Entrevue

L’appel du Nord

Traité des peaux

Catherine Harton

Marchand de feuilles, 

173 pages

Pour son premier recueil de nouvelles, Catherine Harton, qui avait jusqu’ici publié trois livres de poésie, avait envie de dépaysement. Son imagination est allée le plus loin possible vers le nord, attirée par ses paysages grandioses et intriguée par la vie de ceux qui l’habitent.

« Je voulais emprunter d’autres voix, m’éloigner de moi complètement. Faire parler des enfants, des personnes âgées, des adultes qui n’habitent pas le même territoire que moi. Tant qu’à faire un livre, je voulais faire quelque chose totalement à l’opposé de ce que je vis. »

L’auteure de 31 ans s’est d’abord intéressée au Groenland, puis s’est rendu compte qu’elle ne pouvait pas parler du Nord sans parler aussi du Québec et du Nunavik. Ses nouvelles se passent ainsi sur ces trois territoires. Les thèmes, de toute façon, sont souvent les mêmes : transmission, perte d’identité, choc entre mode de vie ancestral et modernité.

« La plupart des problèmes découlent du fait qu’ils vivent à mi-chemin entre les deux, dans une espèce de zone floue. Mais pourquoi on a décidé que ces gens devaient changer de mode de vie, alors qu’ils ne dérangent personne, qu’ils ont toujours vécu comme ça et que l’harmonie a toujours été préservée ? »

« C’est une constante : ce sont toujours les autochtones qui doivent s’adapter à l’homme blanc. » — Catherine Harton

Ce sont parfois des situations précises qui l’ont inspirée – les crises de folie, le prix des denrées à l’épicerie, la déforestation –, parfois plus générales – l’attente, la faim, la nuit polaire. « Comment on survit à une nuit de plusieurs mois, en sachant que ça revient chaque année ? Dans l’ensemble, de toute façon, je trouve qu’il faut être fait fort pour vivre dans le Nord. Et j’aime aussi le fait qu’ils ont appris à faire corps avec la nature, sans essayer de la dompter. »

PLUSIEURS CHEMINS

Avant de commencer à publier de la poésie – son premier recueil, Petite fille brochée au ciel, est sorti aux éditions Poètes de brousse en 2008 –, Catherine Harton faisait des arts visuels. Et elle a écrit Traité des peaux tout en poursuivant des études en psychologie. « J’ai pris plusieurs chemins, mais je dirais que l’écriture est venue naturellement. »

Si elle s’est inscrite en psycho l’an dernier, c’est que la littérature l’a amenée à s’intéresser vraiment à l’être humain, explique-t-elle. Les deux disciplines la nourrissent manifestement, car Catherine Harton réussit en quelques phrases à saisir un état d’esprit, une émotion, une situation.

Avec une fabuleuse voix poétique, ronde et rude, elle raconte ces histoires parfois belles, souvent douloureuses, mais sans excès de lyrisme ou de bons sentiments. On trouve aussi dans ce livre, en filigrane, une indignation, une colère « saine » qu’elle ne peut pas cacher.

« Plus je lisais, par exemple, sur les pensionnats autochtones, moins je comprenais comment nous, comme Blancs, on n’a jamais réagi plus fort. »

— Catherine Harton

« Je sais que je ne peux pas porter cette culpabilité, je n’étais pas née quand c’est arrivé. Mais maintenant qu’on est au courant, on a la responsabilité d’en parler, de ne pas oublier. »

BRIBES DE VIE

Catherine Harton rêve que les deux communautés apprennent à mieux communiquer. « C’est fascinant, on habite le même territoire et on ne se connaît pas ! » Sa motivation première était de faire voyager à travers des histoires. « Je ne veux aucunement m’approprier le rôle de porte-parole, ce n’est pas un je, ce n’est pas un nous, c’est une autre parole » dit-elle, précisant qu’elle a voulu saisir « l’esprit autochtone » pour écrire ces bribes de vie.

« Et on n’y arrivera jamais si on ne s’intéresse pas à leur vision de l’histoire. C’est pour ça que j’ai lu beaucoup, pour ne pas m’égarer dans ce que j’aurais pu croire être une vérité. »

En effet, alors que la plupart des auteurs québécois qui ont écrit sur le Nord y ont souvent vécu, ce n’est pas le cas de Catherine Harton. Sa connaissance est beaucoup plus encyclopédique, pourtant on a l’impression qu’elle connaît les lieux intimement.

« J’ai lu beaucoup de témoignages, regardé des documentaires, des reportages et je me suis servie de ça pour construire cet univers. En même temps, quand on aime quelque chose, ce n’est pas difficile d’embarquer et de se laisser porter. Avant toute chose, le but de ces nouvelles était de rendre hommage, de décrire les beautés nordiques. Je suis partie avec l’idée de rencontrer ces lieux magnifiques. »

Ira-t-elle un jour ? « Le livre a précédé le voyage, mais j’ai l’intention d’y aller. C’est mon prochain voyage : j’ai un appel très fort. »

EXTRAIT

Traité des peaux, de Catherine Hardon

« Après une heure, Leena est frigorifiée, elle chiale, sa mère lui demande de patienter encore quelques instants.

Puis, elle aperçoit une nageoire dorsale, de la vapeur qui sort d’un évent au ralenti, les baleines s’étirent au soleil, majestueuses, elles font gronder la mer. Leena s’imprègne de chacune des images, l’eau salée et le balancement du bateau amendent la magnificence du moment. Elle s’agrippe à une des poignées, pas de doute ce bateau est un signe de liberté.

Leena se dit que les baleines sont là pour ralentir le temps. Le moment est libéré de tous peines et doutes, le moment qu’elles viennent quêter de l’air à la surface. »

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