La Presse à Houston

Une sortie spatiale… sous-marine

La plus grosse piscine des États-Unis. Une maquette de la Station spatiale internationale qui repose au fond. Et David Saint-Jacques, 12 m sous la surface, qui s’exerce aux imprévus d’une sortie spatiale. Hier, l’astronaute québécois s’est entraîné au Laboratoire de flottabilité nulle de la NASA, à Houston. Un exercice à haut risque, chorégraphié au quart de tour, dans un lieu absolument saisissant. Compte rendu.

Une combinaison de 150 kg sur le dos

Dans son micro, David Saint-Jacques signifie qu’il est prêt. Une combinaison de 150 kg sur le dos, l’astronaute est attaché à une grue. Dos à lui, l’astronaute américaine Anne McClain est fixée dans la même position.

La grue pivote pour surplomber ce qui est la plus grosse piscine des États-Unis. Puis elle plonge les deux astronautes dans l’eau bleutée. Au fond, à 12 m de profondeur, on voit les différents modules de la Station spatiale internationale reproduits en taille réelle.

« Une opération très risquée »

Nous sommes au Laboratoire de flottabilité nulle de la NASA, à Houston, et David Saint-Jacques subit l’un des entraînements les plus exigeants et les plus délicats de tout son programme de préparation.

« C’est une opération très risquée, commente l’astronaute canadien Jeremy Hansen, qui a fait cet entraînement plusieurs fois et est venu suivre avec attention la séance de son collègue. Sous l’eau, David est prisonnier de sa combinaison. Le volet sécuritaire de ça est un monde en soi. »

Sorties extravéhiculaires

Quatre plongeurs accompagnent chacun des astronautes pour veiller à leur sécurité, les aider à se mouvoir dans l’eau et filmer les manœuvres. Du haut d’une galerie vitrée, une équipe surveille aussi les opérations, assistée de plusieurs écrans géants. Autour de la piscine, des dizaines d’employés s’activent ou regardent les exercices.

Le Laboratoire de flottabilité nulle est utilisé pour entraîner les astronautes aux sorties extravéhiculaires, des moments toujours critiques d’un séjour dans la Station spatiale internationale. Aujourd’hui, David Saint-Jacques et sa collègue américaine passeront six heures sous l’eau. Leur mission : changer une batterie de la Station spatiale internationale de la taille d’un petit réfrigérateur. Mais des imprévus les attendent.

« L’astronaute doit prendre la décision finale »

« L’équipe va balancer quelques problèmes à David et Anne, explique Jeremy Hansen. Peut-être que leur perceuse va briser. Ou il va y avoir un dysfonctionnement de leur combinaison, ce qui est très grave. On va surveiller comment ils réagissent. On ne s’attend pas à la perfection. »

« Si vous faites une erreur dans l’eau, c’est correct : vous allez vous en souvenir toute votre vie et c’est ça l’objectif. »

— Jeremy Hansen, astronaute canadien

David Saint-Jacques et Anne McClain s’exerceront aussi à entrer dans la Station spatiale internationale et à en sortir à l’aide du sas, reproduit sous l’eau. Comme s’ils étaient dans l’espace, les astronautes seront en contact constant avec une équipe qui simule le centre de contrôle. Mais ils devront se méfier des instructions qu’on leur donne.

« Ils vont sans doute leur suggérer quelques idées qui ne sont pas si bonnes, explique Jeremy Hansen. Le but est de développer le sens critique. Quand les astronautes sont dans l’espace, l’équipe sur Terre n’a pas toujours toutes les informations pour prendre les bonnes décisions. Au bout du compte, l’astronaute doit prendre la décision finale. »

Pendant la séance de six heures, les astronautes ne pourront manger aucune nourriture. Ils ont accès à un peu d’eau par un tube qui se trouve dans leur casque. Et pour les autres besoins naturels, c’est la couche qu’il faudra utiliser. La combinaison pressurisée et la résistance de l’eau rendent le travail exténuant.

« Il m’est arrivé de sortir de là complètement vidé », raconte Jeremy Hansen.

