Une fin en apothéose

Alex Harvey termine deuxième du 15 km en style libre après une poursuite endiablée

Québec — Le grondement s’est fait ressentir jusqu’au sous-sol de l’hôtel Concorde. Il était 16 h 15 et deux étages plus haut, Alex Harvey prenait le micro pour remercier les 450 bénévoles réunis pour célébrer la conclusion des finales de la Coupe du monde à Québec.

« Merci de m’avoir fait triper, moi, et permis d’essayer d’inspirer la prochaine génération », a dit le héros de la fin de semaine devant une nuée de téléphones et quelques jeunes fondeuses en extase.

Si cette compétition internationale s’avérait la dernière de Harvey sur le sol canadien, comme il le laisse entendre, il n’a pas raté son ultime rendez-vous.

Deux heures plus tôt, devant des milliers de spectateurs sur les plaines d’Abraham, il est venu à un cheveu de signer sa deuxième victoire sur ses terres, terminant deuxième derrière le Norvégien Johannes Hoesflot Klaebo après une poursuite endiablée de 15 kilomètres en style libre.

En bordure de piste, un technicien de l’équipe canadienne a écarté le pouce et l’index de deux centimètres. C’est la marge qui séparait Klaebo et Harvey sur la photo d’arrivée.

« Klaebo est le meilleur sprinter au monde cette année. Il a gagné le Globe de cristal vendredi. Se faire déborder par lui, c’est quand même pas trop plate. »

— Alex Harvey

Troisième à s’élancer, Harvey avait déjà rempli sa commande en refermant à lui seul son retard de 23 secondes sur le vainqueur du départ groupé la veille. Comme prévu, le Norvégien Niklas Dyrhaug, deuxième, s’est plié aux consignes d’équipe et a sagement suivi le Canadien durant le premier tiers de la course.

Mais le rythme imposé par Harvey a fait mal à Finn Haagen Krogh, un autre Norvégien menaçant au sprint qui partait quatrième. Ce dernier est passé tout près de rattraper le trio de tête avant de s’éteindre complètement à la fin du premier des quatre tours. Pour l’anecdote, il a fini 70e, à plus de huit minutes du gagnant.

À partir de là, Harvey savait que le podium était pratiquement dans la poche. Il pouvait savourer ce moment unique devant les siens.

Le nouveau champion mondial devait quand même composer avec les deux complices norvégiens... et faire gaffe au caniche royal venu leur faire coucou sur le parcours à la mi-course.

« Ç’a rendu ça excitant, a dit Harvey en souriant au sujet de l’apparition impromptue du canidé, heureusement sans conséquence. « Tu vois ça parfois dans des courses de vélo de route. Ça rendait [le moment] encore plus unique, on dirait. »

« Plan »

Le dernier tour a d’ailleurs pris les allures d’une épreuve de vitesse en cyclisme sur piste. Sur le bord du parcours, Harvey a vu un entraîneur norvégien brandir un panneau avec le mot « plan » inscrit dessus. Il savait très bien ce que ça voulait dire : ses deux rivaux se relaieraient pour l’attaquer.

À 1,5 km de l’arrivée, il a donc choisi de s’écarter au sommet d’une montée. Les trois hommes se sont pratiquement arrêtés, se regardant en chiens de faïence. Klaebo a été le premier à lancer les hostilités dans la dernière descente menant vers le stade. La clameur de la foule a alors atteint son paroxysme.

Deux autres salves concertées des Norvégiens ont suivi. « C’était à moi de réagir, a raconté Harvey. C’est sûr que ça tire un peu de jus dans les jambes, mais c’était de bonne guerre. »

Au dernier virage, il était exactement là où il le souhaitait, deuxième derrière Dyrhaug, qu’il a contourné par l’extérieur. Avec 100 mètres à faire, chacun a pris son corridor dans la ligne droite finale.

« Je croyais que j’avais une chance de gagner. Ça allait juste dépendre de ce qui restait dans les jambes de Johannes. C’était assez, il faut croire. »

— Alex Harvey

Au lendemain de sa victoire au 15 km classique, Klaebo était « bouche bée » d’avoir encore eu le meilleur au sprint. « J’étais fatigué aujourd’hui [hier], a admis le phénomène de 20 ans. Battre Niklas et Harvey à l’arrivée ici est incroyable. »

Dyrhaug a fini troisième, à un dixième du gagnant. « C’est déjà assez dur de battre un Norvégien, [en battre] deux était une tâche un peu trop grande pour moi aujourd’hui [hier], a admis Harvey. Mais je suis vraiment super content de terminer deuxième et de conclure une saison de rêve pour moi. »

Harvey a reçu une ovation monstre au moment de monter sur le podium, trois fois plutôt qu’une. En plus de son deuxième rang au mini-tour de Québec, il a aussi terminé troisième au classement général de la saison de Coupe du monde, son dernier grand objectif, et deuxième à celui des épreuves de distance.

