Opinion Nadia El-Mabrouk

Un État laïque au service du citoyen

À en croire éditorialistes et commentateurs politiques, la CAQ ferait fausse route en interdisant les signes religieux aux enseignants. À les entendre, les recommandations Bouchard-Taylor feraient office de règle absolue et marqueraient la limite du consensus.

Or, s’il y a consensus sur l’interdiction des signes religieux aux personnes en « position coercitive », c’est qu’il y a consensus sur le fait que les signes religieux ne sont pas neutres. 

Mais peut-on réellement croire que l’objectif ultime de tant d’années de débat sur la laïcité soit la protection de la liberté de conscience des détenus ?

C’est d’abord à l’école que l’absence de laïcité pose problème. C’est la liberté de conscience des enfants et des parents qu’il s’agit avant tout de protéger.

Alors que la déconfessionnalisation du système scolaire s’est faite dans un esprit d’ouverture aux nouveaux arrivants et à la diversité des orientations spirituelles, on veut maintenant nous faire croire que l’affichage religieux favoriserait l’intégration.

Comment peut-on ignorer les tensions religieuses et politiques véhiculées par les signes religieux ? Et comment ne pas comprendre le sentiment de trahison des Québécois qui, ayant œuvré à la sécularisation des écoles, font maintenant face au retour des signes religieux par l’intermédiaire du personnel enseignant de certains groupes confessionnels ?

Se reconnecter avec la base

Les Québécois se sont prononcés, à travers de nombreux sondages, en faveur de la séparation entre l’État et les religions. Le dernier en date, celui de Léger du 6 octobre 2018, montre que la religion arrive au premier rang des sujets qui divisent les Québécois, et 81 % des répondants pensent que les croyances religieuses « devraient demeurer dans le domaine du privé ».

C’est cette aspiration du peuple québécois à la laïcité que semble avoir entendu François Legault.

Depuis son arrivée au pouvoir, il a clairement exprimé son désir d’être au service des citoyens et des familles, dans un esprit « de proximité, d’humanité et d’ouverture ».

Quelle rupture salutaire avec le ton moralisateur du gouvernement précédent qui, plutôt que d’entendre les citoyens, a préféré user d’accusations de racisme, ce qui n’a fait qu’exacerber les tensions et alimenter les extrêmes !

Au lendemain des élections, certaines commissions scolaires et syndicats d’enseignants semblent avoir adopté la même posture de déni. La commission scolaire English-Montreal a, par exemple, laissé entendre que certains enseignants portant la kippa ou la croix ne se plieraient pas à une loi interdisant l’affichage religieux dans les écoles.

Intervenant au nom de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), Nathalie Morel a, quant à elle, fait valoir que « ce sont les institutions qui doivent être laïques, et non les individus ». Cette position fait fi de l’avis de la Cour suprême ayant tranché, dans son jugement sur la prière au conseil municipal de la Ville de Saguenay, que la neutralité de l’État signifiait la neutralité de ses représentants.

Mais cette position exprimée par des représentants du milieu enseignant reflète-t-elle celle de la base ? Je connais une enseignante au secondaire de la Rive-Sud de Montréal qui, contactée par TVA pour donner son avis en faveur de l’interdiction des signes religieux aux enseignants, n’a pas été autorisée par sa commission scolaire à s’exprimer en tant qu’enseignante ! De l’avis de son syndicat, enfreindre l’interdiction l’aurait exposée à être poursuivie pour déloyauté.

Comment expliquer une telle situation ? On ne peut qu’appuyer la demande du collectif citoyen Debout pour l’école, dans une pétition que j’ai signée, de « lever toute entrave à la prise de parole publique » des personnels scolaires.

L’élève au centre des préoccupations

Malgré tout, trois enseignants d’origine algérienne ont pu s’exprimer publiquement pour appuyer la laïcité à l’école. Selon Arezki Bentayeb, enseignant au primaire, « un enseignant doit être une référence, un modèle, une sécurité, mais c’est aussi une image ». De plus, comme le souligne Leila Lesbet, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) a déjà considéré que le crucifix devait être retiré des salles de classe, car jugé attentatoire à la liberté de conscience des élèves tenus de le regarder toute la journée.

Alors que dire du signe religieux de l’enseignant, une figure d’autorité morale, en lien émotif avec l’enfant à un âge où il est influençable ?

Comme l’explique le sociologue Guy Rocher, faire primer les convictions de l’enseignant sur le respect des convictions des élèves et des parents représente une « inversion de la priorité du respect des convictions ». Comment une petite fille qui subirait des pressions familiales pour porter le voile pourrait-elle se confier à son enseignante ou à son éducatrice en service de garde si celle-ci est voilée ? Par ailleurs, le lien de confiance parent-enseignant est primordial pour assurer des conditions d’apprentissage harmonieuses pour l’enfant. La moindre des choses serait de ne pas le compromettre par un affichage religieux clivant.

Le nouveau gouvernement a indiqué qu’il ferait de l’éducation sa priorité et que l’élève serait au centre de ses préoccupations. Souhaitons qu’il remplisse ses promesses, en commençant par assurer les conditions premières à la liberté des élèves : un milieu scolaire exempt de toute pression religieuse.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.