Chronique

Les jouets intelligents qui espionnent vos enfants

Oh, qu’il est mignon ! Télécommandé à partir du téléphone cellulaire de son maître, le petit chien robotique CHiP de WowWee gambade joyeusement sur le tapis au milieu de la conférence de presse.

« Winston », lui lance fermement Alexandre Plourde, avocat chez Option consommateurs. Grâce à son cerveau métallique, le chien répond à son nom. Le jouet peut même rapporter la balle.

Pour 130 $, ce n’est pas bête comme cadeau de Noël, pensez-vous ? D’accord, les enfants ne seront jamais allergiques à cet animal de plastique. Et les parents n’auront pas à le promener soir et matin pour lui faire faire ses besoins.

Mais attention ! Même s’il ne mord pas, le chien 2.0 n’est pas inoffensif. À l’aube du magasinage des Fêtes, il faut se méfier de la nouvelle vague de jouets dotés d’une intelligence artificielle.

On compte au moins 300 jouets intelligents en vente au Canada : robots, peluches, poupées, dinosaures, alouette ! Ils peuvent comprendre les paroles des tout-petits et leur répondre grâce à la magie de l’infonuagique.

Par exemple, le Smart Toy de Fisher-Price, un petit ourson en peluche, peut retenir le nom de l’enfant et avoir des interactions simples avec lui. 

Quant à Cozmo, un robot téléguidé d’Anki, il reconnaît le visage de son maître et réclame son attention comme s’il éprouvait des sentiments.

Or, ces jouets sont munis de caméras, de micros et d’autres capteurs qui permettent de recueillir et de transmettre une multitude de données sur les enfants, sans que les parents en soient convenablement informés, a constaté Option consommateurs dans un rapport de recherche intitulé « Enfants sous écoute ».

De plus, ces jouets connectés à l’internet présentent souvent des failles importantes en matière de sécurité.

En 2015, des pirates informatiques ont eu accès aux données de 316 000 enfants canadiens hébergés sur les serveurs du fabricant de tablettes pour enfants VTech. Nom, photo, date d’anniversaire, enregistrements de voix… Le vol d’identité, ça commence jeune.

Et que dire de la poupée My Friend Cayla produite par Genesis ? Son système de sécurité est tellement déficient que des pirates pourraient réussir à parler avec les enfants à travers le jouet. Un vrai scénario de film d’horreur ! Le gouvernement allemand a d’ailleurs invité les parents à détruire le jouet, jugé trop dangereux.

Vous me direz que tout l’univers de l’internet de l’objet souffre d’un problème chronique de faiblesse de sécurité. Mais contrairement à votre frigo intelligent, la peluche branchée à l’internet s’adresse à un petit public vulnérable qui ne réalise pas que les secrets qu’il raconte à son jouet peuvent faire le tour du web.

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Pour l’instant, les jouets intelligents restent assez décevants. Les 20 enfants qui les ont testés aux fins de l’étude s’en sont vite lassés, les jugeant trop répétitifs ou difficiles à manipuler.

« Mais avec le développement de l’intelligence artificielle, les jouets vont se perfectionner et les enjeux de vie privée qu’on soulève seront encore plus importants dans le futur », prédit Alexandre Plourde.

Les jouets intelligents posent un sérieux problème de transparence. La plupart du temps, l’emballage ne fait aucune mention des enjeux de sécurité ou de vie privée. À l’intérieur de la boîte, on ne trouve pas plus d’information.

Ainsi, l’acheteur n’est pas prévenu des risques avant de procéder à l’achat, ce qui n’est pas normal.

Ce n’est que lorsque le parent installe l’application du jouet qu’il se trouve à accepter les conditions d’utilisation présentées dans un lien externe et rédigées dans un langage vague et complexe.

Bien malin celui qui saisira la portée très large de la collecte de données : temps d’utilisation du jouet, score, enregistrements de la voix, transcriptions des paroles de l’enfant…

Tout cela se retrouve dans les serveurs du fabricant ou de tierces parties, sans que la politique sur la vie privée explique clairement à quoi cette manne de renseignements va servir.

Mais de toute façon, les entreprises se réservent le droit de modifier leurs politiques unilatéralement. Alors le consentement du client, qui est pourtant exigé par la loi, n’est que de la poudre aux yeux !

Le gouvernement exige que les jouets passent une foule de tests pour s’assurer que les matériaux ne sont pas inflammables, toxiques ou dangereux. Mais pour leur sécurité informatique, c’est le néant. Il est temps d’y voir.

Option consommateurs recommande au gouvernement d’imposer des principes de sécurité et de respect de la vie privée dès la conception du jouet. Leur conformité devrait être vérifiée avec des tests en laboratoire avant la mise en marché.

De plus, il faudrait accorder plus de pouvoirs au Commissaire à la protection de la vie privée du Canada. Celui-ci devrait avoir les moyens de mener des enquêtes souvent complexes, d’imposer des sanctions vraiment dissuasives et de retirer des tablettes les jouets problématiques.

Autrement dit, il faut que le chien de garde de la vie privée ait plus de mordant que le chien robotique CHiP.

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