les internautes britanniques devront prouver leur majorité
LONDRES — Exit les simples cases où chacun peut s’inventer une date de naissance. À partir de juillet, les sites pornographiques devront exiger une carte de crédit (même si leur contenu est gratuit), un numéro de carte d’identité gouvernementale ou une autre preuve d’âge de tout internaute britannique. Autre option : se rendre dans un dépanneur où un commis vérifiera physiquement votre âge avant de vous remettre un coupon numéroté.
Bonne façon de protéger les enfants d’une exposition prématurée à ces sites ou tentative désespérée par un gouvernement de « technonuls » dépassés ? Les experts sont divisés sur le projet, une première en Occident.
Plus du quart des enfants britanniques de 11 et 12 ans avouent avoir regardé du contenu pornographique, dont beaucoup accidentellement, suggère une étude réalisée auprès de 1000 jeunes par une équipe de scientifiques de la Middlesex University, à Londres, en 2016.
« Pour certains d’entre eux, ça peut représenter un facteur de risque pour leur développement et leur sécurité », explique à La Presse le Dr Andrew Monaghan, coauteur de l’étude et chercheur à la Middlesex University. Il souligne que certains d’entre eux peuvent être tentés de diffuser des photos de leur corps ou acquièrent une vision faussée de la sexualité.
Plusieurs organismes à but non lucratif se réjouissent du projet du gouvernement, dont la National Society for the Prevention of Cruelty to Children (NSPCC).
« L’exposition à du contenu pornographique peut avoir un impact négatif sur la vision qu’auront les jeunes de leur sexualité, de leur image corporelle et sur les relations amoureuses. Nous en avons régulièrement la preuve à travers notre ligne téléphonique d’aide aux jeunes. »
— La NSPCC, par courriel
« Nous voulons que le Royaume-Uni devienne l’endroit le plus sûr dans le monde pour les enfants qui naviguent sur l’internet, et ces nouvelles mesures vont nous aider à atteindre cet objectif », a déclaré la ministre responsable de la Culture numérique, Margot James, en confirmant la semaine dernière l’entrée en vigueur prochaine de la loi.
Placer un cadenas virtuel sur les sites pornographiques pour les garder hors de portée des jeunes constitue un pas dans la bonne direction pour leur santé, croit Giuseppe Picuccio, psychologue à l’hôpital Nightingale de Londres, qui traite des mineurs et des jeunes adultes pour des problèmes liés à leur sexualité.
« La pornographie fait en sorte que certains jeunes ont des visions faussées quant à la nature des relations interpersonnelles et intimes, mais aussi quant à leur propre corps », jusqu’à leurs organes génitaux, a-t-il dit en entrevue téléphonique. Et ces perceptions arrivent souvent à une période où ils traversent une période de changements profonds dans différentes sphères de leur vie. « Il y a une forme de dépendance qui se développe. Et ça commence de plus en plus jeune, c’est ce que je constate. »
Cette dépendance peut avoir un autre effet pervers chez les ados, à force de visionnement de contenu pornographique, a expliqué M. Picuccio : une désensibilisation intervient, ce qui force le jeune à consulter des images toujours plus extrêmes et plus nocives.
En ce sens, « c’est une bonne idée de restreindre l’accès, mais ça doit venir avec une forme d’éducation sexuelle », a-t-il souligné.
Pour le chercheur Andrew Monaghan aussi, la solution du gouvernement britannique est « innovante » et part d’une bonne idée. Elle pourrait toutefois se frapper au mur de la réalité.
« L’intention est bonne : protéger des individus jeunes et vulnérables en les empêchant de voir des choses qu’ils ne devraient pas voir, dit-il. On ne doute pas de leur bonne volonté, mais l’efficacité de la mesure est loin d’être certaine. »
L’avocat Myles Jackman, qui se spécialise dans les causes liées à l’obscénité et à la sexualité, résume les critiques que s’attire le blocus planifié par Londres : « Ça pose des problèmes pour la vie privée, pour la sécurité des jeunes et pour la liberté d’expression. »
Me Jackman s’inquiète notamment du fait que, comme les internautes doivent fournir des données qui les identifient personnellement, leur historique de navigation subséquent (et donc leurs préférences sexuelles) pourrait faire l’objet d’une fuite. Il cite en exemple le site de rencontres infidèles Ashley Madison, dont les données internes se sont retrouvées dans l’espace public en 2015.
« Dans ce cas, il y a même eu des suicides », souligne-t-il. Il s’inquiète aussi du fait que les jeunes Britanniques puissent rapidement trouver des façons de contourner la barrière imposée par l’État avec des outils informatiques qui pourraient les rapprocher de sites peu recommandables sur le Dark Web.
MindGeek, l’entreprise montréalaise qui possède les géants PornHub et YouPorn, promet de respecter la loi, même si elle estime que la barrière « aura très certainement un impact » sur la fréquentation des sites « en raison des inconvénients créés pour les utilisateurs », a indiqué le porte-parole Rob Cassady dans un courriel à La Presse. « Nous craignons que les nouvelles mesures poussent des internautes vers des sites qui ne respectent pas les règles. » MindGeek utilisera (et commercialisera) AgeID, une plateforme de vérification approuvée par Londres. Celle-ci n’amassera aucune donnée et ne peut donc pas être victime d’une fuite, assure l’entreprise.
CHIFFRES
28 %
Au Royaume-Uni, 28 % des enfants de 11 et 12 ans ont déjà vu de la pornographie, comparativement à 68 % des 15-16 ans
42 %
Proportion des adolescents de 15 et 16 ans qui ont dit vouloir reproduire des gestes vus dans du matériel pornographique.
Source : Étude réalisée auprès de 1000 jeunes par une équipe de scientifiques de la Middlesex University, à Londres, en 2016