Lu  Rouge – Histoire d’une couleur

La symbolique du rouge

Le rouge, c’est la couleur du pouvoir, de la passion, de la puissance, de la violence, du plaisir et… du père Noël. C’est une teinte avec une riche histoire, analysée par Michel Pastoureau, historien, spécialiste des couleurs et auteur du nouveau livre Rouge – Histoire d’une couleur, publié aux Éditions du Seuil. Entrevue.

Vous écrivez que le rouge est la première couleur que l’homme a maîtrisée et qu’elle a dominé pendant des siècles, car c’est la couleur de la puissance et du pouvoir.

Oui. Et on peut ajouter : de la beauté. C’est une couleur qui protège aussi. Dès le paléolithique, on reconnaît trois fonctions au rouge, d’abord celle d’incarner la force, la puissance, le pouvoir. La deuxième fonction est celle d’embellir, et c’est toujours le cas aujourd’hui, on a conservé du néolithique des récipients où on fabriquait des cosmétiques avec des produits rouges. La troisième fonction, c’est d’éloigner les forces du mal ; le rouge éloigne le diable et les mauvais esprits. Au début du XXe siècle, on mettait encore au-dessus du berceau un ruban rouge pour ne pas que l’enfant soit perturbé la nuit par les forces du mal.

Le rouge est une couleur ambivalente il y a de bons et de mauvais côtés ?

Toutes les couleurs sont ambivalentes. Pour le rouge, c’est parfaitement équilibré. On a, d’un côté, la beauté, la joie, l’amour, le pouvoir, le plaisir et, de l’autre, la violence, la colère, les crimes de sang, la guerre, la punition, le péché. Il y a un équilibre entre le bien et le mal. Si on prend l’amour, on a toute la palette des rouges, on a l’amour divin qui est le sang versé par le Christ sur la croix, c’est l’amour-passion entre deux personnes, mais c’est aussi l’érotisme, la luxure, la prostitution. Pendant longtemps, les prostituées devaient porter des pièces de vêtement rouges pour se distinguer des autres femmes. Les maisons de prostitution étaient aussi identifiées par une enseigne ou une lanterne rouge.

Comment expliquez-vous le recul du rouge à partir du XVIe siècle ?

Le recul du rouge est non pas symbolique, mais matériel. Dans la vie quotidienne, il occupe moins de place au fil du temps que le bleu, le gris, le blanc ou le noir. À partir du XVIe siècle, pour des raisons de morale sociale et religieuse d’abord, dans l’Europe protestante. Les protestants partent en guerre contre le rouge qui, pour eux, est une couleur trop voyante, donc jugée indécente, déshonnête, et ça a des conséquence de longue durée, le temps que les catholiques reprennent le rouge pour le vêtement et l’univers quotidien. Grâce au vêtement, le rouge va revenir. Il sera une couleur féminine, ce qui n’était pas le cas dans l’Antiquité, où le rouge était la couleur de la virilité, couleur du guerrier et du soldat, et le bleu était féminin. Le changement se fait assez lentement, mais aujourd’hui, on peut dire que le bleu est masculin et le rouge, féminin.

Le bleu est aujourd’hui la couleur préférée des gens ?

Oui et ce qui est fascinant, c’est qu’il écrase tout. Dans le monde occidental, 50 % des personnes interrogées, hommes et femmes, ont le bleu comme couleur préférée, devant le vert (entre 15 et 20 %) puis le rouge (15 %), les autres couleurs étant loin derrière. Le rouge reste par contre symboliquement la couleur la plus forte.

Le rouge, c’est aussi la couleur de la révolution, il y a une dimension politique très forte.

Il y a eu une confiscation du rouge par une idéologie et des mouvements politiques, exactement ce qu’on vit aujourd’hui pour le vert. On ne peut plus dire « j’aime le vert » sans passer pour un écolo ! On l’a vécu avec le rouge depuis la Révolution française pendant cinq ou six générations, il a longtemps été associé aux communistes. C’est la Russie, la Chine, les Khmers rouges… ça a un peu disparu, mais ça a probablement fait reculer la présence du rouge au quotidien.

C’est une couleur dangereuse aussi associée à l’interdit ?

Oui, dans le spectacle de la rue, avertir, interdire, annoncer, attirer l’attention sur un danger ou sur une faute à ne pas commettre et les panneaux du Code de la route sont en rouge. Les affiches et les soldes sont marqués d’un point rouge. Toute la justice est en rouge, du juge jusqu’au bourreau. Les copies d’écoliers sont corrigées en rouge, mais on commence à dire en Europe que ça perturbe les enfants. Il ne faut plus corriger en rouge, mais en vert, la couleur de l’espérance, et donc de l’espérance d’un meilleur devoir !

C’est bientôt Noël. Le rouge est très présent et associé au père Noël !

Depuis très longtemps, c’est la couleur du plaisir et de la fête. Le père Noël est en rouge non pas à cause de Coca-Cola, comme on le dit quelquefois, mais bien parce que c’est l’héritier de saint Nicolas qui, pendant des siècles, était celui qui apportait des cadeaux aux enfants dans tout le monde occidental. Sa fête était le 6 décembre. Saint Nicolas était évêque, il avait un costume rouge et cette tradition est restée avec son héritier, le père Noël, rouge de la fête et du cadeau qu’on associe au vert du sapin et au blanc de la neige. Les trois couleurs de Noël sont le rouge, le vert et le blanc, même si on essaie d’introduire du bleu, de l’argenté pour les décors de Noël, mais ça ne gagne pas encore du terrain. Le marketing veut innover, mais avec quelque chose d’aussi traditionnel que Noël, c’est perdu d’avance !

Rouge – Histoire d’une couleur

Michel Pastoureau

Éditions du Seuil

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