OPINION  COMPRESSIONS EN ÉDUCATION

Frappée de plein fouet

La classe moyenne devra aller chercher au privé les services autrefois offerts à l’école

Il y a bientôt 11 ans, j’ai été élue commissaire scolaire. Du haut de mes 19 ans, j’entrevoyais avec enthousiasme la possibilité d’ajouter mon grain de sel dans les décisions qui seraient prises concernant l’instruction publique à Montréal.

Onze ans plus tard, je quitte la vie scolaire complètement indignée. Indignée parce que, même si mes collègues et moi avons consenti les efforts nécessaires au redressement budgétaire de notre institution, ce n’est jamais assez. Indignée parce que nous sommes bien placés pour voir les impacts qu’auront les décisions que nous force à prendre le gouvernement. Indignée parce que, comme contribuable, je sais que nos institutions publiques sont de moins en moins en mesure d’assurer les suivis budgétaires.

Et comme citoyenne, je suis inquiète. Contrairement à ce que semble penser Philippe Couillard, les impacts de ces compressions se feront sentir pendant de nombreuses années. Du haut de mes maintenant 30 ans, je comprends que mon idéal d’égalité des chances ne pèse pas assez lourd par rapport aux concepts de déficit zéro, de baisses d’impôts et d’austérité. Parce que la cote de crédit du Québec est bien plus importante…

Je ne peux pas parler pour les autres, mais j’étais aux premières loges de ma commission scolaire pour voir les efforts qui ont été demandés. On nous a demandé de réduire la bureaucratie sans toucher aux services aux élèves. Entre 2012 et 2014, pour la CSDM seulement, 191 postes administratifs ont été abolis pour une économie de près de 12 millions, sans compter ceux qui avaient déjà été abolis auparavant. Nos taux d’encadrement sont parmi les plus bas, toutes catégories confondues, incluant le secteur privé. Avec moins de 4 % du budget global dédié à l’administration, il n’y a plus rien de ces « bureaucrates » à couper.

Malgré le discours voulant que le gouvernement veuille réduire le « fardeau fiscal » de la classe moyenne, la vérité, c’est que c’est cette classe moyenne qui est frappée de plein fouet par nos décisions, car elle devra aller chercher au privé les services autrefois offerts à l’école : orthophonistes, psychologues, livres de bibliothèque… Les pauvres, les 42 % d’élèves provenant de familles sous le seuil de la pauvreté, eux, resteront scolarisés dans des écoles avec peu ou pas de services.

On a fait grand cas des déclarations du ministre Bolduc. Malheureusement pour lui, il n’a fait que dire la vérité sur les orientations de son gouvernement… En juillet, il affirmait que la CSDM devait faire un effort et se départir de sa mission sociale. En pratique, ce que ça veut dire, c’est que l’aide alimentaire pourrait ne plus être offerte aux enfants pour qu’ils mangent. Que l’aide aux devoirs serait supprimée. Que de nombreux organismes communautaires, logés dans des anciens bâtiments scolaires, n’auraient plus les moyens de payer leur loyer et de rendre des services. Que les parents analphabètes ne pourront plus bénéficier des cours offerts par les centres d’éducation populaire.

Comme décideurs, on essaie toujours de faire « le moins pire des choix »… Mais c’est systématiquement un choix dramatique pour la communauté de l’école et pour les enfants. Ces petits, moyens et grands drames, j’en ai été témoin pendant 11 ans. C’est bien là l’avantage des gouvernements locaux, comme les commissions scolaires : la proximité. C’est donc sur les commissaires scolaires que l’odieux du choix repose. C’est beaucoup plus facile de couper quand ce sont d’autres qui doivent trouver où. C’est surtout beaucoup plus facile de se libérer de la décision quand d’autres sont en première ligne…

Le gouvernement connaît la situation financière des commissions scolaires et des écoles publiques. Il fait la sourde oreille. J’espère qu’il reviendra à la raison bientôt, car ce ne sera pas long avant qu’il faille ramasser les pots cassés.

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