ÉLECTIONS PROVINCIALES ANALYSE

Frapper sur le clou des soins aux aînés

QUÉBEC — Depuis des années à l’Assemblée nationale, la Coalition avenir Québec (CAQ) frappe sur le clou des soins aux aînés. Question délicate entre toutes où la démagogie est tellement facile.

François Legault et son critique à la santé, François Paradis, martèlent que les aînés dans les CHSLD devraient bénéficier de l’assurance d’obtenir deux bains par semaine. On a cloué aussi au pilori les « patates en poudre », le menu servi aux personnes âgées dans les centres d’accueil.

Or, la CAQ dévoilait hier sa réponse aux problèmes des personnes âgées au Québec : des « Maisons des aînés », climatisées, à taille humaine – entre 70 et 130 places. Après une consultation, on amorcera les constructions ; environ 30 de ces établissements devraient être prêts sur les quatre années du mandat. Le coût de cette première phase est estimé à 1 milliard, et les dépenses d’exploitation s’élèveraient à 250 millions par an. Il faudra attendre 20 ans, soit 2038, pour que tout le réseau de ces résidences modèles soit en place. La vidéo diffusée pour appuyer l’annonce fait rêver : une sorte de cité modèle, verte et accueillante, où les chambres ont l’air de salons VIP.

Où sont passés les deux bains par semaine ? On n’en a soufflé mot hier. Les retraités auront « de meilleurs repas et des soins d’hygiène adaptés à leurs besoins », a dit François Legault en conférence de presse. Le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, avait, devant la croisade, donné le feu vert et débloqué les fonds nécessaires pour permettre un second bain, au besoin.

Chez ceux qui, au quotidien, donnent ces soins, on sait que la formule des deux bains était de la pure démagogie cultivée par François Paradis.

Pour bien des patients en perte d’autonomie, un bain est une opération plus laborieuse que plaisante. Les grabataires sont levés avec un treuil. Chez ceux qui sont atteints d’alzheimer ou de démence, les bains sont des expériences carrément traumatisantes. S’ils peuvent évoquer des moments de confort pour la grande majorité de la population, il en va autrement pour ces patients. Pour eux, un préposé attentionné peut atteindre le même objectif avec ce qui était une avancée technologique dans l’Antiquité : la débarbouillette !

Même exagération pour les menus des centres d’accueil, stigmatisés par les « patates en poudre » honnies par M. Paradis. Pour l’alimentation, le repas est un temps fort dans la journée d’un résidant. La façon dont il est donné est aussi importante que le menu. « Pour l’alimentation, le vrai problème des aînés est pour les personnes vivant seules qui, souvent, s’alimentent très mal », observe Michelle Charpentier, responsable de la Chaire sur le vieillissement de l’Université du Québec à Montréal.

Pour elle, les 30 établissements à 100 places en moyenne promis par M. Legault sont une « goutte d’eau dans l’océan ». À Montréal, on attend jusqu’à deux ans pour avoir une place en CHSLD, rappelle-t-elle. Selon les chiffres de la FADOQ, on compte 155 000 places d’hébergement pour aînés au Québec, dont 17 % relèvent du secteur public. Dans ces établissements publics, on retrouve environ 30 000 personnes âgées, dont 70 % sont très vulnérables, en lourde perte d’autonomie.

Selon Michelle Charpentier, la solution pour les établissements pour aînés est bien simple : « Pourquoi ne pas améliorer ce qui est là ? »

« La façon d’améliorer les soins, c’est d’augmenter le nombre d’employés, d’avoir des employés compétents, mieux formés. À travers le monde, tous les spécialistes s’entendent sur ce point. On a des gens en attente. Pourquoi réinventer la roue ? »

— Michelle Charpentier, responsable de la Chaire sur le vieillissement de l’Université du Québec à Montréal

Pierre Blain, PDG des Usagers de la santé du Québec, est du même avis. Sa demande aux quatre chefs de parti en ce début de campagne électorale ? « Des engagements pour former du personnel. Actuellement, on est en pénurie. Il en faut dans chacune des régions. »

M. Blain était aussi perplexe devant l’annonce de la CAQ. Parle-t-on d’établissements où on donnera des soins ? La clientèle sera-t-elle autonome ? Sur la vidéo, les personnages circulent facilement sur les allées verdoyantes. Que fait-on des clientèles qui ne peuvent se déplacer ou dont les allées et venues doivent être restreintes ?

Les repas seront-ils préparés sur place ou, comme c’est le cas actuellement, dans des cuisines centralisées ? Surtout, que fera un gouvernement Legault du parc immobilier actuel ? « Actuellement, beaucoup d’anciens hôpitaux ont été convertis en CHSLD. Va- t-on les démolir ? », s’interroge Pierre Blain.

D’autres personnes relèvent des considérations bien pratiques. À Laval, par exemple, il n’y a même plus de terrains pour construire des écoles ! À Montréal, les élèves sont envoyés dans des bâtiments temporaires ! Avant de construire des villages de rêve, on pourrait améliorer un parc immobilier désuet.

Canicule oblige, les résidences modèles que propose la CAQ seront à coup sûr climatisées. Pour le réseau existant, François Legault dit s’en remettre à un programme existant ; le ministre Barrette avait mis 150 millions pour assurer que chaque résidence ait au moins un espace commun climatisé. Ministre de la Santé, en 2002, après une autre canicule, François Legault avait soutenu que la climatisation des établissements de santé coûterait des centaines de millions de dollars, une facture faramineuse.

Climatiser partout était trop cher ; une intervention plus ciblée est réalisable. Comme pour les résidences de rêve proposées par la CAQ, le mieux est l’ennemi du bien.

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