Le lac Témiscouata envahi par la moule zébrée

La découverte de la très envahissante moule zébrée dans le lac Témiscouata a semé la consternation dans la région cet automne. Jamais on n’en avait détecté aussi au nord ni aussi à l’est du Québec. La propagation de ce mollusque presque impossible à éradiquer, à des centaines de kilomètres des autres lieux contaminés jusqu’ici, montre l’ampleur du danger pour les plans d’eau de la province.

Un dossier de Vincent Larin

Espèce envahissante

« Ç’a été tout un choc »

Témiscouata-sur-le-Lac — Les berges du lac Témiscouata sont désertes en ce vendredi d’octobre. Les plaisanciers ont sorti leurs bateaux de l’eau, les résidants ont rangé leurs quais.

Seule patrouille une embarcation du ministère de la Faune, des Forêts et des Parcs (MFFP) chargée d’une triste mission : évaluer les secteurs de cet immense point d’eau, le deuxième en importance au sud du fleuve Saint-Laurent avec ses 39 km de long, où la moule zébrée s’est incrustée.

Revenu au quai, le technicien de la faune au MFFP Alexis Roy tire d’un petit sac une grosse écrevisse, laissée là à la blague par un plongeur. Sauf que lui n’entend pas rire. « On va juste regarder s’il n’y a pas de moules zébrées dessus », dit-il en tournant le crustacé de tous les bords.

Parce qu’avec les petits poils situés sous sa coquille, ce mollusque originaire d’Eurasie et pas plus gros que l’ongle d’un doigt se colle partout, explique la biologiste à la Direction de la gestion de la faune du Bas-Saint-Laurent Stéphanie Arseneault. Même sur les espèces indigènes, précise-t-elle en tendant une grosse moule sur laquelle est fixée sa cousine zébrée, beaucoup plus petite.

Un envahisseur coriace

Présente dans le fleuve Saint-Laurent et dans plusieurs grands lacs de l’Estrie, dont le Memphrémagog et le Massawippi, où on tente de l’en déloger par tous les moyens, la moule zébrée est considérée comme impossible à éradiquer.

En cause : le million d’œufs que chaque spécimen peut pondre chaque année et dont les larves sont presque invisibles, explique Stéphanie Arseneault. Alerté de sa présence par un citoyen, dont les enfants récoltaient des objets sur la plage, l’Organisme de bassin versant du fleuve Saint-Jean (OBVFSJ) a contacté le MFFP.

Depuis septembre, des plongeurs et les employés du Ministère tentent de déterminer quels sont les secteurs les plus touchés.

Sous le radar

Or, jusqu’ici, cette espèce hautement envahissante qui peut changer en l’espace de quelques années l’apparence d’un lac n’était qu’une lointaine pensée pour les Témilacois.

En témoigne le maire de Témiscouata-sur-le-Lac, Denis Blais, élu récemment. « La protection du lac avait été mentionnée souvent durant la campagne électorale de novembre 2021, on parlait de la myriophylle [à épis, une plante aquatique exotique envahissante aussi présente dans le lac Témiscouata], mais pas une seule fois de la moule zébrée », se souvient-il.

Et pourtant, elle était bel et bien installée dans le lac, confirme la découverte de spécimens âgés de jusqu’à 2 ans. « Les individus avaient des tailles variées, ce qui portait à croire que la moule était présente depuis plus d’un an. Ça ne s’est pas fait cette année, donc ça fait un certain temps », explique Stéphanie Arseneault.

Pour Denis Blais, « ç’a été tout un choc ». « Quand ils ont sorti les bateaux l’an passé, personne n’est venu nous voir pour dire qu’il y avait des moules alors que cette année, même chose, on sort les bateaux et là, merde, on en a », soupire-t-il.

La nouvelle a aussi pris de court les fonctionnaires du MFFP. « On s’attendait à ce que ça monte peut-être progressivement, mais que ça passe directement de l’Estrie au Bas-Saint-Laurent, ç’a été une surprise et on a dû rapidement se mobiliser », indique la biologiste Stéphanie Arseneault.

À plusieurs endroits

À première vue, elles pourraient passer pour de simples détritus, de petits cailloux, mais en se penchant sur les quais sortis de l’eau cet automne à la marina de Cabano, il n’y a aucun doute possible : ils sont recouverts de moules zébrées.

