Chronique

S’cusez, on vous a facturé 320 millions de trop

« Chers investisseurs canadiens, toutes nos excuses. Depuis de 10 à 15 ans, nous vous avons facturé 320 millions de dollars de trop dans vos fonds communs de placement. Malhonnête ? Mais non, qu’allez-vous croire là ! C’est juste que nous n’avions pas les systèmes adéquats pour détecter ces problèmes de surfacturation. Rassurez-vous, nous allons vous rembourser en entier. »

Voilà le genre de lettre que six des plus grandes institutions financières au pays auraient pu envoyer à environ un demi-million de clients.

L’affaire n’a pas fait tant de bruit, mais depuis deux ans, la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) a conclu une demi-douzaine d’ententes de règlement à l’amiable avec quatre grandes banques (BMO, CIBC, Scotia et TD), la famille de fonds Placements CI ainsi que le courtier en épargne collective Services d’investissement Quadrus.

La dernière entente est tombée juste avant Noël. Et attendez-vous à ce que ça brasse encore, au Québec en particulier, car l’Autorité des marchés financiers (AMF) m’a confirmé qu’elle se penche sur différents dossiers de la même nature, dont certains sont même très avancés…

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On n’a jamais vu un groupe d’institutions financières accepter candidement de rembourser une somme aussi importante à autant de clients. Qui plus est, ce sont les entreprises elles-mêmes qui ont autodéclaré leurs bourdes au chien de garde des valeurs mobilières.

Oui, oui, toutes en même temps. Alors que ces pratiques douteuses avaient cours depuis 2002 dans certains cas. Mais il n’y a pas de hasard. Si toutes ces firmes ont décidé de montrer patte blanche quasi simultanément, c’est que la pression montait.

Avec l’entrée en vigueur, en juillet dernier, de nouvelles règles de divulgation (connues sous le sigle « MRCC2 »), les investisseurs reçoivent maintenant un relevé de compte annuel qui détaille tous les frais versés directement et indirectement à leur conseiller pour la gestion de leur portefeuille.

Cette nouvelle transparence a certainement encouragé les banques à faire maison nette, estime Normand Caron, du Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MEDAC). « Elles ont dû se dire : "On collabore et on repart avec une ardoise propre en 2017", avance-t-il. Sinon, ce serait resté sous le voile pendant encore 50 ans ! »

La nouvelle réglementation n’aurait servi qu’à cela que ce serait déjà une belle réussite !

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Maintenant que les investisseurs savent exactement combien leur conseiller est payé, il est effectivement plus difficile de leur passer en douce des procédés de surfacturation comme ceux qui viennent d’être mis au jour.

De quoi s’agit-il, au juste ? Tout d’abord, il faut savoir qu’un seul et même fonds est généralement offert en différentes catégories (A, I, F, etc.) assorties de frais de gestion différents.

Dans certains cas, les conseillers n’ont pas averti leurs clients plus fortunés qu’ils auraient pu payer moins cher en optant pour la catégorie qui impose des frais de gestion inférieurs aux investisseurs ayant des actifs plus élevés (ex. : 100 000 $ et plus).

Dans d’autres situations, les conseillers qui facturent des honoraires directement à leurs clients (ex. : 2 % par année) ont tout de même choisi des catégories de fonds qui leur versaient en même temps une commission de suivi (ex. : 1 % par année), alors qu’ils auraient dû opter pour une catégorie qui ne leur verse pas de commission.

Sans que ça paraisse, le conseiller était payé deux fois plutôt qu’une : directement par son client et indirectement par la société de fonds. La belle affaire !

Dans les ententes, la CVMO affirme pourtant qu’elle n’a trouvé aucune preuve de conduite malhonnête. Mais quand un conseiller est payé en double pendant des années et qu’aucun superviseur ne lève le petit doigt, je trouve ça fort en ketchup !

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Ce qui est le plus troublant dans ces ententes, c’est qu’il n’y a aucune reconnaissance de responsabilité de la part des firmes visées. On ne nie pas, mais on n’admet rien.

Mais, si personne n’est coupable, pourquoi les firmes remboursent-elles les clients lésés en entier ? Et, s’il n’y a pas de reconnaissance de faits, comment savoir si la pénalité versée à la CVMO (250 000 $ à 8 millions, selon les firmes) est appropriée ?

Ce genre d’entente fait souvent grincer des dents, car elle est perçue comme une manière d’acheter la clémence d’autorités réglementaires, d’éviter des poursuites civiles plus dommageables et de sauver sa réputation.

Mais, dans le cas présent, il faut bien admettre que les investisseurs seront dédommagés au complet, sans avoir eu à se battre pendant de longues années devant les tribunaux.

Les autorités plaideront aussi que les ententes à l’amiable permettent d’imposer des sanctions plus rapidement, ce qui envoie un signal au marché et encourage d’autres entreprises à faire amende honorable et à cesser leurs pratiques douteuses. Les autorités diront également que cela permet de libérer des ressources pour débusquer d’autres crimes financiers.

Fort bien. Mais, dans ce cas-ci, comment se fait-il que les chiens de garde des investisseurs n’aient rien vu des problèmes de surfacturation généralisés pendant 15 ans ? Et maintenant, qu’est-ce qui garantit aux investisseurs qu’ils ne seront pas victimes d’autres « erreurs » de surfacturation ?

Même si les investisseurs récupèrent 320 millions, cette série d’ententes à l’amiable a de quoi alimenter le désabusement du public face au monde de la finance qui reste truffé de conflits d’intérêts.

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