Crédit d’impôt pour solidarité

Le fisc prive les plus pauvres de dizaines de millions

Le gouvernement du Québec pourrait récupérer 140 millions de dollars par an auprès de contribuables à revenus modestes qui ont mal rempli leur déclaration de revenus concernant le crédit d’impôt pour solidarité (CIS).

Selon un document obtenu par La Presse, il est permis de penser qu’un demi-million de contribuables se sont fait couper, en tout ou en partie, leur crédit d’impôt en raison des nouveaux contrôles mis en place par Revenu Québec. C’est presque deux fois plus qu’estimé au départ.

En se basant sur ce renseignement et sur la répartition des bénéficiaires du crédit selon leurs revenus, nous estimons que le fisc pourrait récupérer jusqu’à 140 millions. Revenu Québec n’a pas pu corroborer ce chiffre.

L’offensive du fisc a pris la forme d’un avis transmis à des centaines de milliers de bénéficiaires du crédit, le printemps dernier. La réaction des bénéficiaires fut vive : le fisc a reçu 582 000 appels de contribuables, créant un embouteillage monstre sur les lignes de Revenu Québec. Les plus tenaces ont attendu 50 minutes au téléphone avant de parler à un agent.

« Quand tu reçois une lettre qui te dit que tu dois rembourser 50 $ et que tu n’as pas une maudite cenne, c’est mettre des personnes qui sont dans la précarité dans des situations impossibles à gérer », dit Serge Petitclerc, porte-parole du Collectif pour un Québec sans pauvreté.

Le Protecteur du citoyen a été témoin du phénomène. L’organisme a reçu de deux à trois fois plus de plaintes concernant ce crédit qu’à l’accoutumée, reconnaît le vice-protecteur, Claude Dussault, dans un entretien. L’institution est intervenue auprès de Revenu Québec.

UN DEMI-MILLION DE PLAINTES

En règle générale, les bénéficiaires du crédit d’impôt sont des ménages à faibles revenus, des familles monoparentales ou des étudiants. Près de 8 sur 10 gagnent moins de 35 000 $ par an.

Le fisc considère que ces ménages ont droit à un crédit pour compenser les effets néfastes de la taxe de vente du Québec (TVQ) sur leur situation financière. Le crédit d’impôt est aussi versé pour tenir compte de l’impact du coût du logement.

Selon nos renseignements, les 582 000 plaintes concernaient essentiellement la composante logement du crédit d’impôt pour solidarité. Selon le fisc, nombre de contribuables ont déclaré qu’ils vivaient seuls, alors que ce ne serait pas le cas dans les faits, ce qui leur a permis de toucher un crédit plus généreux que permis.

Dans d’autres cas, des résidants en habitations à loyer modique (HLM) ont touché le crédit sans y avoir droit puisque leur logement était déjà subventionné.

Parmi les 582 000 plaignants, le fisc admet s’être trompé pour seulement 73 000 d’entre eux, est-il indiqué dans un document obtenu en vertu de la Loi sur l’accès à l’information.

RAPPORT DU VÉRIFICATEUR GÉNÉRAL

Les démarches du fisc découlent d’un rapport du Vérificateur général, en 2014, qui critiquait le laxisme du gouvernement dans sa gestion du crédit d’impôt pour solidarité.

Le VG estimait alors que quelque 275 000 personnes avaient bénéficié des largesses du gouvernement pour une somme globale de 80 millions. À la lumière des récents avis du fisc, les économies pour le Trésor public pourraient être plus importantes, de l’ordre de 275 $ par bénéficiaire, soit un total de 140 millions pour le demi-million de plaignants, selon nos estimations.

Il s’agit d’une somme presque aussi importante que la hausse modulée des tarifs de garde réclamés l’an dernier, qui a provoqué une levée de boucliers.

En faisant son audit, le Vérificateur général avait constaté que le fisc s’en remettait à la seule déclaration des contribuables pour leur consentir la portion du crédit concernant le logement (annexe D). Or, en croisant leur déclaration avec un autre fichier, le vérificateur a constaté qu’une grande partie était inexacte.

Fort de ce constat, le fisc exige, depuis cette année, une validation de la part des propriétaires (relevé 31). C’est cette validation qui cause le cafouillage actuel.

Le gouvernement du Québec n’a pas estimé dans son budget les sommes additionnelles qui seront obtenues de ce changement au crédit d’impôt. Au ministère des Finances, on fait valoir qu’il faut attendre une période d’ajustement pour avoir les vraies répercussions, mais qu’au bout du compte, l’argent obtenu sera disponible pour les besoins du gouvernement et de la population, comme l’éducation.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.