DISCOURS

CLIMAT Nous pouvons encore régler ce problème

Nous reproduisons l’essentiel du discours de la jeune militante pour le climat Greta Thunberg lors d’une rencontre avec des députés britanniques, mardi à Londres, où des manifestants ont protesté pour réclamer un « état d’urgence écologique ».

Je m’appelle Greta Thunberg. J’ai 16 ans. Je suis suédoise. Et je parle au nom des générations futures.

Je sais que beaucoup d’entre vous ne veulent pas nous écouter, qu’ils disent que nous ne sommes que des enfants. Mais nous ne faisons que transmettre le message que partagent la plupart des climatologues.

Beaucoup d’entre vous semblent préoccupés par le fait que nous perdons un temps précieux où nous devrions être en classe, mais je vous assure que nous retournerons à l’école dès que vous commencerez à écouter les propos des scientifiques et à nous offrir un avenir. Est-ce vraiment trop demander ?

En 2030, j’aurai 26 ans. Ma petite sœur Beata en aura 23. Comme beaucoup de vos enfants ou petits-enfants. C’est un bel âge, nous dit-on. Celui où on a toute la vie devant soi. Mais je ne suis pas sûre que pour nous, ce sera aussi beau.

J’ai eu la chance de naître à une époque et dans un lieu où tout le monde nous disait de rêver grand : je pourrais devenir ce que je voulais, je pourrais vivre où je le souhaitais. Les gens comme moi possédaient tout ce dont ils avaient envie et même plus. Des choses dont nos grands-parents ne pouvaient même pas rêver. Nous avions tout ce que nous pouvions désirer, mais nous n’aurons peut-être rien du tout.

Maintenant, nous n’avons probablement même pas d’avenir.

Parce que l’avenir a été vendu afin qu’un petit nombre de personnes puissent gagner des sommes d’argent inimaginables. On nous l’a volé chaque fois qu’on nous a déclaré : « Tout est possible » ou « On ne vit qu’une fois ».

Vous nous avez menti, vous nous avez donné de faux espoirs. Vous nous avez dit que nous devions avoir hâte à notre avenir. Et le plus triste, c’est que la plupart des enfants ne sont même pas conscients du sort qui nous attend. Nous ne le comprendrons que lorsqu’il sera trop tard. Et pourtant, nous avons de la chance. Ceux qui seront le plus durement touchés en subissent déjà les conséquences. Mais on ne les entend pas.

Mon micro est-il allumé ? M’entendez-vous ?

Vers 2030, dans 10 ans, 252 jours et 10 heures, nous allons déclencher une réaction en chaîne irréversible que les humains ne pourront maîtriser et qui conduira très probablement à la fin de notre civilisation telle que nous la connaissons. À moins que d’ici là, des changements permanents et sans précédent n’aient lieu dans tous les aspects de la société, ce qui inclut une réduction des émissions de CO2 d’au moins 50 %.

Et notez que ces calculs dépendent d’inventions qui n’existent pas encore à grande échelle, des inventions qui sont censées nettoyer l’atmosphère d’une quantité astronomique de dioxyde de carbone. Avez-vous entendu ce que je viens de dire ? Est-ce que mon anglais est correct ? Le micro est-il allumé ? Parce que je commence à me le demander.

Au cours des six derniers mois, j’ai voyagé partout en Europe et passé des centaines d’heures dans des trains, des voitures et des autocars électriques, à répéter les mêmes choses, encore et encore. Mais personne ne semble en parler, et rien n’a changé. En fait, les émissions continuent d’augmenter.

Lors de mes passages dans différents pays, on m’offre toujours de l’aide pour que je puisse traiter des politiques climatiques particulières à chaque endroit. Mais ce n’est pas vraiment nécessaire, parce que le problème est partout le même.

Rien n’est fait pour arrêter – ni même ralentir – la dégradation du climat et de l’environnement, malgré toutes les belles paroles et les promesses.

Le Royaume-Uni est un cas à part. D’abord à cause de sa dette de carbone exorbitante, mais aussi pour sa comptabilisation très créative du carbone. Depuis 1990, le pays a réduit de 37 % ses émissions territoriales de CO2, selon le Global Carbon Project. Cela semble très impressionnant. Mais ces chiffres n’incluent pas les émissions du transport aérien et maritime ni celles associées aux importations et aux exportations. Si on en tenait compte, la réduction se situerait plutôt autour de 10 % depuis 1990, ce qui constitue une moyenne de 0,4 % par année, selon Tyndall Manchester.

Et ce ne sont pas les politiques climatiques qui sont les principales responsables de cette réduction, mais plutôt une directive de l’Union européenne de 2001 sur la qualité de l’air qui a essentiellement forcé le Royaume-Uni à fermer ses vieilles centrales au charbon très polluantes et à les remplacer par des centrales au gaz moins polluantes. Bien sûr, le fait de passer d’une source d’énergie aux effets désastreux à une autre aux effets un peu moins désastreux entraînera une diminution des émissions.

« Réduire » nos émissions ?

