Chronique

La patente à gosses qui fait vroum-vroum*

L’image qui me vient en tête pour qualifier le « deal » qui a amené la Formule électrique à Montréal est la suivante : « patente à gosses ».

La Ville de Montréal de Denis Coderre a créé un organisme à but non lucratif (OBNL) pour officialiser l’entente avec la Formula E Operations (FEO), OBNL du nom poétique de « Montréal c’est électrique » (MCE).

(Désolé pour l’abondance de sigles…)

Créer un OBNL pour y pomper des fonds publics est un vieux truc utilisé par nombre d’administrations publiques, Denis Coderre ne l’a pas inventé. Montréal l’a fait pour le 375e anniversaire, Québec l’a fait pour le 400e anniversaire et le gouvernement du Québec l’a fait pour la promotion du Québec comme destination touristique.

L’avantage : un OBNL n’est pas soumis à la Loi sur l’accès à l’information, notamment, contrairement à la Ville de Montréal, à une société d’État ou à un ministère. On peut dépenser du fric sans se faire emmerder en temps réel par des obligations de transparence.

La Ville de Montréal de Denis Coderre a donc créé Montréal c’est électrique.

La drôlerie, c’est que Montréal c’est électrique n’existait pas dans les deux années où Denis Coderre – flanqué du promoteur evenko, selon TVA – a négocié avec les bonzes de la Formule E pour que Montréal obtienne une course de FE !

C’était écrit en toutes lettres hier dans le communiqué publié par Montréal c’est électrique : « Le contrat avec la FEO a été négocié par le cabinet du maire, en collaboration avec les avocats de la Ville. MCE a été créé et impliqué à la toute fin du processus, une semaine seulement avant l’annonce de la tenue de l’événement à Montréal… »

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En tout, la Ville de Montréal aurait pompé 24 millions dans la Formule E, dont une grande partie en subventions à la coquille vide Montréal c’est électrique, à qui elle a aussi consenti une marge de crédit de 10 millions, marge de crédit qui a été presque entièrement utilisée par MCE pour payer ses fournisseurs.

Denis Coderre, alors maire, a donc lancé des millions à Montréal c’est électrique qui, comme par magie, a embauché evenko comme promoteur de l’événement sans appel d’offres…

Mais soyons clairs : sans la Ville de Montréal, sans le cash des contribuables montréalais, il n’y a pas de Montréal c’est électrique. Parce que MCE et evenko n’ont généré que 3,5 millions de revenus autonomes.

Survient alors le fiasco de l’an 1 de la Formule E : la communication ultra-déficiente, la colère des commerçants et des résidants riverains du site de course, la saga de l’opacité sur le nombre exact de billets vendus, la pensée magique liant une course de voitures à un faux engouement pour l’achat de véhicules électriques par les citoyens…

Ce fiasco en est venu à définir Denis Coderre, le maire : l’opacité et l’arrogance. Ce fut son Waterloo.

Il était clair dès la fin de l’événement que si Valérie Plante était élue, les deux dernières années du contrat liant Montréal à la Formule E étaient en danger.

Et Mme Plante a été élue.

Et on a appris récemment que le Bureau de l’inspecteur général enquêtait sur les pratiques de Montréal c’est électrique. De même que le Vérificateur général de la Ville.

Puis, pardonnez le jeu de mots, Valérie Plante a annoncé qu’elle tirait la plogue sur l’aventure de cette série naissante.

Malgré des dizaines de millions en fonds publics montréalais, Montréal c’est électrique a (théoriquement) encore des engagements de près de 20 millions à payer : 

– près de 10 millions US en « droits de course » pour 2018 et 2019 ;

– 6,5 millions CAN de dettes pour l’édition 2017.

Je dis « théoriquement » parce que Montréal c’est électrique n’a plus une cenne. La coquille vide MCE va sans doute faire faillite. Et la Formula E Operations risque alors de se tourner vers la Ville de Montréal pour réclamer son dû.

Après tout, la FEO pourra plaider que c’est avec Denis Coderre qu’elle a organisé la venue de la Formule E à Montréal, pas avec Montréal c’est électrique, créé une semaine avant l’annonce officielle ; que c’est avec les avocats de la Ville que le contrat a été négocié…

C’est donc sur les conseils de ces mêmes avocats de la Ville de Montréal que la mairesse Plante a dû dire aux journalistes qu’elle ne savait pas combien il faudrait payer aux boss de la FE en guise de compensation pour l’annulation des courses de 2018 et 2019.

Mme Plante a une idée de la somme. Mais il vaut mieux ne pas en parler parce que tout ce qu’elle dira publiquement pourra être utilisé en cour contre la Ville de Montréal, qui a créé cette coquille vide qu’est Montréal c’est électrique…

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Permettez que je résume la saga de la visite de la Formule E à Montréal.

Ce fut bon pour tout ce qui gravite autour de la Formule E. Les constructeurs et les dirigeants de la FEO, ainsi que leurs employés.

Ce fut bon pour les Québécois qui ont eu des billets gratuits, donnés généreusement (ce fut moins bon pour ceux qui ont payé leurs billets !).

Ce fut bon pour evenko.

Ce ne fut pas bon pour les contribuables montréalais, qui ont casqué 34 millions pour une patente à gosses qui a encore pour à peu près 20 millions de dettes.

Vroum-vroum !

*Je sais que ça fait pas vraiment vroum-vroum.

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