« C’est une saison presque parfaite, a résumé le gagnant du sprint de vendredi. Une médaille d’or en championnat du monde, quelques victoires en Coupe du monde, podium au cumulatif, podium au cumulatif distance... C’est de loin ma meilleure saison en carrière. C’est sûr que le but est d’essayer de répéter ça l’an prochain. »

Après une grande fête sur la Grande Allée hier soir, Harvey mettra le cap demain sur la Corée du Sud, où il visitera les installations des Jeux olympiques de PyeongChang. Là où la pression sera encore plus forte en février 2018.

Un phénomène

Un seul journaliste norvégien de la presse écrite a couvert les finales de la Coupe du monde à Québec. En l’absence de Petter Northug, non sélectionné, plusieurs médias ont choisi de passer leur tour. Johannes Hoesflot Klaebo a pourtant donné tout un spectacle. Le jeune homme de 20 ans connaît un début de carrière comparable à celui de Northug, titré 15 fois aux Mondiaux et aux Jeux olympiques. « C’est incroyable parce qu’avant la saison, je pensais regarder ce mini-tour à la télévision », a assuré Klaebo, qui prévoyait « dormir pendant 20 heures » plutôt que de célébrer sa victoire.

Bjoergen se fait plaisir

Fin de duel prévisible à la poursuite féminine de 10 km : Marit Bjoergen, partie presque en même temps que Heidi Weng, a triomphé de sa compatriote au sprint final. « C’est un très bon sentiment que de l’avoir derrière moi », a avoué la Norvégienne de bientôt 37 ans, mère d’un garçon de 15 mois et quadruple médaillée d’or aux derniers Mondiaux de Lahti. « J’ai 10 ans de plus [que Heidi] et de toujours être là est un très bon sentiment à apporter aux prochains Jeux olympiques. » La meilleure Canadienne a été Emily Nishikawa, 38e à 4:52. Cendrine Browne, de Saint-Jérôme, a tenu son ang, ralliant l’arrivée à la 40e place.

« Inoubliable »

« Inoubliable » : voilà comment l’entraîneur Louis Bouchard a qualifié la dernière saison d’Alex Harvey. « J’espère qu’il y en aura d’autres, a ajouté l’entraîneur en chef de l’équipe canadienne. Ça laisse peut-être présager de beaux Jeux olympiques. C’est motivant, en tout cas. » Bouchard et son collègue Ivan Babikov accompagneront Harvey cette semaine dans le cadre d’une reconnaissance des installations de PyeongChang.

Une flèche de Pierre Harvey

Pierre Harvey a encore été épaté par la dernière prestation de son fils sur les plaines d’Abraham. « Impossible d’être plus fier que ça », a-t-il réagi au terme de l’épreuve. Interrogé sur l’impact d’un tel événement, il a déploré le piètre appui reçu selon lui par les athlètes canadiens : « On aimerait voir plus d’Alex au Canada, plus d’Alex femmes aussi. Si on avait un peu plus de soutien, on pourrait produire plus d’athlètes. Mais on ne met pas beaucoup d’argent pour soutenir les athlètes au Canada. C’est parfois un peu triste de voir ça parce qu’on a le potentiel d’avoir de grands athlètes. »

Des Mondiaux en 2023 ?

Fort du succès de la Coupe du monde de Québec, l’organisateur veut maintenant en faire un événement bisannuel récurrent au calendrier de la Fédération internationale de ski (FIS). « C’est la priorité », a indiqué le président de Gestev, Patrice Drouin, qui a déjà des dates garanties en décembre 2019. L’entreprise vise aussi les Championnats du monde de ski nordique de 2023 ou 2025, pour lesquels elle souhaite soumettre un avis d’intention en mai prochain. Principal défi : convaincre la FIS de tenir les épreuves de saut à ski et de combiné nordique dans une autre ville, en l’occurrence Whistler, qui possède déjà des tremplins homologués.

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