Analyse

Des diagnostics sans remèdes

Comme son père, horloger, Juan Roberto Iglesias est capable de démonter les rouages d’un problème en un tour de main. Sa connaissance de l’administration publique et son intelligence pénétrante l’amènent rapidement à cibler l’endroit où l’engrenage fait défaut.

Quant à prendre une décision, à donner l’orientation et à tenir le cap, c’est une tout autre affaire.

Le mandarin âgé de 70 ans est perçu dans la machine comme un conseiller hors norme, un analyste perspicace, mais un gestionnaire bien moyen. Dans l’administration publique, il se retrouve souvent au banc des accusés quand on cherche la source des changements de cap incessants du gouvernement de son ami Philippe Couillard.

Aux côtés de Jean-Louis Dufresne, l’ami d’enfance, le Dr Juan Roberto Iglesias est, en plus, une sorte de mentor pour Philippe Couillard. « Trois doigts du même gant », résume-t-on au gouvernement. Dans les réunions, les blagues qu’échangent MM. Couillard et Iglesias en disent long sur leur proximité ; les rapports avec M. Dufresne sont plus formels.

La proximité de Philippe Couillard et de son secrétaire général – le numéro un des fonctionnaires – est bien connue à Québec. Quand il a divorcé, à Sherbrooke, le Dr Couillard est allé vivre chez M. Iglesias, alors vice-doyen à la faculté de médecine.

Né en Espagne, arrivé enfant à Montréal, M. Iglesias a perdu son père très jeune. Pensionnaire chez les Clercs de Saint-Viateur, à Rigaud, le rondouillard élève impressionnait déjà – il était un peu plus vieux que les autres élèves. Personne n’a été surpris quand ce premier de classe s’est tourné vers la médecine. Après avoir terminé sa médecine à Sherbrooke en 1972, il a été médecin de famille au CLSC de Farnham pendant trois ans, avant d’obtenir, à McGill, un postdoctorat en épidémiologie.

Ceux qui ont vu Couillard et Iglesias ensemble perçoivent tout de suite leur complicité, produit de la faculté très élitiste de médecine de Sherbrooke. Légende urbaine ?

Avant même de se lancer en politique, en 2003, Philippe Couillard – qui se voyait déjà premier ministre – aurait promis le poste de secrétaire général à M. Iglesias. Bien avant les élections d’avril 2014, M. Couillard avait décidé de ramener M. Iglesias à la tête de la machine gouvernementale.

Quand Philippe Couillard deviendra ministre de la Santé, sous Jean Charest en 2003, M. Iglesias sera immédiatement son sous-ministre. Il ne terminera pas son mandat et sera nommé en 2006 à l’Agence d’évaluation des technologies en santé, une sinécure. Il prendra naturellement la direction du tout nouvel Institut national d’excellence en santé, où on se souvient de ce gestionnaire « rigolo », une direction plus informelle que hiérarchique.

Encore aujourd’hui, on ne voit pas en M. Iglesias un bourreau de travail – beaucoup ont constaté, de visu, que le premier fonctionnaire cogne parfois des clous dans les réunions ennuyeuses. Il ne soulève pas les passions dans ses interventions au forum mensuel des sous-ministres. Il préfère les rencontrer, un à un, dans son bureau.

Il ne lève pas le nez sur les privilèges de sa fonction – sa limousine l’attend pendant des heures dans le quartier Montcalm, où il habite à Québec, alors qu’une simple course de taxi pourrait faire l’affaire.

On l’oublie souvent, mais ce n’était pas le premier contact de M. Iglesias avec la haute administration publique. Entre 1989 et 1993, il était déjà sous-ministre adjoint à la Santé – le sous-ministre André Dicaire avait multiplié les entrevues pour amener du sang neuf. Responsable de la coordination intersectorielle, il s’est retrouvé aux barricades devant les fédérations de médecins, et le coloré docteur Augustin Roy, pour défendre la réforme de la santé du ministre Marc Yvan Côté, le projet de loi 120. Les médecins contourneront Côté pour atteindre Robert Bourassa, et des morceaux importants de la réforme resteront sur le carreau.

À la défaite du Parti libéral, en 1994, il est retourné dans ses terres à Sherbrooke. En 2003 comme en 2014, beaucoup pensaient qu’il n’accepterait pas de revenir à Québec – il a toujours été très proche de sa famille.

Au gouvernement, on se méfie un peu de ce mandarin « girouette », qui peut changer d’idée rapidement après avoir pris une décision.

Les ministères se sentent investis de l’approbation du chef d’orchestre, foncent avec leur projet de loi, mais constatent que l’on change de partition dès que les huées s’élèvent dans l’auditoire.

Il ne dit pas un mot au Conseil des ministres, mais intervient avec assurance au comité des priorités et aux comités ministériels. On prend avec un grain de sel ses affirmations en dehors de son champ d’expertise – en économie, par exemple. Ce n’est pas faute de comprendre les problèmes, mais les pistes de solution concrètes, la gestion, ne sont pas sa spécialité.

On lui fait un mauvais procès, observent certains stratèges, les changements de cap subits viennent davantage du tandem Couillard-Dufresne, qui navigue bien souvent à vue. Ce ne sera ni le premier ni le dernier gouvernement à corriger le tir au gré des critiques.

En 2014, la rumeur voulait qu’il reste un an seulement à ce poste exigeant entre tous. Depuis, plus un bruit sur un départ éventuel. On dit qu’il n’est pas si entiché de son travail, mais les décisions ne sont pas son fort.

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