Cependant, l’idée fausse la plus dangereuse au sujet de la crise climatique est sans doute de croire qu’il faut « réduire » nos émissions. Parce que c’est loin d’être suffisant. Nous devons plutôt y mettre fin si nous voulons que le réchauffement soit inférieur à 1,5 ou 2 °C. La « réduction des émissions » est certes nécessaire, mais ce n’est que le début d’un processus rapide qui doit aboutir à un arrêt complet d’ici quelques décennies, voire moins. Et par « arrêt », j’entends qu’il faut atteindre zéro émission nette puis, très vite, en venir à des chiffres négatifs. Ce que ne permettent pas la plupart des politiques actuelles.

Le fait qu’il soit question de réduire les émissions plutôt que d’y mettre fin est peut-être la plus grande force qui nous pousse à continuer de mener nos affaires comme avant.

Les gens nous disent, à moi ainsi qu’aux millions d’autres écoliers grévistes, que nous devrions être fiers de ce que nous avons accompli. Mais la seule chose que nous devons examiner, c’est la courbe des émissions. Je suis désolée, mais elle grimpe toujours. Cette courbe est la seule chose qui devrait nous intéresser.

Chaque fois que nous prenons une décision, nous devrions nous interroger sur l’influence qu’elle aura sur cette courbe. Nous ne devrions plus mesurer notre richesse et notre succès en fonction du graphique qui représente la croissance économique, mais en fonction de la courbe des émissions de gaz à effet de serre. Nous ne devrions plus nous demander : « Avons-nous assez d’argent pour faire cela ? », mais plutôt : « Avons-nous assez de budget carbone pour le faire ? » Cela doit devenir notre nouvelle monnaie.

Beaucoup de gens affirment que nous n’avons pas de solutions à la crise du climat. Ils ont raison. Comment pourrions-nous en avoir une ? Comment « résoudre » la plus grande crise que l’humanité ait jamais connue ? Comment « résoudre » une guerre ? Comment « résoudre » la difficulté que représente un premier voyage sur la Lune ? Comment « résoudre » le défi qu’est la mise au point d’inventions ?

La crise du climat est le problème à la fois le plus facile et le plus difficile auquel nous ayons jamais été confrontés. Le plus facile, parce que nous savons ce que nous devons faire : nous devons cesser d’émettre des gaz à effet de serre. Le plus difficile, parce que notre économie est encore totalement dépendante des combustibles fossiles, et donc de la destruction des écosystèmes afin de permettre une croissance économique sans fin.

« Alors, comment pouvons-nous régler ce problème ? », nous demandez-vous, à nous, les écoliers en grève pour le climat.

Nous répondons : « Personne ne connaît la solution avec certitude. Mais nous devons cesser de brûler des combustibles fossiles et restaurer la nature et bien d’autres choses dont nous ne sommes pas encore conscients. »

Vous déclarez : « Ce n’est pas une réponse ! »

Nous affirmons : « Nous devons commencer à traiter cette crise comme une crise, et agir même si nous ne possédons pas encore toutes les solutions. »

« Ce n’est toujours pas une réponse », dites-vous.

Alors, nous commençons à discuter d’économie circulaire, de remise à l’état sauvage et de la nécessité d’une transition juste. Mais vous ne comprenez pas de quoi nous parlons.

Nous disons que personne ne connaît encore les solutions et que, par conséquent, nous devons nous unir pour appuyer la science et les trouver ensemble au fil du temps. Mais vous n’écoutez plus. Parce que ces réponses visent à résoudre une crise que la plupart d’entre vous ne comprennent pas tout à fait. Ou ne souhaitent pas comprendre.

Vous n’écoutez pas la science, parce que les seules solutions qui vous intéressent sont celles qui vous permettraient de continuer comme avant. Comme maintenant. Et ces réponses-là n’existent plus. Parce que vous n’avez pas réagi à temps.

Éviter le pire

Pour empêcher les dérèglements climatiques, il faudra adopter une pensée de bâtisseurs de cathédrales. Il nous faut poser les fondations alors que nous ignorons comment nous allons construire le toit.

Parfois, il suffit de trouver un moyen. Si nous décidons de réaliser quelque chose, tout devient possible. Et je suis sûre que lorsque nous commencerons à nous comporter comme en situation d’urgence, nous pourrons éviter une catastrophe climatique et écologique. Nous, les humains, avons une grande capacité d’adaptation et pouvons encore régler ce problème. Mais la possibilité de le faire n’existera pas longtemps. Il faut s’y atteler dès aujourd’hui. Nous n’avons plus d’excuses.

Nous, les enfants, nous ne sacrifions pas notre éducation et notre enfance pour que vous nous expliquiez ce que vous considérez comme politiquement réalisable dans la société que vous avez créée. Nous ne sommes pas descendus dans la rue pour que vous preniez des égoportraits avec nous et que vous nous disiez que vous admirez ce que nous faisons.

Nous, les enfants, nous faisons tout cela pour réveiller les adultes. Nous, les enfants, nous le faisons pour que vous mettiez de côté vos différences et commenciez à agir comme vous le feriez en temps de crise. Nous, les enfants, nous agissons parce que nous voulons retrouver nos espoirs et nos rêves.

J’espère que mon micro était bien allumé. J’espère que vous m’avez tous entendue.

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