À ma manière

Comment j’ai confié mon entreprise à un autre pour prendre une sabbatique

Chaque semaine, une personnalité du milieu des affaires nous raconte en ses mots une page de son histoire.

Qui ? Marie-Josée Richer, cofondatrice (avec Alon Farber) de Prana, produits biologiques et santé.

Mon chum et moi pensions partir depuis longtemps. Plus jeunes, on était des voyageurs. Lors des premières années de gestion de Prana, on était en mode survie. On travaillait tout le temps. Parfois, on était au bout du rouleau, mais on n’arrivait pas à couper le cordon. On a alors vendu une partie de l’entreprise à un fonds d’investissement. C’était bon de laisser aller, de voir que Prana, ce n’était pas nous. Mais est-ce que je pouvais faire encore plus ?

Puis, il y a eu un moment décisif : la mort de mon beau-père d’un cancer à 60 ans, il y a cinq ans. Cette mort nous a donné un choc. Vais-je travailler derrière un ordi toute ma vie ? Par ailleurs, je ne voulais pas reproduire le modèle de mes parents fonctionnaires. Celui du métro-boulot-dodo non plus.

On a donc élaboré un plan de match, il y a quatre ans, pour notre sortie. Le bateau devait s’en aller où ? Ça nous a forcés à avoir des perspectives et à mettre des programmes en place.

La seule façon de lâcher le morceau était de partir, sinon le quotidien allait nous rattraper. On voulait se lancer dans l’inconnu. Finalement, il y a un an, on s’est dit : on part et on cherche un PDG.

Mais ce qu’on voulait était difficile à trouver : un Américain qui parle français et qui s’installe à Montréal. Quelqu’un qui allait mordre dans notre vision d’entreprise progressiste. On a inclus le C.A. dans le processus. On a pris un chasseur de têtes. Et on a prié ! Notre choix s’est posé sur Thierry Jean, né en Utah, autrefois chez Andros ConAgra.

On a trouvé quelqu’un d’extrêmement bien. Avec lui, on a pensé à une longue transition de six mois. Il y a eu des soubresauts et beaucoup d’inquiétudes de la part de nos employés. Il a fallu qu’on les rassure. Thierry Jean a dû poser des gestes qui n’ont pas fait l’unanimité. Il est très formel, mais on lui a fait beaucoup confiance. Il était dans l’optimisation du coût et du personnel. On n’était pas profitable depuis deux ans, à cause de l’augmentation sentie du coût des matières premières et de nos investissements aux États-Unis. Et là, on est en voie d’atteindre nos chiffres de ventes. On vient de vivre notre plus gros trimestre à vie.

Le grand départ

Au bout de six mois, du jour au lendemain, nous sommes déménagés de Montréal à Val-David. Nous avons passé l’été là. On avait comme plan de partir en Israël dès qu’il ferait froid.

On savait qu’on serait perdus, mais pas autant que ça ! Les derniers mois ont été intenses. Avoir trois jeunes enfants, c’est très prenant. Le plus gros choc a été de me retrouver avec mon chum des 13 dernières années au quotidien. On débarquait du train au beau milieu de nulle part ! On n’avait pas nourri notre couple depuis tant d’années. Ce fut difficile le premier mois et demi. On s’est posé de grandes questions. Voulait-on continuer sur ce chemin ensemble ? Je n’avais que 24 ans quand on a lancé Prana, en 2005. Les discussions furent longues. Il fallait se retrouver soi-même. Finalement, ça a fait du bien d’être à Val-David dans le grand néant.

On a acheté des billets d’avion pour Israël à une semaine de notre départ, car nous étions écœurés de planifier. Là, dans quelques jours, nous partons pour l’Afrique du Sud.

On espère aussi aller en Namibie et en Tanzanie, éventuellement au Pérou, en Colombie et au Brésil. On veut rencontrer des producteurs et agriculteurs et conclure des partenariats. Mais je veux que ce soit une expérience agréable. On veut y aller avec le flow. On veut vivre le moment présent.

Notre plan est de revenir en juillet 2018. On a un salaire de subsistance. On fait des conférences et on visite des agriculteurs. Je sais cependant qu’on ne retournera pas chez Prana au quotidien.

On a des réunions par Skype avec le PDG aux deux semaines. On veut rester au courant. On a intérêt à voir comment Prana évolue. C’est quand même un défi pour l’entreprise de passer de fondateurs avec des idéaux à un professionnel qui a une expérience de la grande entreprise. On a de très gros objectifs de croissance aux États-Unis et au Canada. On veut être une entreprise de 100 millions de dollars d’ici quelques années.

C’est tout un changement de culture ! On veut s’assurer qu’on ne laisse pas les choses en plan, que les gens sentent qu’on est là.

Parallèlement, à Val-David, où on a acheté 530 acres de terre, on a des projets communautaires. On veut bâtir une petite communauté de 10 à 15 maisons. C’est à l’étape embryonnaire. Avant de défricher, on veut être à l’écoute de cette place et la sentir.

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