De longs préparatifs

Avant d’être plongé dans l’eau, David Saint-Jacques a passé près de deux heures à se préparer. Avec tous les équipements qui viennent s’y accrocher, une combinaison spatiale peut peser jusqu’à 160 kg. Dans l’espace, en l’absence de gravité, ce n’est pas un problème. Sur Terre, c’est une autre paire de manches. Voilà pourquoi il faut des grues pour déplacer les astronautes lorsqu’ils sont hors de l’eau.

David Saint-Jacques doit d’abord enfiler le bas de la combinaison. La partie supérieure, elle, est déjà attachée à la grue. L’astronaute, tant bien que mal, doit s’y insérer. Il grimace, s’étire le cou, visiblement inconfortable dans son nouvel accoutrement. On vient ensuite l’aider à fixer les bras, les gants et le casque de la combinaison.

Recréer l'absence de gravité

Avec une telle armure sur le dos, David Saint-Jacques devrait couler à pic dans la piscine. Mais la combinaison est pressurisée, ce qui l’aide à flotter. Des poids et des flotteurs sont aussi insérés dans des poches du scaphandre pour les ajustements finaux. Le but est d’atteindre le point d’équilibre parfait où David Saint-Jacques ne coule pas vers le fond, mais ne flotte pas vers la surface non plus. C’est de cette façon qu’on recrée l’absence de gravité, le but ultime de cet exercice haut en couleur.

La combinaison en détail

Le casque

David Saint-Jacques porte d’abord un casque souple muni d’un microphone et d’écouteurs, sur lequel on place ensuite le casque dur de la combinaison. Seule la visière solaire, qui doit être portée dans l’espace, n’est pas requise pour l’entraînement en piscine. À l’intérieur du casque se trouve un tube pour boire et une drôle de fente où l’astronaute doit s’insérer le nez afin de se débloquer les oreilles pour les ajuster à la pression de l’eau. Le casque compte une lumière sur le dessus et deux torches fixées sur le côté. Dans la Station spatiale internationale, le jour succède à la nuit toutes les 45 minutes, et l’astronaute devra reproduire ce cycle dans l’eau en allumant et éteignant ses lampes.

Les gants

David Saint-Jacques porte une paire de minces gants blancs, sur lesquels on fixe ses gants d’astronaute. « Si je mets ma main dedans, ça donne l’impression d’un gros gant d’hiver, en plus lourd, commente l’astronaute canadien Jeremy Hansen. Le gros problème est quand on les pressurise. Il devient alors très difficile de bouger les doigts. La première fois qu’on les porte, c’est comme réapprendre à utiliser ses mains. Comme les exercices demandent une certaine dextérité, la main devient rapidement très fatiguée. »

La combinaison

David Saint-Jacques porte d’abord une combinaison blanche mince de laquelle partent toutes sortes de tubes, puis, par-dessus, sa combinaison pour les sorties extravéhiculaires. Sur Terre, celle-ci peut peser jusqu’à 160 kg.

Carnet

Avant de plonger dans la piscine, David Saint-Jacques jette un dernier coup d’œil à un petit livret d’instructions plastifié fixé à son bras gauche. On y retrouve la liste des vérifications d’urgence en cas de problème.

Équipement

Au milieu du torse, David Saint-Jacques porte une impressionnante ceinture d’outils spécialisés. Un tentacule appelé « troisième bras » lui permet aussi de se fixer aux montants de la Station – l’astronaute doit toujours avoir deux points d’appui le reliant à son habitacle. Dans le dos de la combinaison est fixé son réacteur dorsal, un appareil de propulsion autonome à utiliser s’il se retrouve largué dans l’espace. Un grand nombre de mousquetons et de fils lui permettent de se fixer aux structures pour éviter de dériver dans l’espace. Mais ils sont à utiliser avec beaucoup de minutie.

« Il faut toujours avoir en tête où sont déployées ses attaches et celles des astronautes qui travaillent à proximité, commente Jeremy Hansen. Sinon il y a un danger réel de se piéger soi-même dans une toile d’araignée. »

Le Laboratoire de flottabilité nulle de la NASA

Piscine de 30 m largeur sur 60 m de longueur sur 12 m de profondeur

Contient près de 10 fois plus d’eau qu’une piscine olympique

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