Biz

Pour la suite du monde

La chaleur des mammifères
Biz
Leméac
154 pages

Dans son nouveau roman, Biz démontre qu’il n’y a qu’une façon de ne pas devenir un vieux fossile : croire en la jeunesse. C’est ainsi que René, professeur de littérature désabusé, admirateur de Houellebecq, sera transformé par les événements de 2012.

Membre du groupe rap très engagé qu’est Loco Locass, Biz n’a pu échapper à l’exaltation du printemps de 2012 qui a tant marqué les esprits – et qui, manifestement, inspire les écrivains, dont lui-même. En 2012, Loco Locass lançait un disque après huit ans de silence (Le Québec est mort, vive le Québec), les étudiants de l’École de la montagne rouge l’avaient contacté pour avoir des conseils, il a tapé sur des casseroles dans son quartier, mais c’est surtout comme citoyen qu’il s’est senti interpellé par ce mouvement, et impressionné par sa créativité.

« C’était leur grève à eux, précise-t-il, et en partant, ma position a été de ne pas me placer au-dessus, mais d’être décentré, en appui comme un frère. »

Selon lui, si on revient sur 2012, c’est que chacun s’est révélé pendant cette période imprévisible. « Les jeunes se sont surpris eux-mêmes par leur solidarité, leur intelligence, leur éloquence aussi. Montréal n’avait jamais été aussi français que pendant cette grève-là. Les pancartes n’avaient pas de fautes, les slogans étaient brillants. Le français envahissait la ville comme jamais la loi 101 n’aurait pu espérer le faire, en fait. Il n’y avait pas de loi qui disait : “Écrivez vos pancartes en français”. C’était naturel que la langue du combat soit en français. Et ça m’a réjoui au plus haut point. »

Inspiré, Biz ne voulait pas écrire à chaud sur 2012. Il estime que cinq ans plus tard, nous avons suffisamment de recul pour analyser cet épisode de l’histoire collective. Sa vision, comme écrivain, est très positive, même si le personnage de son roman, La chaleur des mammifères, est un cinquantenaire blasé, en pleine crise, professeur à l’université, spécialiste du cynisme en littérature, admirateur – c’est inévitable – de Michel Houellebecq. René McKay, en plein échec personnel (un divorce) et professionnel (il n’arrive pas à obtenir de subventions pour ses recherches sur le point-virgule), tire sur tout ce qui bouge, méprise ses étudiants et ses collègues, ne croit plus à l’importance de sa vocation. Pour tout dire, il est assez insupportable dans ses jugements, mais c’est une posture qu’il ne pourra plus tenir lorsque la grève le happera, comme tout le monde.

« Il y a quelque chose de houellebecquien dans ce personnage, mais dans Houellebecq, ça peut juste aller de plus en plus mal. Chez moi, c’est un Houellebecq qui finit bien, si on veut, et dont j’assume parfaitement la quétainerie de la scène finale. »

— Biz

C’est en effet un changement de ton chez lui, reconnaît l’écrivain, après des romans très sombres comme Dérives, La chute de Sparte, Mort-Terrain et Naufrage. « J’avais le goût d’aller ailleurs et d’amener les lecteurs ailleurs. Je sais maintenant que je peux décrire la peine et la misère humaines, mais puis-je faire rire les gens aussi ? En tout cas, mon personnage me faisait beaucoup rire dans sa vie misérable. Son cynisme justifie ses déboires. Un moment donné, ça devient un moyen de défense contre les assauts de la vie, pour sauver la face à ses propres yeux et aux yeux des autres. »

Il y a tout de même de la jubilation dans le cynisme, et Biz, qui s’intéresse au milieu de l’éducation (ses parents étaient professeurs), avoue s’être « payé la traite ». « Ce livre-là est un plaidoyer pour l’éducation, malgré toutes les taloches que je peux administrer au système, à sa dynamique qui broie les individus, au rectorat, aux profs qui peuvent être blasés, aux élèves qui peuvent être paresseux. Malgré tout, c’est un livre qui vise à témoigner de mon admiration et de l’importance de l’éducation. »

RENAISSANCE

La grève sera salutaire pour René, qui porte bien son nom, car il renaîtra, littéralement. Lui qui se voyait dépassé, comme un vieux reptile d’un autre temps, se réchauffera au contact de ses étudiants (ça ne s’appelle pas La chaleur des mammifères pour rien), qu’il verra avec un regard neuf. C’est un peu aussi ce qu’a vécu Biz en 2012. Lui-même est père de deux enfants, parfois confronté à leurs opinions. Il a dû aussi accepter, dans sa quarantaine, de ne plus représenter la jeunesse après l’avoir incarnée comme rappeur. « J’aurai beau me mettre une tuque sur la tête et m’habiller comme un ado, je ne suis plus un ado. Les jeunes ne me perçoivent plus comme un des leurs, mais comme un parrain ou un mentor. » 

