Série Alimentation
RÉDUIRE L’EMPREINTE EAU
La Presse
« C’est un concept qui n’est vraiment pas sexy… », lance l’auteure Élise Desaulniers, au bout du fil.
Effectivement.
Manger est devenu compliqué. Les dernières études en nutrition et les enjeux environnementaux suivent les consommateurs jusque dans les allées d’épicerie. Dans ce contexte, ajouter une donnée aussi complexe que la quantité d’eau requise pour produire un aliment risque d’être la goutte qui fera déborder le vase de nombreux consommateurs déjà très suspicieux.
Malgré cela, on parle de plus en plus d’empreinte eau en alimentation.
Le concept quantifie l’eau nécessaire pour produire un aliment, de la ferme à la table. Il va bien au-delà de la quantité d’eau utilisée pour irriguer les champs et tient compte de la nature des diverses sources d’eau, ce qui rend son calcul très complexe.
« Ça part du constat très simple que la quantité d’eau nécessaire pour produire un aliment n’est pas la même d’un aliment à un autre. »
— Frédéric Lasserre, professeur au département de géographie de l’Université Laval
Le résultat est une moyenne. Il est là pour fournir un ordre de grandeur, dit le professeur Lasserre.
La production des matières premières de nos aliments demande beaucoup d’eau.
Par exemple, il faut au moins 130 L d’eau pour arriver à produire ce qui donnera, au bout du compte, une tasse de café. Si vous buvez deux petites tasses de café tous les jours, c’est 91 520 L d’eau utilisée à votre insu par année.
Impressionnant ? Si vous mangez beaucoup de viande, ce n’est pas votre consommation de café qui fera une grande différence dans votre bilan personnel. À moins que vous ne buviez du café au lait, les produits animaliers (le lait) ayant une empreinte plus lourde que les végétaux comme le café.
Puisque les animaux mangent des matières premières, céréales ou légumes, la viande se trouve en tête du palmarès des aliments ayant le plus lourd bilan en eau. Le Water Footprint Network calcule qu’il faut 15 000 L d’eau pour obtenir, au bout de la chaîne, 1 kg de bœuf. « Plus l’animal est gros, plus la quantité d’eau nécessaire à produire les intrants est conséquente », précise Frédéric Lasserre. Évidemment, la quantité d’eau requise varie d’un pays à l’autre et selon le type de production. Des variables, comme la source d’alimentation de l’animal, modifient aussi l’empreinte et devraient être prises en compte.
Pour cela, il faudrait impérativement inclure dans cette évaluation l’endroit d’où vient l’aliment. Un bœuf élevé au Québec aura nécessairement une empreinte eau moins élevée que celui du Midwest américain où l’on irrigue les champs, explique Dominique Maxime, analyste au Centre international de référence sur le cycle de vie des produits, procédés et services de Polytechnique Montréal (CIRAIG).
« L’empreinte eau est très différente d’une région à l’autre », confirme sa collègue Anne-Marie Boulay, chercheuse au CIRAIG. « Consommer un mètre cube d’eau n’a pas le même impact qu’on soit au Canada, en Égypte, au Brésil ou en Australie », dit-elle. La chercheuse travaille avec un groupe des Nations unies afin de créer une empreinte plus précise qui tient compte du cycle de vie des aliments.
85 %
Proportion de la consommation d’eau douce de la planète accaparée par le secteur agricole, selon une recherche de l’UNESCO.
Pour que les consommateurs assimilent une nouvelle idée en alimentation, des concepts aussi sophistiqués que l’empreinte eau doivent être simplifiés, explique Élise Desaulniers, auteure de deux ouvrages sur les choix alimentaires.
L’idée de faire de petits gestes verts a été bien assimilée par les consommateurs, dit-elle. Ce qui explique l’immense popularité de l’achat local fait au nom de la réduction de l’empreinte écologique. En fait, le transport ne représente qu’une toute petite partie du cycle de vie d’un aliment. « L’achat local fait notre affaire parce que ça vient chercher nos valeurs, poursuit Élise Desaulniers. On aime nos agriculteurs et on veut encourager l’économie locale. »
« Alors d’apprendre que c’est parfois mieux d’acheter un produit importé parce que son empreinte écologique est moins importante, c’est très déstabilisant », explique l’auteure.
« Les concepts en alimentation sont difficiles à comprendre, même ceux qui touchent notre santé », poursuit Élise Desaulniers. Lorsqu’il est question d’alimentation durable, les consommateurs sont aux prises avec des idées qui leur semblent souvent abstraites.
« J’aime bien présenter deux aliments équivalents pour donner des exemples concrets. Le litre de lait de soya demande 300 L d’eau à produire, ce qui est déjà beaucoup. Le litre de lait de vache demande 1000 L d’eau. »
— Élise Desaulniers, auteure de
un ouvrage sur l’industrie laitière.Il faut environ 10 ans pour que les consommateurs intègrent une nouvelle recommandation en alimentation, estime Élise Desaulniers.
Dans ce registre, la pêche durable est un exemple intéressant, dit le nutritionniste Bernard Lavallée. Le concept, incompréhensible pour les consommateurs il y a une dizaine d’années seulement, a fait son chemin. Maintenant, de nombreux transformateurs alimentaires et épiceries ne travaillent plus qu’avec des pêcheries qui ont adopté une pratique écologique.
Sachant que les consommateurs sont souvent démunis devant tant d’informations, les recommandations faites par les autorités alimentaires devraient-elles tenir compte des enjeux environnementaux ?
« Absolument ! Lorsqu’on fait des recommandations, on doit tenir compte de ce qui nous nourrit, estime le nutritionniste Bernard Lavallée. Si on pollue notre eau en produisant nos aliments et qu’ensuite on arrose les champs avec cette eau, dans 20 et 30 ans, on ne pourra plus faire de recommandations. »