Chronique

Les parents macoutes des garderies

Je comprends que les places fantômes dans les garderies sont du pur gaspillage. Mais ce n’est pas en demandant aux parents de jouer à la police, ni en les assommant avec une pénalité abusive de 3600 $, que Québec parviendra à « optimiser » les garderies subventionnées.

À première vue, le problème paraît énorme. Chaque année, Québec verse 280 millions dans le beurre, l’équivalent de 10 millions de journées où un enfant est inscrit à la garderie sans y être présent, selon le rapport de la Commission de révision permanente des programmes déposé cette semaine.

Mais quand on divise le nombre de jours perdus (10 millions) par le nombre d’enfants qui fréquentent les garderies subventionnées (environ 220 000), on constate que chaque enfant s’absente 45 jours par année de la garderie. De ce nombre, il faut soustraire 13 jours fériés que les parents doivent payer même si les garderies sont fermées. Si on enlève ensuite 15 jours pour les vacances d’été et 5 jours pour Noël et la relâche, il ne reste plus que 12 jours.

Douze jours, ce n’est pas tant que ça quand votre enfant est malade à répétition. Et je sais de quoi je parle.

***

Tout de même, le phénomène des places fantômes existe bel et bien. Pourquoi ?

Premier coupable : le manque de places.

Obtenir une place dans une garderie subventionnée relève du défi. Quand un centre de la petite enfante (CPE) vous téléphone pour vous offrir une place, souvent plusieurs mois avant la fin de votre congé parental, c’est à prendre ou à laisser. Si vous dites non, votre chance ne repassera pas. Si vous dites oui, vous serez obligé de payer 7,30 $ par jour, même si vous n’envoyez pas votre enfant tout de suite. Du coup, Québec versera aussi la subvention (jusqu’à 60 $ par jour), même si la place reste vacante durant plusieurs mois.

Remarquez, si votre enfant fréquente réellement la garderie durant cette période, ce n’est guère mieux d’un point de vue strictement financier. Le gouvernement devra quand même allonger les subventions, alors que vous auriez pu garder votre enfant à la maison jusqu’à la fin de votre congé.

Deuxième coupable : le manque de flexibilité.

Pour maximiser leurs revenus, les garderies subventionnées favorisent les enfants inscrits à temps plein. Il y a tellement de parents qui cherchent une place, pourquoi se casseraient-elles la tête pour offrir des places à temps partiel ?

Cela ne laisse aucune chance aux parents qui travaillent à mi-temps. Ils n’ont souvent pas le choix d’inscrire leur enfant cinq jours sur cinq, même s’ils le gardent à la maison quelques jours par semaine.

Idem pour les vacances estivales. Les parents qui ont deux mois de vacances l’été doivent continuer à payer la garderie subventionnée même si leur enfant reste tout l’été à la maison. C’est 52 semaines par année ou rien. Pendant tout ce temps, Québec paie des subventions inutilement.

***

Pour régler le problème des places fantômes, la vraie solution serait donc de s’attaquer au manque de places et de flexibilité du réseau des garderies.

Mais Québec s’y prend complètement à l’envers. Il veut forcer tous les parents à entrer dans le moule. Pour « optimiser » les garderies subventionnées, le gouvernement veut obliger les enfants à fréquenter la garderie cinq jours sur cinq, les empêchant de passer plus de temps avec leurs parents.

Avec le projet de loi 27 déposé mercredi, le gouvernement veut imposer une sanction de 3600 $ aux parents, soit l’équivalent du coût réel de 3 mois de garderie. La somme est exorbitante ! Beaucoup plus élevée que la pénalité de 250 à 1000 $ que Québec réserve aux garderies fautives.

Les parents sont déjà victimes du manque de places et de flexibilité des garderies subventionnées, voilà que Québec leur met la faute sur le dos ! C’est vraiment le comble.

En agissant ainsi, Québec veut que les parents dénoncent les garderies qui les forcent à payer pour cinq jours au lieu de deux ou trois. Mais cette mécanique va transformer les parents en tontons macoutes, ces policiers à la solde du dictateur Duvalier qui faisaient régner la peur en Haïti. Au lieu de forcer les parents à jouer à la police, pourquoi ne pas faire davantage d’inspections-surprises ?

En plus, les balises ne sont même pas claires. Combien de jours un enfant pourra-t-il s’absenter de la garderie sans que papa et maman aient des ennuis ? Il n’y a aucune directive à ce sujet. Les parents qui ont de longues vacances vont être sur le gros nerf.

Mais les plus grands perdants seront les parents qui ont des horaires atypiques. Par exemple, la maman qui travaille dans le commerce de détail et qui voit peu son tout-petit les soirs et la fin de semaine. Elle pourrait le garder à la maison durant une de ses journées de congé en semaine. Mais si Québec menace de lui imposer une pénalité de 3600 $, elle sera obligée d’envoyer son enfant toute la semaine. Résultat ? L’enfant sera privé de sa mère. Et Québec n’économisera rien du tout. Un beau gâchis.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.