Opinion

Le mythe tenace de l’appauvrissement de la classe moyenne

L’augmentation des dépenses de consommation explique en grande partie le fait que de nombreuses familles ont l’impression d’être plus serrées dans leur budget 

Une des promesses phares de la campagne électorale de la CAQ a été de « remettre de l’argent dans les poches des familles de la classe moyenne ». Dans chaque débat des chefs, M. Legault a ainsi rappelé qu’au fil des 15 années de régime libéral, ces familles « voient bien qu’il leur reste de moins en moins d’argent, au bout du compte ». 

Si, après les débats, les réseaux de télévision ont fait un effort remarquable pour vérifier la véracité des déclarations des chefs, personne n’a remis cette affirmation en doute. Elle semble si évidente ! Et pourtant, elle est fausse. 

J’ai sous les yeux l’ensemble des tableaux de Statistique Canada sur les revenus et les avoirs nets des familles, après prise en compte des impôts et des transferts. Entre 1999 et 2016 (dernières données disponibles), la valeur nette des actifs des ménages québécois (leurs actifs, moins leurs dettes) s’est accrue de 120 % en dollars constants, c’est-à-dire qu’elle a plus que doublé, après prise en compte de l’inflation. Et cela ne tient pas compte de l’amélioration marquée de l’économie ces deux dernières années. 

Mieux encore, cet enrichissement s’est fait sentir dans toutes les tranches de richesse. Ainsi, en 1999, les 20 % de Québécois les plus pauvres avaient collectivement des avoirs nets négatifs (- 1381 milliards, en dollars de 2016). Dix-sept ans plus tard, ils avaient au total un solde positif de 758 millions. Et si les 20 % les plus riches ont vu leurs actifs nets totaux progresser de 115 %, les tranches médianes, qu’on peut associer à la classe moyenne, ont connu une progression encore plus forte de 130 %. 

Surprise, donc : contrairement à tout ce qu’on répète partout, les ménages de la classe moyenne se sont enrichis plus rapidement que les familles les plus riches, au Québec, pendant ces années de croissance. 

Oui, il y a peut-être ce fameux « 1 % » au sommet de la pyramide sociale, ces privilégiés qui s’enrichissent de manière scandaleuse, mais dès qu’on regarde des ensembles plus larges, on voit que la croissance économique a profité à tous et que les écarts entre les riches et les pauvres ont diminué au Québec, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis. 

Certes, la plus-value du marché domiciliaire ces années-là explique une bonne part de cette hausse des avoirs nets (un gain de 163 %, si on compte la résidence principale et les autres biens immobiliers), mais les actifs financiers des ménages (REER, CELI, placements, etc.) ont aussi progressé de 89 % au Québec pendant cette période. 

Plus de dépenses

D’où vient alors l’impression que nous sommes de plus en plus serrés dans nos budgets ? 

C’est que l’endettement des familles a progressé plus rapidement que la valeur de leurs actifs : une progression de 166 % (ou de 154 % si on exclut les hypothèques). En somme, beaucoup de familles ont profité de ces années de croissance économique pour investir dans l’achat d’une maison ou mettre de l’argent de côté dans leurs régimes de retraite (ce qui laisse moins d’argent à dépenser), mais elles ont aussi fortement augmenté leur consommation courante. Achat de téléviseurs haute définition, d’ordinateurs, de consoles de jeu, de cellulaires, de véhicules utilitaires sport qui représentent désormais la moitié des ventes d’automobiles, sans oublier les nouveaux services internet et autres Netflix de ce monde. 

Résultat : le recours à des marges de crédit bancaire s’est multiplié par cinq ; la dette sur les cartes de crédit et les prêts-autos par presque trois. Et le « service de la dette » (l’ensemble des paiements qu’une famille doit faire pour rembourser ses emprunts) compte désormais pour 14,15 % des dépenses, tout près d’un record historique. 

Mais bien sûr, c’était plus rentable pour François Legault de dire aux gens qu’ils se sentent serrés parce que les taxes sont trop élevées, plutôt que de remettre en cause leur surconsommation. De grâce, cessons, comme journalistes, de répéter que les familles de la classe moyenne s’appauvrissent. Ce sont leurs dépenses qui augmentent. 

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