Saint-Césaire

« Ils n’ont pas de pitié »

SAINT-CÉSAIRE — Des écoliers marchent, sautillent et courent devant la propriété de Marie-Josée Forget, avenue Saint-Paul. Dans son salon, on entend en sourdine des cris et des rires d’enfants. Quand sonne la cloche de l’école Saint-Vincent, sise tout juste derrière chez elle, le silence tombe. Lourdement. Sa maison sera démolie dès cet hiver ; elle en a reçu la confirmation il y a 15 jours. « On doit partir d’ici le 31 janvier. On panique, on ne sait pas quoi faire », confie-t-elle en se frottant le front. À ses côtés, sa mère Micheline pleure.

L’école primaire Saint-Vincent, qui accueille plus de 450 élèves dans 22 classes, fonctionne actuellement à plein régime. En juin 2014, la Commission scolaire des Hautes-Rivières a annoncé un surplus anticipé de 150 à 200 élèves pour la rentrée de septembre 2017. « C’est un effet de l’étalement urbain. Saint-Césaire compte de plus en plus de résidants, on y construit beaucoup de maisons neuves. Et le récent baby-boom nous rattrape aujourd’hui », explique Andrée Bouchard, présidente de la commission scolaire. Il était impossible de prévoir le coup plus tôt, selon elle. Il fallait donc trouver une solution, et ce, de façon urgente. 

Il a d’abord été question de reloger des élèves de Saint-Césaire dans une nouvelle école à Ange-Gardien, municipalité située à une dizaine de kilomètres. Cette proposition a toutefois soulevé l’ire des citoyens de Saint-Césaire qui, le 16 novembre 2014, ont manifesté en grand nombre dans les rues. Sur les pancartes brandies, le slogan : « À vendre. Pas d’école, on décolle ». Mère d’une famille monoparentale de deux enfants, Marie-Josée Forget était du lot.

« J’ai acheté ma maison pour sa proximité de l’école. Je ne pensais pas que je marchais vers mon expropriation. »

— Marie-Josée Forget, qui sera expropriée en janvier

Quelques jours plus tard, on l’informait que sa propriété faisait l’objet d’un avis de réserve en vue d’une expropriation. « Je suis toujours en train de rénover ; j’ai dû tout stopper », dit-elle. Huit de ses voisins, sur l’avenue Saint-Paul et la rue de Vimy, ont reçu le même avis. Depuis plusieurs mois, les futurs expropriés vivent dans l’incertitude et l’urgence. La date d’expropriation a été repoussée à trois reprises. Les citoyens touchés se sentent démunis et déplorent le manque de communication de la Ville dans le dossier. 

« ÇA ME BOULEVERSE TROP »

Rencontré en février, André Giroux était anéanti. Il habite sa maison depuis 53 ans. Sa femme y est décédée il y a deux ans. Il voulait y mourir aussi, nous ont répété ses voisins. « Je suis le plus vieux des expropriés. J’ai élevé ici mes quatre enfants, confie l’octogénaire. Ils n’ont pas de pitié : dès qu’ils ont besoin, ils prennent ta maison. On vit ça au jour le jour. Ils nous ont convoqués en novembre pour nous dire qu’ils voulaient nos maisons. Depuis, plus rien. Je ne sais pas ce qui se passe. Doit-on se préparer pour rester ou pour partir ? Je préfère ne plus en parler, ça me bouleverse trop. »

Près d’un an après les premières rumeurs, les citoyens ont reçu à la fin septembre l’avis officiel d’expropriation. La ville a 60 jours pour déposer ses offres détaillées. « Le processus de négociations de gré à gré a débuté, mais aucune entente n’a été conclue à ce jour. Le temps presse », admet Bertrand Déry, directeur général de la municipalité de Saint-Césaire. Selon les exigences de la Commission scolaire des Hautes-Rivières, les terrains doivent être libres de toutes contraintes en mars 2016.

« GARDER NOS ENFANTS »

L’école Saint-Vincent est située au coeur de l’ancien village, bordée par le cimetière et entourée d’habitations modestes, dont plusieurs maisons centenaires. Pour l’agrandir, il faut détruire. Qu’en pensent les citoyens ? À la cantine Normandin comme au dépanneur du quartier, le sujet est rarement évoqué, nous dit-on. « L’important est de garder nos enfants, c’est le cœur d’un village », dit un résidant. Les langues se délient davantage au salon de coiffure. « Les clients craignent que les expropriés se fassent de l’argent sur le dos des contribuables. Rares sont ceux qui montrent de l’empathie », confie une coiffeuse.

Le coût des expropriations, estimé à 3,46 millions de dollars, incombe effectivement à la municipalité. Une partie sera épongée par les revenus obtenus de la vente du golf (1,5 million), mais un règlement d’emprunt (1,96 million) a néanmoins été nécessaire. Du coup, les citoyens verront immanquablement leurs avis d’imposition foncière augmenter. Le 20 juillet 2015, la population a été invitée à signer un registre pour forcer la tenue d’un référendum sur ce règlement d’emprunt. À peine 124 citoyens se sont déplacés, alors qu’un minimum de 286 signatures était requis. Le projet aurait pu être stoppé, pensent Marie-Josée Forget et ses voisins. « Les gens ne se sentent pas concernés », déplore-t-elle.

Le maire Guy Benjamin assure qu’il a tenté d’éviter les expropriations. Mais en raison d’un « calendrier extrêmement serré », les scénarios envisagés « se sont avérés problématiques et limités », a-t-il affirmé par communiqué en novembre 2014. Faute de terrain disponible, la construction d’une nouvelle école était impossible, tandis que l’agrandissement de l’école secondaire Paul-Germain-Ostiguy a rapidement été écarté, a-t-on expliqué lors d’une assemblée publique tenue au printemps.

L’école Saint-Vincent agrandie et rénovée sera prête pour la rentrée de 2017, prévoit-on. « Nous sommes contents. On se battait pour garder nos enfants à Saint-Césaire et pour la croissance de notre ville, dit Yan Verhoef, président du conseil d’établissement. On sait que l’absence d’école est un frein à l’accueil de nouveaux résidants. On se désole pour les expropriés. J’espère qu’ils seront justement indemnisés. »

Maintenant fixés, Marie-Josée Forget et ses voisins se font à la douloureuse idée de laisser derrière eux une importante partie de leur vie. Emportée par les bulldozers. Dans la froidure de janvier.

EXPROPRIATION MUNICIPALE : SOUS QUELS MOTIFS ? 

« Une municipalité a le droit d'exproprier pour des fins d'intérêt public, selon ses compétences. Le cas présent est exceptionnel.  Puisqu'il s'agit d'une école, l'expropriation incomberait en principe à la commission scolaire », indique Guillaume Rousseau, professeur de droit public à la Faculté de droit de l'Université de Sherbrooke. Une municipalité peut néanmoins procéder à une expropriation selon des dispositions générales de bien-être de la population, ajoute-t-il. La ville de Saint-Césaire, après décision du conseil municipal, a agi en ce sens. « Si on ne donnait pas les terrains visés, nos élèves auraient été déplacés ailleurs. La commission scolaire n'a pas le budget. On a agi pour le bien-être des familles et pour l'accroissement de la ville. Il y a un prix à payer, mais c'est l'ensemble de la communauté qui en bénéficiera », indique Me Isabelle François, avocate de la ville de Saint-Césaire. 

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