Éditorial Agnès Gruda

LUTTE CONTRE LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES
Merci, Greta

Le 20 août 2018, jour de rentrée scolaire en Suède, une adolescente de 15 ans a planté sa pancarte devant le siège du Parlement, appelant les pouvoirs publics à agir d’urgence pour stopper le réchauffement climatique.

Un an plus tard, Greta Thunberg est devenue une icône planétaire de la lutte contre les émissions de carbone. Mais aussi une tête de Turc pour ceux que son message dérange.

Ses « grèves scolaires pour le climat » se sont transformées en un mouvement mondial qui a rejoint 1,6 million de personnes dans 133 pays. Elle a récolté des prix, dont celui d’Ambassadeur de la conscience d’Amnistie internationale, a fait la une de magazines prestigieux, a rencontré le pape et d’autres grands de ce monde. Elle s’est exprimée à d’innombrables tribunes dont le Forum économique mondial et la conférence COP24 sur les changements climatiques.

Au moment où l’on écrit ces lignes, la jeune Suédoise, en « congé sabbatique » de l’école, achève sa traversée de l’océan Atlantique à bord d’un voilier « carboneutre » pour pouvoir participer à la prochaine session de l’Assemblée générale de l’ONU.

Mais parallèlement à ce rayonnement phénoménal, ou peut-être précisément à cause de celui-ci, Greta Thunberg est aussi devenue un sujet de haine et de mépris, la cible de critiques et d’insultes d’une rare virulence.

On lui reproche d’être ignorante, de se substituer aux experts, d’être manipulée, moralisatrice, catastrophiste, apocalyptique, opportuniste et simpliste, pour ne citer que ces quelques qualificatifs.

Plusieurs critiques s’en prennent à son apparence physique – son regard, ses nattes, le ton de sa voix. Greta Thunberg a même été comparée aux jeunesses hitlériennes (!) à cause de sa soi-disant prétention à une pureté idéologique.

Lors de son passage à l’Assemblée nationale française, il y a un mois, plusieurs députés de droite et d’extrême droite ont carrément boycotté son discours. « Dommage que la fessée soit interdite, elle en mériterait une bonne », a écrit sur Twitter avec condescendance une députée du Rassemblement national, parti de Marine Le Pen, provoquant une tempête sur les réseaux sociaux.

L’essayiste français Pascal Bruckner l’a décrite comme un « cyborg », un croisement entre un humain et une machine. Son collègue Michel Onfray en a rajouté en la qualifiant de « corps neutre à la parole belliqueuse ».

Au début du mois, une chronique signée par l’auteur conservateur Christopher Caldwell dans le New York Times accusait même Greta Thunberg de saper les fondements de la démocratie en refusant le débat sur l’urgence de la crise climatique.

Plus près de nous, le chroniqueur Mathieu Bock-Côté lui reproche de se donner en spectacle et met en garde contre le fanatisme propre à la jeunesse.

« Il y a quelque chose de mystique dans son regard virginal », note un autre chroniqueur, Christian Rioux, qui s’en prend aussi à la vague de « jeunisme » sur laquelle surferait celle qu’il décrit comme une nouvelle sainte, une Bernadette Soubirous qui réciterait des slogans écologiques au lieu de bénédicités.

Un cyborg ? Un regard virginal ? Un corps neutre ? Se permettrait-on les mêmes dérives verbales si Greta était un jeune homme et si elle ne souffrait pas du syndrome d’Asperger – ce qu’elle assume pleinement ?

Et puis, depuis quand les jeunes ont-ils perdu le droit de parole dont tous ces messieurs usaient allègrement il y a quelques décennies, à l’époque de leur propre jeunesse ?

Greta Thunberg n’est pas immunisée contre les erreurs. Le navire qui l’amène à New York navigue en eaux délicates. Elle a voulu faire une traversée sans émissions de carbone ; voilà que l’on apprend que son bateau, le voilier de course Malizia II, tout en étant équipé de panneaux solaires, est lié à BMW, fabricant d’autos énergivores. Et puis, l’équipage qui ramènera le voilier en Europe devra se rendre à New York en avion – ce qui rend toute cette équipée pas mal moins « carboneutre » qu’elle ne le prétend…

Cela dit, la vaste majorité des critiques visant la jeune Suédoise se sont jusqu’ici avérées sans fondement. Rien ne prouve par exemple qu’elle ait profité financièrement de son engagement pour la cause de l’environnement. Ou qu’elle ait été manipulée. Au contraire, son histoire familiale veut que ce soit elle qui ait amené sa propre mère à cesser de voyager en avion et à abandonner la consommation de viande.

Bien sûr, si on lui cherche des poux, on en trouvera. Comme l’a noté le navigateur français Yann Penfornis, « si elle avait choisi de traverser l’Atlantique sur un tronc d’arbre on l’aurait accusée de déforestation !  »

***

Mais pourquoi donc Greta Thunberg dérange-t-elle tant ? Peut-être parce que son message est simple : la planète est dans un état critique, ce n’est plus le temps de tergiverser ou de remettre à demain ce qui doit être fait aujourd’hui pour sa génération et celles qui suivront.

Peut-être aussi parce qu’elle nous met tous, collectivement et individuellement, face à nos contradictions : jusqu’où sommes-nous vraiment prêts à changer notre style de vie pour préserver celui des générations à venir ?

Comme d’autres personnes atteintes d’une forme d’autisme, Greta Thunberg a expliqué qu’elle voyait le monde en noir et blanc. Elle est allergique au mensonge. Comme l’écrit Steve Silberman, journaliste qui s’intéresse au phénomène de la « neurodiversité », Greta Thunberg ne peut tout simplement pas accepter le fait que des pétrolières mentent et que les politiciens qui leur sont redevables mentent aussi. « Cela l’affecte viscéralement », explique-t-il.

Autrement dit, Greta Thunberg prend les consensus scientifiques au mot. Et elle appelle les dirigeants de cette planète à en faire autant. À cette époque de fausses nouvelles, de manipulations et de mensonges, sa clarté et sa simplicité sont nécessaires et bienvenues.

Bien sûr, nous n’allons pas tous du jour au lendemain traverser l’Atlantique en voilier, pour ne citer que cet exemple d’arrimage entre ce que l’on sait et ce que l’on fait.

L’équipée de Greta Thunberg montre d’ailleurs à quel point une telle entreprise serait complexe. Mais en optant pour ce moyen de transport, la jeune femme nous rappelle, symboliquement, que les avions représentent plus de 2 % des émissions de gaz à effet de serre de la planète, et que si on ne peut pas les clouer complètement au sol, peut-être faut-il envisager des politiques pour réduire leur empreinte écologique. Avec une facture à la clé : celle de devoir changer quelques-unes de nos habitudes de vie.

Par la clarté, mais aussi la difficulté de ses choix, Greta Thunberg nous oblige à réfléchir. Ne serait-ce que pour ça, elle mérite qu’on lui dise merci.

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