Chronique

Les connaissances fiscales et les intentions de vote

Les électeurs qui ont de meilleures connaissances en fiscalité votent-ils davantage à droite ou à gauche ?

Voilà l’intrigante question qu’ont tenté de vérifier scientifiquement trois chercheurs de l’Université de Sherbrooke, en l’occurrence Jean-Herman Guay, Antoine Genest-Grégoire et Luc Godbout.

En clair, y a-t-il un lien entre le degré de connaissances de la fiscalité et l’axe politique gauche-droite dans les intentions de vote ? Plus largement, le degré de littératie fiscale augmente-t-il la probabilité qu’un électeur se rende voter aux élections provinciales ou fédérales, peu importe le parti ?

Pour mesurer le lien, les chercheurs ont utilisé les résultats d’un sondage réalisé auprès de 1000 répondants en octobre 2015. Dix-huit questions simples étaient posées, cinq sur les revenus imposables, sept sur les taxes à la consommation et six sur la progressivité de l’impôt.

Par exemple, on a demandé si « le retrait d’un REER autrement que pour des études ou l’achat d’une première maison est imposable ». On a aussi mesuré le degré de connaissances des répondants concernant les produits taxables (pommes de terre, repas au restaurant, etc.). Autre exemple : muni d’un barème d’imposition où le taux maximal inscrit était de 50 %, les personnes sondées ont dû répondre par vrai ou faux à l’affirmation suivante : « si votre revenu imposable est de 100 000 $, l’impôt sur le revenu est de 50 000 $ ».(1)

Sur un score maximum de 18, les répondants ont obtenu une moyenne de 10,33, soit moins de 60 %. Seuls 6 répondants sur les 1000 ont obtenu un score parfait de 18.

Premier résultat des chercheurs : il y a un lien très significatif entre les connaissances fiscales et la participation probable au vote. Dit autrement, les répondants qui disaient vouloir annuler leur vote ou s’abstenir de voter se sont révélés avoir des résultats nettement plus faibles que les autres au test de fiscalité.(2)

Évidemment, le lien fiscalité-vote peut aller dans les deux sens. Il est possible que l’ignorance fiscale soit une cause qui incite ces répondants à ne pas voter. Dans l’autre sens, le fait de choisir de s’abstenir de voter pour différentes raisons peut conduire ces « abstentionnistes » à se dire : « pourquoi me renseigner sur l’enjeu électoral qu’est la fiscalité si je ne vais pas voter ? »

Quoi qu’il en soit, le lien est fort dans les deux sens. Et lorsque l’ignorance fiscale est vue comme une cause de s’abstenir de voter, elle est significative même en la couplant à d’autres variables, comme l’âge, la scolarité, le revenu, etc. Dit autrement, le manque de connaissances fiscales est un facteur indépendant qui explique fortement le comportement des non-votants, en plus du niveau de scolarité, du revenu ou du genre, par exemple.

Deux groupes aux extrêmes de la distribution illustrent bien le phénomène. Chez les plus de 65 ans, propriétaires d’une maison et universitaires, une plus grande littératie fiscale augmente la probabilité d’aller voter de 10 points de pourcentage (la probabilité passe de 85 à 95 % environ aux élections provinciales).

À l’autre extrême, les jeunes faiblement scolarisés et locataires ont deux fois plus de probabilités d’aller voter s’ils ont de bonnes connaissances en fiscalité. La probabilité de voter passe ainsi d’environ 30 à 60 % au provincial.

Ces résultats ravivent la pertinence d’offrir des cours d’économie au secondaire avec un volet portant sur les questions fiscales.

QUÉBEC SOLIDAIRE ET PARTI CONSERVATEUR

Maintenant, la question centrale : y a-t-il un lien entre le degré de connaissances fiscales et l’axe politique gauche-droite ? Au provincial, la réponse est non, tandis qu’au fédéral, la réponse est partiellement oui.

Selon les résultats de l’étude, la littératie fiscale n’est pas un facteur déterminant du choix des électeurs pour aucun des quatre partis, que ce soit le Parti québécois, le Parti libéral du Québec, la Coalition avenir Québec ou Québec solidaire.

Au fédéral, par contre, les chercheurs ont constaté que les connaissances en fiscalité jouent un rôle, mais surtout pour le Parti conservateur. « Une plus grande littératie fiscale augmente indéniablement la probabilité de voter pour le Parti conservateur du Canada », soutiennent-ils.

Étonnamment, les chercheurs ont constaté que ce lien était également fort pour ceux se proposant de voter pour le Nouveau Parti démocratique (NPD). À l’inverse, la probabilité de voter pour le Parti libéral diminue avec l’augmentation des connaissances fiscales.

Ils attribuent ce phénomène à la campagne électorale de l’automne (au même moment que le sondage), où le NPD s’était dit par exemple en faveur du maintien du déficit zéro, tandis que les libéraux proposaient un déficit annuel de 10 milliards et une hausse des impôts des riches.

Cela dit, on peut s’interroger : les conservateurs sont-ils plus connaissants en fiscalité comme le seraient les électeurs à gauche pour les affaires sociales, ce qui amènerait chacun des deux groupes à voter davantage pour le parti qui fait de leurs préoccupations son cheval de bataille ?

1- Les réponses sont : REER – oui, pommes de terre – non, repas au restaurant – oui, revenu imposable – faux.

2- Parmi les non-votants, les chercheurs ont inclus les indécis.

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