Opinion

La vie est belle

J’adore les verbes. C’est beaucoup autour d’eux qu’on s’articule. Ils nous nomment et font les quotidiens. Parfois, trop souvent, c’est le JE d’une phrase qu’on préfère. C’est triste, mais surtout, ça ne mène pas loin.

Passé par Montmagny cette semaine. Suis arrêté dans une épicerie grande surface. Une grande enseigne. Je voulais acheter des chips. Je ne mange jamais de chips, sauf quand je suis loin de la maison. J’avais besoin de lait.

Dans mes recherches (suis pas doué pour comprendre les allées d’un supermarché), j’ai trouvé des Doritos saveur de steak grillé sur le barbecue (une preuve indéniable de l’avancée humaine, et que c’est l’été). Mais ce qui m’a jeté à terre, c’est une pinte de lait 3,8 %. Du vrai lait de vache avec sa crème sur le dessus. Une mise en garde, sur le contenant, nous dit de bien agiter avant de servir. Me suis secoué la tête plusieurs fois. J’ai lu : lait entier non homogénéisé, permis no. 1943… La marque Ora. Du lait d’ici. Quand même, je me suis dit : ça change un peu. C’est rare que d’un seul coup on secoue trois dogmes : au yâble les sorcières du lait écrémé ; le syndicat du goût fade d’usine aussi ; et un tout petit assouplissement dans les règles.

Ce n’était qu’une parenthèse (une belle). Ce n’est pas de ça que je voulais parler cette semaine.

La dernière fois, ici, dans un texte, j’ai fait état d’un ami qui voulait aider financièrement des écoles et dont plus de la moitié ne le rappelaient pas alors qu’il offrait de l’aide en dons. Et parfois aussi (trop souvent encore), il se bute à l’impossibilité administrative de donner.

Misère.

Je ne lis jamais les messages envoyés. Suis désolé de ça. Je l’ai déjà dit. Pas le temps. Mais cette fois, c’était une avalanche, transmise par les gens de La Presse et d’autres qui ont trouvé une façon de me joindre. C’était un sujet qui me touche perso (j’ai quatre enfants dans le réseau d’éducation public).

Alors j’ai lu. Des histoires entre l’horreur et le dépit. Parfois, souvent, des ostie de conneries administratives, encore. Qui briment l’enfance et l’apprentissage.

C’est de l’avenir, des enfants et de l’éducation qu’il est question ici. Rien que ça.

Pour protéger les gens qui ont écrit, en voici quelques extraits, anonymes. Toutes des histoires vraies.

Des toits qui coulent. Des livres désuets. Des enfants au ventre vide. Des planchers troués. Des fenêtres trop étroites pour laisser passer l’air. Une école aussi où 25 % de l’année il fait plus de 28 °C. « Pas grave, aurait dit le ministre, c’est juste la petite école. » Si c’est vrai, c’est cave.

Une fille me raconte qu’elle s’est fait dire par sa direction que l’école n’avait pas les fonds pour acheter des kleenex. « Mouche tes petits avec du papier brun. »

Calvaire.

Dans une autre école, une enseignante me dit que plusieurs fois durant l’hiver, elle doit ouvrir les fenêtres tant il fait chaud. La chaudière fait des free games. Ailleurs dans l’année, les élèves se couchent sur leurs pupitres pour avoir un peu de fraîcheur. Le père de cette enseignante lui offre un climatiseur de fenêtre. Pas le droit. La commission scolaire refuse, sous prétexte que les circuits électriques pourraient sauter. Suis sûr que dans l’édifice où travaillent les gens de la commission scolaire, les circuits sont adaptés à la clim.

Une autre encore, dont la région a le plus haut taux de décrochage scolaire, n’a pas de cour d’école primaire décente (on s’entend ici, la cour d’école est un carré d’asphalte pour quatre voitures).

Des témoignages qui viennent de partout sur le territoire. Pas uniquement des quartiers de pôvres, quoique on ne s’étonnera pas que même les écoles des quartiers défavorisés le soient aussi.

J’ai lu tranquillement tous ces messages. Les ai transmis à mon ami. Il a déjà contacté plusieurs de ces écoles. Pour les aider directement. Secrètement, on espère que ça en incitera d’autres à faire de même.

Me suis surpris à rêver que le Ministère en fasse une priorité. C’est sûr que ça chiale moins, un enfant. Et ça ne vote pas non plus.

Mais me semble que les écoles et l’enseignement doivent être une priorité. C’est une base sociale.

Mon ami va donc aider plusieurs écoles.

Ça ferait une belle histoire, avec une belle fin, un arc-en-ciel pis une licorne. Mais la réalité est ailleurs.

Ce qui m’émeut le plus dans toute cette patente, ce sont les enseignants qui tiennent à bout de bras un système scolaire sous-financé, qui ne fonctionne que grâce à eux. Ils bouchent les trous et les ratés. Ils font avec. Comme dans le film La vie est belle où le père tente de cacher à son fils la réalité.

Les profs font aussi nos enfants. Et l’avenir. En montrant que même un système de marde peut fonctionner. On le sait, même dans ces conditions, on survit. Ils font en sorte que ça fonctionne quand même. Mais parfois, faudrait aussi donner du lousse à ceux qui veulent aider, et écouter un peu la décence.

Les temps de verbe, encore. On pourrait faire mieux. On peut faire mieux.

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