Chronique  

« Pourquoi ? »

Tout a commencé alors qu’Yves Sirois levait les yeux vers les étoiles. « J’ai un souvenir très vif, celui de regarder le ciel. Et de me demander pourquoi. Pourquoi cet univers si vaste est-il là ? Nous sommes si isolés, une poussière au milieu du cosmos. »

Yves Sirois a 14 ans. Déjà, c’est clair : il sera scientifique, un jour. En attendant, il mène des raids dans les bibliothèques et librairies, pour lire des ouvrages de vulgarisation scientifique. En attendant, aussi, il joue de la guitare dans un groupe, fera même la première partie de Beau Dommage.

Le ciel, il le scrute à Montréal où il habite, à Matane d’où son clan est originaire. Il lit Einstein, vous jure que la lecture de Relativity : The Special and General Theory explique « simplement » la théorie du physicien le plus célèbre de l’histoire.

Sciences pures au cégep de Saint-Laurent, bac et maîtrise à l’université de Montréal, doctorat à McGill : il devient physicien comme Einstein. Ses recherches le mènent en France, où il s’arrime au Centre national de la recherche scientifique. Vous lui parlez, et l’accent québécois est là, immanquable, même après des décennies en France. Quand le journal Le Monde parle de lui, il est d’ailleurs présenté comme un Québécois.

Yves Sirois, un des plus prolifiques scientifiques québécois – plus de 500 publications –, est membre du comité de direction de l’expérience CMS, une des deux entités (l’autre étant Atlas) qui ont conjointement mené les expériences qui ont permis de confirmer l’existence, il y a deux ans, du boson de Higgs.

Le boson de quoi ?

On va y revenir : Yves Sirois va vous l’expliquer, ce boson de Higgs, dans ce long papier qui comprendra quelques détours jusqu’à 10-42, soit l’instant le plus proche de la naissance de l’univers, il y a 15 milliards d’années. Je vous préviens, je n’ai pas tout compris, malgré ses patientes et savantes explications.

Le boson est une particule, une particule élémentaire créée dans la nanoseconde après le Big Bang originel. Jusqu’à 2012, son existence n’était que soupçonnée, fruit de la théorie développée indépendamment par six physiciens, dont ce M. Higgs, Peter de son prénom et Britannique de naissance.

Fin 2012, le CERN a annoncé que les efforts des scientifiques de 140 pays avaient porté leurs fruits. Le boson théorisé par Peter Higgs avait été recréé dans la plus puissante machine jamais créée par l’Homme, le LHC – pour Large Hadron Collider –, un super accélérateur de particules. Imaginez un tube d’une circonférence de 27 kilomètres, à 100 mètres sous terre, sous la frontière France-Suisse. Les protons y sont lancés à un cil sous la vitesse de la lumière.

Je relis mes notes, prises dans cette entrevue avec Yves Sirois, mardi dernier. Ces mots : « On a recréé les conditions de l’univers quand la matière apparaît. »

J’ai écrit ces mots machinalement, mardi. Il n’y a plus rien de machinal, quand je les relis, vendredi. Je les réécris en majuscules, ébahi, dans la marge de mon carnet.

ON A RECRÉÉ LES CONDITIONS DE L’univers QUAND LA MATIÈRE APPARAÎT.

Juste ça.

***

Toute la physique moderne, dit Yves Sirois, est au fond l’explication des rouages qui régissent l’univers. Un univers qui repose sur trois principes :

1) le principe de relativité, celui théorisé par Einstein, selon lequel l’espace et le temps sont relatifs;

2) la mécanique quantique;

3) les relations entre symétrie et loi de conservation.

« Avec ces trois principes, on explique l’univers, m’explique Yves Sirois. C’est une construction. En physique, c’est le modèle dit “standard”, ce qui est bien modeste quand on y pense : on explique tout l’univers avec le mot “standard” ! »

Oh, il faut ajouter un trouble-fête dans l’équation : le quatrième principe, « un peu spécial », celui de la force gravitationnelle, « qui ne fonctionne pas comme les autres », m’a lancé Yves Sirois.

Ma face a dû se tordre. Il m’a pris par la main, pour ainsi dire : 

— La gravitation, c’est la courbe de l’espace-temps. C’est la seule force qui agit sur les trois autres. La relativité, la mécanique quantique et la relation entre symétrie et loi de conservation jouent dans le théâtre.

— Ok…

— La gravitation, l’espace-temps, c’est le théâtre.

Bref, le modèle standard de l’univers tel que construit par la physique du siècle dernier permet de comprendre les rouages de l’univers.

— Toute la physique du XXe siècle a permis de comprendre que l’univers était inévitable, explique Yves Sirois.

— Inévitable, Yves ?

— Quand on a compris les quatre principes fondamentaux, on a compris que la lumière doit exister, par exemple. Quand on comprend cela, il y a un sentiment d’inévitable.

L’étude du cosmos, jusqu’ici, s’est faite en regardant l’univers, tout bêtement. On peut, en regardant dans des télescopes très puissants, voir la lumière née à la naissance de l’univers, ou presque : jusqu’à 380 000 ans après la naissance de l’univers.

Pour « voir » l’univers entre 0 et 380 000 ans, période où toute la matière était en fusion et donc « invisible », l’Homme n’avait qu’une avenue.

Le recréer en laboratoire.

Recréer l’instant après le Big Bang, plus précisément. Recréer non pas 10-42, mais 10-12, « recréer les conditions de l’univers quand la matière apparaît ».

Et c’est ce qu’ils ont fait, fin 2012, sous les montagnes franco-suisses, au CERN. Yves Sirois était aux premières loges, le plus beau jour de sa vie, quand le boson de Higgs, qui permet à la matière d’exister, fut découvert grâce au mini-Big Bang créé dans le LHC.

Depuis, la physique regarde l’univers avec un œil différent.

« Le XXe siècle fut celui de l’univers inévitable, note Yves Sirois. Avec la découverte du boson de Higgs, on apprend que l’univers semble improbable. Mathématiquement, on sait maintenant que l’univers dans lequel on est ne peut pas exister. »

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