Même constat à Notre-Dame-du-Lac, à une dizaine de kilomètres de là, où le petit mollusque peut être vu sur des installations de la traverse du lac Témiscouata sorties de l’eau à l’hiver.

Hydro-Québec dit suivre « la situation de près » alors que des spécimens de moules zébrées ont été détectés dans le barrage Témiscouata, situé à l’extrémité sud du lac, où il se jette dans la rivière Madawaska.

La société d’État précise ne pas utiliser de traitements au chlore pour contrôler la croissance des moules zébrées dans ses barrages « à l’heure actuelle », comme le fait Manitoba Hydro à des doses « semblables à la concentration de chlore que l’on retrouve dans l’eau potable », précise son site web.

« Nous contrôlons la présence du mollusque dans nos installations en procédant manuellement, à l’aide de robots, de jets d’eau ou par intervention humaine », indique une porte-parole d’Hydro-Québec, Cynthia Rivard.

Prévenir le pire

Comme le mollusque a une courte durée de vie et qu’il se reproduit en grand nombre, les coquilles mortes finissent pas recouvrir les plages, blessant au passage les pieds des baigneurs, sans parler des odeurs.

On pourra éventuellement considérer de recouvrir le fond des aires de baignade de bâches en plastique afin d’empêcher la moule zébrée de s’y développer, explique la directrice de l’OBVFSJ, Anne Allard-Duchêne.

À court terme, la municipalité devra allonger sa prise d’eau, indique le maire Denis Blais, afin de s’assurer qu’elle ne devient pas obstruée par les moules qui peuvent peupler le fond des lacs jusqu’à une profondeur d’environ une dizaine de mètres.

De plus, on craint maintenant la présence de la moule quagga, une proche voisine de la moule zébrée, mais dont les individus peuvent s’établir au-delà de 12 mètres de profondeur. « Si elle est présente, ça peut changer le portrait de l’évolution de la propagation », indique la biologiste Stéphanie Arseneault.

À long terme, le visage de ce joyau du Bas-Saint-Laurent risque de changer, soupire Anne Allard-Duchêne.

Des espèces endémiques du lac Témiscouata comme le touladi et la ouananiche sont vulnérables face à l’envahisseur qui filtre l’eau, jusqu’à un litre par heure par moule zébrée, et vide ainsi le lac de ses nutriments. Les algues peuvent ensuite proliférer.

« Ça dépend quels poissons tu aimes. Si tu aimes le touladi, c’est pour le pire, mais si tu préfères les poissons d’herbiers comme la barbotte, c’est pour le mieux », lâche Anne Allard-Duchêne, mi-figue, mi-raisin.

Adopter de bonnes pratiques

Comme il est acquis que l’espèce envahissante a été introduite par le transfert d’embarcations ou de matériel, les élus de la région évaluent l’option de restreindre les accès au lac. « On est devenus la bête à abattre, si je puis dire. Personne ne veut avoir des gens de Témiscouata-sur-le-Lac sur leurs lacs », s’inquiète Denis Blais.

Stéphanie Arseneault insiste aussi sur l’importance pour les plaisanciers d’adopter de bonnes pratiques, parmi lesquelles laver son bateau et tout son matériel chaque fois qu’on le transfère d’un plan d’eau à un autre. « Les gens vont prendre de bonnes résolutions, mais il faut que ça tienne jusqu’à l’an prochain », dit-elle.

Puis on retient son souffle au Témiscouata en attendant les résultats d’analyses qui seront menées dans les mois à venir dans les autres lacs de la région.

66 km2

Superficie du lac Témiscouata qui, avec ses 40 km2 de long, représente la plus importante nappe d’eau du paysage appalachien du Bas-Saint-Laurent. Il s’agit également du deuxième lac en superficie au sud du fleuve Saint-Laurent.

Source : Commission de toponymie du Québec

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Nombre d’espèces de poissons dans le lac Témiscouata parmi lesquelles cinq sont d’intérêt pour la pêche sportive. C’est un lac qui avait jusqu’ici assez bien conservé son caractère indigène. C’est-à-dire que la diversité des espèces de poissons a peu changé depuis l’arrivée des premiers européens.

Source : Organisme de bassin versant du fleuve Saint-Jean

Moule zébrée

Une région en alerte

La découverte en septembre de moules zébrées dans le lac Témiscouata a mis en alerte toute la région, où l’on considère maintenant de restreindre les accès privés à l’eau, une décision qui pourrait déplaire à certains riverains.

