Vi

Partager la beauté

Elle arrive à l’entrevue vêtue d’une petite robe blanche sans manches et chaussée de bottes de pluie rouges. Lorsque le photographe lui demande de moins rigoler pendant la séance, elle riposte : « Vous voulez que je prenne une pause d’auteure, c’est ça ? » Avec son énergie joyeuse et juvénile, Kim Thúy fait bien moins que ses 47 ans, et conjure la grisaille de ce lundi de Pâques pluvieux.

Charisme, sensibilité, talent : l’auteure d’origine vietnamienne est en fait un alliage rare. Elle est ainsi devenue, depuis la sortie de son premier roman Ru en 2009, une écrivaine très médiatique, qui connaît du succès ici, mais aussi en France, en Suède et en Allemagne. Pourtant, sur la photo d’elle qui viendra avec son troisième roman, Vi, en librairie mercredi, on ne verra que son épaule et « un cinquième » de son visage.

« La vie est faite d’ombre et de lumière, dit Kim Thúy, qui explique que cet angle particulier lui a été inspiré par une vieille photo de sa grand-mère, morte cet hiver. Et ces contradictions me plaisent », ajoute-t-elle en racontant qu’elle a justement découvert ce qu’était la lumière en regardant les tableaux noirs de Pierre Soulages.

C’est comme ça avec Kim Thúy : une réponse ne vient jamais seule. Elle est nécessairement accompagnée d’une citation ou d’un proverbe, précédée de la narration d’une rencontre qui l’a inspirée ou enrobée d’une foule de détails qui la mettent en contexte. Quand elle nous explique que la finale de Vi est en fait le livre qu’elle n’a pas réussi à écrire (!), on comprend que son cerveau fonctionne de cette manière aussi lorsqu’elle crée.

« Dans Mãn, l’histoire que je voulais raconter était celle de la plaque d’identité, mais je n’arrivais pas à la placer nulle part. Elle s’est finalement retrouvée à la dernière page, pour fermer le roman. C’est pareil dans Vi : je voulais raconter l’histoire particulière d’un couple, mais pour qu’on les comprenne, il fallait que je raconte d’où venait Vi, ses parents, puis ses grands-parents… et finalement ça a pris tout le livre. Je suis comme ça moi, les histoires que je veux raconter ne se racontent pas, ou seulement oralement aux gens qui sont autour ! »

En fait, elle ne sait pas dire non et reste toujours ouverte à toutes les possibilités, précise-t-elle pour expliquer sa manière de fonctionner. « Par exemple, quand j’ai eu cette image des grands-parents et du marché de fruits, c’était trop beau, alors j’ai dit oui. L’écriture c’est ça : une histoire en entraîne une autre, qui en entraîne une autre… »

SE CONSTRUIRE

Vi, c’est le prénom d’une petite fille qui a fui le Viêtnam avec sa mère et ses frères pendant la guerre. Après un passage dans un camp de réfugiés en Malaisie, la famille ira habiter dans le quartier Limoilou, à Québec, où elle vivra une adolescence discrète. Elle ira ensuite étudier à Montréal, se fera des amis, tombera amoureuse, travaillera, voyagera beaucoup… et devra surtout apprendre, à travers tout cela, à trouver qui elle est vraiment. Pas facile, surtout quand notre prénom signifie « Précieuse minuscule microscopique ».

« Au Viêtnam, les parents donnent toujours comme prénom ce qu’ils souhaitent pour leurs enfants. Mais c’est souvent le contraire qui arrive – beaucoup de filles qui s’appellent Blanche, par exemple, ont le teint foncé. » 

— Kim Thúy

Le destin de Vi, même si elle est devenue plus grande que tout le monde, était d’être invisible. Pour évoluer dans son pays d’accueil, elle n’aura pas le choix de s’affranchir de son prénom. Comme on est chez Kim Thúy, cela se fera par petites touches, au fil de ses rencontres et de ses déplacements.

« On pense qu’on sait comment vivre. Mais non, on doit tous apprendre à être présent dans sa propre vie », estime Kim Thúy, qui a aimé l’opposition entre le sens du « vi » vietnamien, qui est « immensément petit », et la « vie » française, qui est « immensément grande ». « La vie est infinie, mais elle est composée de plein de détails nécessaires. Tout est imbriqué. »

Pour faire son chemin, Vi devra donc faire le tri et trouver l’équilibre entre les différents univers qui la nourrissent – la tradition vietnamienne, aussi riche que lourde, et les mœurs plus libres du Québec. Mais c’est le cas pour tout le monde, avance Kim Thúy, pas seulement pour les personnes issues de plusieurs cultures.

« Juste se défaire de ses parents… On leur ressemble nécessairement, mais on veut aussi s’affirmer. Et comment faire pour ne pas rejeter tout ce qui nous a été enseigné ? », demande celle qui, de son côté, a eu besoin de plusieurs mentors pour arriver à mieux se construire.

EXIL

L’exil, thème central de l’œuvre de Kim Thúy, est encore au cœur de ce nouveau roman. « Je dirais plutôt la richesse de l’exil et d’avoir deux cultures. Je ne serais pas celle que je suis sans cela. Mon objectif est d’écrire la beauté, j’écris juste pour ça. Je veux montrer que parfois, quand on est né quelque part, on ne réalise pas comment c’est beau. »

Si elle a mis Vincent, un Français travaillant au Viêtnam, sur le chemin de Vi, c’est pour lui permettre de renouer avec son pays. « Quand elle retourne dans ce pays qu’elle a perdu, il lui montre sa culture à elle, qui est magnifique. Seule, elle ne pouvait pas en voir la beauté. »

Vincent aura été pour Vi ce que Marguerite Duras a été pour Kim Thúy : c’est l’auteure de L’amant qui lui a présenté un Viêtnam romantique que ses parents ne pouvaient pas voir.

« Parfois, il nous faut quelqu’un de l’extérieur pour nous faire apprécier quelque chose. À l’inverse, je me dis souvent que les Québécois ne sont pas assez fiers de ce qu’ils sont. Alors je prends la responsabilité de leur dire comment le Québec est beau, comment la culture québécoise est unique et comment la langue québécoise est exceptionnelle. »

Vi

Kim Thúy

Libre Expression 144 pages

En librairie mercredi

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