous les services sont gratuits. L’équipe de 20 personnes, certains à temps partiel, suit 60 entreprises tous les 4 mois.

« On reçoit une centaine de demandes d’admission par trimestre. Il y a un processus de sélection par jury, formé parmi nos 12 coachs. On regarde la qualité de l’équipe. On regarde l’idée d’entreprise. »

— Khalil Haddad

« Est-elle en lien avec l’expertise des fondateurs. Ceux-ci ont-ils déjà testé la profondeur du marché visé ? », poursuit M. Haddad.

Une fois sélectionnés, les entrepreneurs sont pris en charge par un coach qui leur fixe des objectifs à atteindre au cours des 90 jours suivants. « Par exemple, si l’équipe a en main une idée d’entreprise, ils doivent parler à 100 clients potentiels en 12 semaines, pour estimer si leur idée est viable », donne-t-il en exemple.

District 3 est également équipé d’un atelier de fabrication numérique avec imprimante 3D. Il sert aux entreprises en démarrage, mais aussi à des projets d’innovation réalisés en collaboration avec le secteur privé. Jusqu’à maintenant, 25 projets ont été réalisés.

Trois entrepreneurs issus du District 3

Adrien Sicard

chef de la direction de Beeye 30 ans

L’entrepreneur français a conçu un logiciel de planification de la main-d’œuvre et de gestion du temps destiné aux gestionnaires. Desjardins est le principal client de la société qui emploie 25 personnes. Après une résidence de deux ans, Beeye quittera District 3 sous peu.

Clémentine Du PradeL

directrice générale de Lex Start 26 ans

« Lex Start répond aux besoins juridiques d’une entreprise en démarrage à prix fixe et pour moins cher qu’un cabinet d’avocats, dit Mme Du Pradel, diplômée HEC Montréal. On est capable d’incorporer et de faire les conventions d’actionnaires. » Fondée en 2015, Lex Start a aidé à la création de plus de 200 entreprises.

Freddy Ghislain Noumeyi

cofondateur et vice-président de Squares Union, 40 ans

Fintech, Squares Union est une Western Union améliorée. Les Africains peuvent transférer des fonds dans leur pays d’origine avec leur cellulaire. Résultats : 2000 clients à Montréal, 26 banques partenaires et 27 pays couverts. « Envoyer 1000 $ coûte 2 $ chez nous, mais 48 $ chez Western », dit-il.

Quoi de neuf sur les campus ?

Que ce soit sur les campus du centre-ville ou sur le mont Royal, des entrepreneurs en herbe tentent de passer de l’idée à l’entreprise dans les différents incubateurs. Tour d’horizon.

Prendre le virage de l’AI

Existant depuis 1996, le Centre d’entrepreneuriat Poly-UdeM a lancé en novembre dernier Datapreneur. Il s’agit d’un parcours autour de l’intelligence artificielle (IA) et de la science des données qui consiste à prendre les résultats de recherche de l’IVADO (Institut de valorisation des données) et d’en faire des projets entrepreneuriaux. Le programme bénéficie de l’appui financier du ministère de l’Économie du Québec.

Ce programme d’ajoute aux parcours existants : Technopreneur et Innovinc, deux programmes dont des composantes s’inspirent de l’Institut Lassonde, explique Jean Choquette, secrétaire du Centre et directeur à la planification stratégique et aux relations gouvernementales à Polytechnique. 

Le « Pitch à 100 $ », une activité où les entrepreneurs en herbe exposent leur idée devant un jury, est une adaptation du programme Get Seeded de l’Université de l’Utah, indique M. Choquette. Si l’idée obtient du financement, les entrepreneurs s’inscrivent dans un parcours qui les amènera à développer leur modèle d’affaires puis leur plan d’affaires.

Le Centre, dont la mission est de développer une culture entrepreneuriale et d’innovation chez les étudiants, dispose d’un budget annuel de 850 000 $, financés par Poly et l’UdeM. Comptant sept employés, le Centre occupe 10 000 pi2 au pavillon J.-Armand Bombardier.

Passer à la vitesse supérieure

Le Centre d’entrepreneurship Dobson de McGill passe à la vitesse supérieure grâce au don de 2 millions de la Fondation John Dobson, octroyé l’été dernier.

Auparavant situé à la faculté de gestion, le Centre vient d’ailleurs de déménager sur la rue McTavish, dans le but d’attirer des étudiants-entrepreneurs de partout sur le campus et pas seulement chez les étudiants en administration.

Le don servira à financer les activités de l’accélérateur d’entreprises X-1 à raison de 200 000 $ par année pendant 10 ans. « Le but est de prendre les plus belles jeunes pousses de McGill, qui sont rendues au stade de générer de vraies ventes, de faire suivre à leurs entrepreneurs un cours intensif l’été pour qu’ils soient prêts à lever des fonds à l’automne », explique Renjie Butalid, directeur associé du Centre. Les entreprises effectuent une tournée de présentation à Montréal, Toronto, Boston, San Francisco et New York, en s’appuyant sur le réseau des anciens de McGill. « Le but est de prendre des entreprises de McGill, de les faire découvrir de par le monde, et de les ramener à Montréal pour qu’elles se développent », précise M. Butalid. Actuellement, l’accélérateur accompagne 11 entreprises.

Depuis 30 ans, le Centre Dobson a aidé à lancer 1000 entreprises, dont 125 sont encore en activité, employant 1200 personnes.

Une majorité d’entrepreneures

Malgré son nom et son emplacement à l’intérieur des murs de l’École des sciences de la gestion, le Centre d’entrepreneuriat ESG-UQAM dessert l’ensemble de la communauté uqamienne.

Pour l’année universitaire 2017-2018, la moitié des 150 projets d’entreprise proviennent des autres facultés. Parmi les 225 entrepreneurs (certains sont en équipe), 60 % sont des femmes, un phénomène plutôt rare, a constaté La Presse en faisant le tour des campus.

Au dire de son DG, Michel Grenier, le Centre de l’UQAM se positionne en amont d’accélérateurs comme le Centech.

Avec un budget annuel de 500 000 $ et une équipe de neuf personnes, à demi-temps pour la plupart, le Centre invite les jeunes pousses sous son aile à participer au concours interne Mon entreprise, qui récompense le meilleur plan d’affaires. Cinquante participants se sont disputé les prix cette année. Les 20 finalistes sont connus. Le dévoilement des gagnants aura lieu début avril. Le premier prix s’élève à 5000 $.

Pour l’avenir, M. Grenier rêve de doter le Centre d’un véritable espace de travail collaboratif favorisant la création et le choc des idées, à l’image du District 3 de l’Université Concordia.

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