Analyse

Incompétence et laxisme au ministère des Finances du Canada

Le propriétaire du Centre québécois de formation en fiscalité (CQFF), Yves Chartrand, ne mâche pas ses mots et accuse le ministère des Finances du Canada de plusieurs maux. Dans un bulletin d’information publié en soirée hier sur le site du CQFF, il mentionne les « erreurs », les « omissions grossières », « l’incompétence » et une « absence d’intervention » du Ministère, qui auraient causé des préjudices aux contribuables et fait perdre des revenus au gouvernement fédéral.

Le CQFF soutient que les bourdes des fonctionnaires du ministère des Finances du Canada (et non de l’Agence du revenu du Canada) ont coûté des milliards de dollars sur plusieurs années.

Retard de l’ajustement de six ans de l’imposition des dividendes « ordinaires »

Entre 2008 et 2015, le taux d’imposition des petites entreprises (PME) est passé de 13,12 % à 11,0 %. En baissant le taux d’imposition des entreprises, on aurait dû ajuster l’imposition des dividendes pour respecter le principe d’intégration. Il faut dire que « l’impôt payé par la société plus l’impôt payé par le particulier sur les dividendes sont censés correspondre au même total que si le particulier avait lui-même gagné le revenu d’entreprise ». Le problème ? Les fonctionnaires du ministère des Finances du Canada ont mis six ans à faire l’ajustement nécessaire. Selon le CQFF, ce délai inutile aurait coûté plus de 2,5 milliards au gouvernement. Yves Chartrand souligne que le gouvernement avait même souligné cette incohérence dans son plan budgétaire de 2013. Le mal était fait : on avait avantagé inutilement les particuliers recevant un dividende d’une société de 2008 à 2013.

Les terres agricoles « en asphalte » : un cadeau illogique

L’expression « en asphalte » est la façon colorée d’Yves Chartrand de parler des terres agricoles qui ne le sont plus. La démonstration du CQFF est éloquente et parle d’elle-même. En somme, dans une documentation sans faille, on illustre le fait que des terres agricoles qui ont été exploitées par un ancêtre, comme un grand-père, mais qui ne sont pas exploitées depuis des décennies peuvent quand même bénéficier d’une exonération pour gain en capital réservée aux terres agricoles (même si le zonage a changé !). Le but de l’exonération est normalement d’aider le milieu agricole. Pourtant, la mécanique devient une échappatoire fiscale légalisée. Pour corriger la situation, le CQFF propose de « limiter le gain exonéré à la juste valeur marchande de la terre au moment où elle cesse d’être exploitée par une personne faisant partie de la liste des personnes admissibles ».

Encore ici, on dort au gaz au gouvernement du Canada, et des centaines de millions ont échappé au budget fédéral à cause de l’incompétence de certains fonctionnaires fédéraux.

Changement d’usage d’un « plex »

Pour illustrer la prochaine incohérence, prenons l’exemple d’un duplex. Vous habitez le rez-de-chaussée et vous louez le deuxième étage durant quelques années. 

Avant 2012, si vous changiez l’usage locatif du deuxième étage en allant l’habiter, la portion imposable du gain sur le logement repris pouvait auparavant être reportée parce que l’on considérait chaque logement comme un bien distinct. Maintenant, ce n’est plus possible à cause d’un détail technique : on considère le duplex comme un seul bien. 

Donc, le changement d’usage du logement de locatif à non locatif est un changement partiel d’usage. Par conséquent, on ne respecte plus le critère d’admissibilité au choix, et le gain ne peut plus être reporté. 

En français, quand un couple reprend le logement du deuxième étage pour se faire une maison unifamiliale, une facture fiscale peut arriver pour constater immédiatement le gain fiscal. Ce n’est pas une famille moyenne qui peut nécessairement absorber le choc. 

Pourtant, ce n’est qu’une subtilité technique administrative qui peut causer des ennuis aux contribuables. Selon le CQFF, les fonctionnaires sont insensibles aux problèmes découlant de cette réalité. Cela semble de l’aveuglement volontaire.

Ces trois exemples illustrent bien comment on a fait preuve d’un manque de diligence au ministère des Finances du Canada. Par souci d’équité et de cohérence, il est maintenant plus que temps de redresser les erreurs que l’on peut corriger. Le travail du CQFF démontre comment les praticiens sont parfois plus à même de constater les incohérences fiscales que les théoriciens. 

Le gouvernement Trudeau veut rendre la fiscalité « plus juste ». Pourtant, des problèmes latents traînent depuis des années sans qu’on y jette un œil. Oublie-t-on volontairement d’utiliser des lunettes au ministère des Finances du Canada ?

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