Opinion Alexandre Taillefer

Rêver à une batterie entièrement québécoise

Le Québec est stratégiquement positionné pour devenir un acteur important dans le développement des batteries pour les marchés en forte croissance que sont les véhicules électriques, mais aussi le stockage d’énergie.

De l’extraction à la transformation du spodumène, minerai que l’on retrouve dans les mines québécoises, en passant par le développement de composants qui serviront à concevoir des cellules qui se retrouveront finalement dans des batteries, la filière du lithium pourrait permettre au Québec de développer une chaîne verticalement intégrée.

Le Québec a participé au financement de deux sociétés minières, North American Lithium et Nemaska Lithium, une entreprise qui veut extraire et transformer du spodumène en hydroxyde de lithium, un produit de très haute qualité qui est très recherché. 

Malheureusement, les deux entreprises sont aujourd’hui dans des situations difficiles, la chute de près de 50 % du prix du spodumène dans la dernière année ayant modifié les perspectives de leur plan d’affaires. Investissement Québec a plus d’une centaine de millions de dollars à risque.

Ce n’est pas la première fois que l’on investit dans des aventures lithiumesques qui s’avèrent malheureuses. Un autre exemple est l’usine d’Avestor, construite par Hydro-Québec pour une somme d’environ 200 millions et qui a été revendue en 2006 pour quelques millions de dollars au géant français Bolloré.

Tous ces échecs et ces prises de risques devraient-ils refroidir les ardeurs de notre gouvernement et d’Hydro-Québec ? J’espère bien que non. Nous baisserions les bras alors que le marché est enfin en explosion. 

Mercedes-Benz a annoncé qu’elle ne développerait plus jamais de nouveau moteur thermique. Et certains, comme l’économiste réputé Jeremy Rifkin, prévoient l’effondrement de l’industrie des énergies fossiles d’ici moins de 10 ans.

Les réserves du Québec en lithium sont importantes. Nous en détiendrons 2 millions de tonnes, soit 4 % des réserves mondiales. D’autres acteurs en détiennent bien plus, avec au premier rang la Bolivie et ses 21 millions de tonnes, comme l’expliquait Philippe Mercure dans son dossier à ce sujet dans La Presse+ de samedi dernier.

Mais le minerai ne constitue qu’une partie de l’équation. La transformation finale du minerai en batterie est cruciale pour permettre de créer une réelle richesse ici.

Une batterie finie vaut entre 16 et 20 fois le prix de la matière première.

Deux facteurs nous différencient de façon importante des autres grands pays producteurs.

Au premier rang, les brevets

Hydro-Québec, par l’entremise de son institut de recherche, a financé une équipe de chercheurs de haut niveau qui ont effectué des découvertes fondamentales pour lesquelles ils détiennent des brevets internationaux. Ces brevets couvrent non seulement des technologies bien établies comme la batterie au lithium-fer-phosphate, mais également ce que tous s’entendent pour décrire comme le prochain saut quantique en matière de batterie : la batterie dite solide. Elle permettrait une densité environ deux fois supérieure aux meilleures batteries actuellement produites.

Un brevet ne vaut toutefois que ce qu’on est prêt à investir pour le défendre. Hydro-Québec devra à ce titre être agressive. Mais ne devrions-nous pas aussi nous assurer de ne pas encourager le vol de propriété intellectuelle ? Il semble impensable que nous acceptions d’acheter des véhicules provenant d’entreprises qui ne respectent pas nos propres brevets. 

C’est pourtant ce que nous faisons quand nos sociétés de transport achètent des autobus provenant de la Chine, construits par des entreprises qui pillent systématiquement nos brevets. Il est urgent de revoir nos règles d’approvisionnement pour les exclure d’office.

Au second rang, la proximité des marchés

Le marché pour la batterie du Nord-Est américain sera l’un des plus importants de la planète. La proximité du producteur sera un atout important.

De nombreux manufacturiers dans le domaine du transport se situent à moins de 1000 km de chez nous. Des firmes québécoises innovantes comme Lion ou Nordresa, récemment achetée par l’américaine Dana, mais aussi d’importants manufacturiers automobiles situés en Ontario ou à Detroit.

L’autre segment de marché fort prometteur est le stockage d’énergie, avec comme premier client naturel Hydro-Québec. Le stockage d’énergie, qu’il soit géré par les grands distributeurs ou distribué en petites batteries chez des centaines de milliers de clients, représente la plus grande occasion pour l’avenir de notre réseau énergétique, qui sera intelligent et diversifié. La batterie permet de transformer une énergie de faible valeur due à son imprévisibilité, comme l’énergie solaire ou l’énergie éolienne, en une puissance fiable et instantanée.

Le ministre Pierre Fitzgibbon a mentionné vouloir continuer à soutenir l’industrie. Il a sagement ajouté vouloir s’associer à de grands acteurs internationaux qui possèdent les compétences requises pour nous aider à connaître du succès. De grands groupes industriels coréens ou japonais pourraient certainement avoir un intérêt à exploiter nos ressources et nos brevets en partenariat avec des investisseurs locaux. Une étude sérieuse réalisée par KPMG et financée par Propulsion, la grappe chargée de l’électrification des transports au Québec, a su capter tout le potentiel lié à ce beau rêve. Nul doute que le lithium est appelé à un avenir fort radieux si le Québec joue bien ses cartes.

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