« Pour moi, à partir du moment où tu regardes avec mépris ceux qui te suivent, c’est ça, le signe de la vieillesse. Mes modèles de vieux par rapport à la jeunesse, ce sont des Michel Chartrand, des Pierre Falardeau, qui ne se sont jamais déguisés en jeunes, mais qui ont toujours tenu un rapport fraternel avec la jeunesse. Parce que si on n’a pas foi en eux, on peut tout de suite aller se magasiner un cercueil. »

— Biz

Le printemps 2012 a semé quelque chose, il en est persuadé. « Ce que j’ai retenu, c’est que les jeunes ont découvert qu’ils étaient capables de se mobiliser et de faire basculer tous les préjugés qu’eux-mêmes entretiennent à leur égard. Cette grève a transformé la perception que j’avais des plus jeunes. Je suis tanné d’entendre les plus vieux parler d’eux. Les milléniaux, c’est de la crisse de bullshit de publicitaires. Ça n’existe pas. René découvre qu’il n’est pas un dinosaure, mais un reptile, il vient d’une autre époque, il a survécu aux bouleversements et il peut cohabiter avec les mammifères. Ce qu’il me reste de ce livre, c’est que même quand, plus vieux, nous venons d’un autre monde, d’un autre paradigme, on peut cohabiter avec les jeunes. Non seulement on le peut, mais on le doit, pour être bien avec nous-mêmes, et avec nos enfants. »

Extrait  

« J’avais de moins en moins envie d’enseigner et ça commençait à devenir un problème. On approchait l’asymptote de l’incompétence. Dans un séminaire de maîtrise en création littéraire, je peinais à dissimuler mon mépris. Tout était mauvais. Les madames de retour aux études s’épanchaient sur leurs bobos et leur vieillesse. L’une d’elles s’était imaginée en Jeanne d’Arc combattant le cancer. Les gars nous ramonaient la conscience avec des contes moralistes sur les vertus de la diversité mondialisée. Et les filles nous limaient le gros nerf avec leurs états d’âme de féministes esseulées. Ils se croyaient originaux, mais régurgitaient sans l’avoir digérée la pensée dominante de leur fil Twitter. »

Critique

Plaques tectoniques

Une vie neuve
Alexandre Mc Cabe
La Peuplade
170 pages
3 étoiles

An 2012. Quatre instantanés de membres d’un même clan, les Leduc. Philippe, l’avocat qui, du haut de la tour de la Bourse, finit par désirer casser le mouvement de grève à ses pieds. Benoît, qui tient son journal sur le chemin de Compostelle, épreuve qu’il s’inflige plus pour soigner un chagrin d’amour que par piété. Jean, le vieux rebelle aigri, le plus virulent de la bande, qui connaît bien son Québec et n’attend plus qu’une digne euthanasie. Enfin Marie, l’artiste, vue par les yeux de Charlot, un professeur un peu souffreteux qui se désole de l’avenir de la littérature au Québec, mais qui voit bien en Marie cette femme ouvrant tous les chemins, en premier à ses enfants. Beaucoup de réflexions brillantes parsèment ce deuxième roman d’Alexandre Mc Cabe ; par ces quatre personnages qui sont autant d’angles, on explore à la fois les possibles et les culs-de-sac de l’identité québécoise. Un roman à méditer.

— Chantal Guy, La Presse

Critique

Devenir adulte

Les cigales
Antonin Marquis
XYZ
228 pages
2 étoiles et demie

Dans ce premier roman en deux parties, Dave et PJ partent en road trip de 10 jours aux États-Unis pendant que Caro, la blonde de JP, en profite pour aller voir à Sherbrooke parents, amies et, plus ou moins par hasard, son ex. En toile de fond, la grève de 2012, dont parlent avec distance ces trois personnages qui sont dans un « entre-deux » ; à la fin de leurs études, mais pas vraiment en vacances (Dave et PJ profitent de la grève pour faire cette escapade), ou au début d’un premier emploi après le diplôme (Caro commence sa vie de prof au secondaire). Plus que l’avenir de l’éducation ou du Québec, c’est leur destin personnel qui les inquiète. Avec une bonne dose d’humour, Antonin Marquis propose des tranches de vie réalistes, où l’amitié est importante et le couple en pleine naissance, mais on peine à comprendre ce qui anime vraiment ses personnages, comme si leurs hésitations et leur flottement laissaient le lecteur, lui aussi, dans un « entre-deux » sans résolution, voire sans but. 

— Chantal Guy, La Presse

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