Connue pour ses nombreux grands points d’eau, parmi lesquels le lac Long, le lac Squatec et le lac Pohénégamook, qui attirent des pêcheurs et des plaisanciers de partout dans la province, la MRC de Témiscouata se montre particulièrement inquiète par le développement survenu cet automne.

Le 12 octobre dernier, après une rencontre citoyenne organisée pour prévenir la population locale des risques associés à la moule zébrée, les élus locaux ont été rencontrés, indique son préfet, Serge Pelletier.

« Dès le départ, ils nous ont informés qu’on devra porter une attention très particulière là-dessus parce qu’on est davantage à risque que d’autres territoires, explique-t-il, en entrevue. La seule façon de s’en sortir, c’est que tout le monde mette la main à la pâte. »

Fermer les accès

À Témiscouata-sur-le-Lac, on envisage même de réduire les nouveaux accès privés au lac. S’il dit s’attendre à une certaine résistance, le maire Denis Blais s’attend aussi à avoir des appuis. « On a de la belle pêche et beaucoup de nos résidants savent que c’est important et vont être de notre côté », dit-il.

« À un moment donné, ça va prendre du courage politique. On comprend que les gens qui s’achètent des terrains à 250 000 $ sur le bord du lac et y construisent une maison à un demi-million, ils veulent leur [propre] descente au lac, mais ça va peut-être être de dire : ça, c’est terminé. Parce qu’on le met où, le contrôle, sinon ? »

— Denis Blais, maire de Témiscouata-sur-le-Lac

À Pohénégamook, à une trentaine de kilomètres à vol d’oiseau de Témiscouata-sur-le-Lac, on a préféré agir avant même de savoir si l’espèce envahissante était présente dans le lac. Le 24 octobre dernier, la municipalité a annoncé qu’elle fermerait huit accès non surveillés.

Le maire Benoit Morin déplore toutefois la lenteur de Québec à l’appuyer dans ses démarches afin de fermer certaines des entrées situées sur des terres publiques utilisées par des riverains réfractaires qui préfèrent utiliser des accès non officiels pour y mettre leurs bateaux à l’eau.

« Mais quand on a fait la demande en décembre [2021], ça a pris six ou sept mois pour avoir une réponse, et c’était une réponse négative », raconte-t-il. Le dossier aurait ensuite été transféré au ministère de l’Environnement, qui a suggéré « de planter des petits arbres et de planter de la verdure », ajoute Benoit Morin.

« Heille, quand on sait que [les réfractaires] passent par-dessus des roches, qu’ils tassent de gros morceaux de béton de 3000 livres, pensez-vous vraiment que des petits arbres et de la végétation font faire que ces gens vont arrêter demain matin ? », s’indigne-t-il.

Qui paiera la facture ?

Mais qui paiera pour les nouvelles stations de lavage, les employés qui devront y travailler ? Une cotisation devra éventuellement être demandée aux citoyens qui utilisent les installations de lavage et mettent leurs bateaux à l’eau dans les marinas municipales, estiment les maires Benoit Morin et Denis Blais.

Éventuellement, Québec ne pourra faire autrement que d’investir dans la lutte contre la moule zébrée, estime le préfet Serge Pelletier.

Lors de la dernière campagne, le premier ministre du Québec, François Legault, a promis la création d’un « Fonds bleu » de 650 millions afin de protéger les plans d’eau. Parmi les constats qu’il dressait alors : nos lacs sont menacés par des « plantes aquatiques exotiques, des taux de phosphore trop élevés, des épisodes d’algues bleu-vert, sans compter les impacts des changements climatiques ».

Perdue d’avance

Mais la situation semble perdue d’avance pour les points d’eau en aval du lac Témiscouata, y compris le fleuve Saint-Jean qui coule jusqu’au Maine et dans la baie de Fundy, au Nouveau-Brunswick.

Car, étant donné la taille quasi microscopique des larves de moules zébrées, rien ne peut les empêcher de descendre les rivières. « Du moment où elle est en tête de bassin versant, c’est malheureusement impossible de l’éradiquer totalement. Il faudrait qu’il y ait quelque chose pour capter l’ensemble des larves en suspension, ce qui est utopique », explique la biologiste du MFFP Stéphanie Arseneault.

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