réal giguère (1933-2019)

Un grand animateur s’éteint

L’animateur Réal Giguère, figure emblématique de la télévision québécoise, comédien et scénariste, s’est éteint à l’âge de 85 ans. Son fils Sylvain a annoncé sa mort hier soir sur sa page Facebook.

« C’est avec une immense tristesse, mais une grande sérénité que je partage avec vous une difficile nouvelle. Mon père, Réal Giguère, est décédé aujourd’hui à l’âge de 85 ans. Ce fut un grand homme à bien des égards. J’ai cette citation en tête : “Grâce à tout ce que tu m’as appris, j’ai la force de continuer sans toi…” », a-t-il écrit.

Il est mort de « complication pulmonaire », selon ce qu’a indiqué sa fille Magali.

Il était entré à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, à Montréal, le 14 janvier pour une opération.

« Il est parti tout doucement, en paix et entouré de sa famille. »

— Magali Giguère

Réal Giguère était un pionnier de la télévision privée au Québec. Pour les plus âgés, il est étroitement associé à la naissance du canal 10, l’ancêtre du réseau TVA, première station de télévision francophone du Québec. Il a animé plusieurs émissions à l’antenne de Télé-Métropole, à l’époque.

De mémoire d’homme, on ne l’a jamais vu bafouiller en ondes, de sorte qu’il avait hérité d’une aura de perfection. Réal Giguère était d’une aisance sans pareille à la caméra et savait comme nul autre toucher un auditoire.

« Un grand monsieur »

La mort de Réal Giguère a bouleversé de nombreuses personnes de la scène artistique québécoise et au-delà.

« Il avait tout un caractère, c’était un Gémeaux comme moi ! Un homme très, très secret et tellement discipliné. Mais il adorait faire des folies ! Et il avait un réel talent d’animateur », a confié à La Presse l’actrice Danielle Ouimet.

« C’est lui qui écrivait Dominique et il m’avait prise pour faire la voisine de Dominique Michel. Il pouvait me faire faire n’importe quoi dans cette émission ! J’aimais beaucoup cet homme-là », a-t-elle ajouté.

« C’était un grand monsieur […], un homme sincère et d’une gentillesse incroyable avec moi », a raconté Normand Brathwaite en entrevue téléphonique avec La Presse. Les deux hommes se sont côtoyés sur les planches, dans la mouture québécoise de la pièce La cage aux folles. « Pour un monsieur de variétés, il a été exceptionnel comme comédien », ajoute Normand Brathwaite, qui se dit « très peiné » par sa mort.

« C’est une des personnes les plus professionnelles avec qui j’ai travaillé. […] Il était si franc et honnête dans son jeu que les gens oubliaient que c’était Réal Giguère. »

— Normand Brathwaite

Sur les réseaux sociaux, le premier ministre du Québec François Legault a dit garder « de bons souvenirs de cet homme qui avait beaucoup de classe ». Aux yeux de Pascal Bérubé, chef par intérim du Parti québécois, c’était « une figure marquante de la télévision québécoise », qu’il adorait.

La mairesse Valérie Plante a salué un « pilier de Télé-Métropole », sur Twitter.

Sophie Stanké, pour qui Réal Giguère a écrit le rôle de Stéphanie dans le téléroman L’or du temps, l’a remercié pour « ce beau rôle », tandis que la politicienne et ancienne animatrice Caroline Proulx a exprimé ses condoléances à la famille d’un « ami de [son] défunt père » et « parrain de [sa] sœur ».

Beaucoup d’autres personnalités publiques, dont Pierre Arcand, chef par intérim du Parti libéral du Québec, Marguerite Blais, ministre responsable des Aînés et des Proches aidants, et Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois, lui ont également rendu hommage au cours de la soirée hier.

Débuts chez CKAC

Réal Giguère est né le 24 mai 1933 à Rosemont dans une famille ouvrière. Il avait deux frères et une sœur.

Malgré les modestes moyens des siens, il a entrepris de solides études, d’abord à l’école Brébeuf, puis au collège Stanislas. Il s’est ensuite inscrit à l’université dans une discipline toute nouvelle alors, les relations industrielles. Mais c’est le monde des communications qui le retiendra. Il a décroché un premier boulot comme annonceur à la radio CJSO, à Joliette. Puis, il a tenu le micro à Montréal à la radio de CHLP.

Son talent particulier retiendra l’attention des patrons de CKAC, qui l’inviteront à travailler chez eux. C’est l’ère du vedettariat qui commence.

Nous sommes en 1955. En compagnie de Jean Duceppe, il coanimera une émission culte à l’antenne, Du pep avec Duceppe. Contrairement à ce que beaucoup de gens croient, il n’a pas fait ses débuts télévisés à Télé-Métropole, mais bien à Radio-Canada en 1957 au service des sports, dont un de ses frères était directeur. Il animera successivement Télé-sports et L’heure des quilles.

Ce n’est que quatre ans plus tard qu’il a débarqué au canal 10, dès la première semaine de diffusion. On le voyait partout. Il expliquait son omniprésence par le fait qu’il était une machine à idées dans un univers qui était propice à la création, vu les maigres ressources de cette nouvelle télévision. Il a été à la barre de plusieurs émissions et on l’a vu dans des publicités.

Divorce et remariage

Réal Giguère n’était pas le favori des journalistes, car il avait deux vies bien distinctes, la publique et l’autre très privée, qu’il verrouillait totalement. De sorte qu’il ne se prêtait pas aux potinages qui auraient pu alimenter les manchettes de la presse artistique. Ce qui lui vaudra d’être lauréat à trois reprises du prix Citron décerné par le magazine TV Hebdo comme l’être le plus désagréable avec les médias.

Si son premier mariage a été un échec pour cause de trop-plein de travail, il se remariera en 1961 avec un ancien mannequin, Paulette Gingras, avec qui il finira ses jours dans la plus parfaite harmonie. Elle jouera auprès de lui un rôle de secrétaire, tapant à la machine à écrire les scribouillages de son mari.

Réal Giguère a eu deux enfants : Sylvain, né de sa première union, et une fille, Magali.

Gros jambon

Réal Giguère a laissé une contribution considérable à la culture kitsch québécoise avec son interprétation d’une chanson qui marquera longtemps l’imaginaire collectif, Gros jambon. Tout ça est parti d’un sketch à l’émission Dix sur dix où il incarnait un mineur. La chanson qui s’ensuivit connut un tel succès qu’il s’en est vendu 300 000 exemplaires. Elle a même figuré au premier rang du palmarès.

La même année, en 1962, c’est la consécration : il obtient le titre de Monsieur Radio-Télévision.

Si les émissions de l’animateur vedette ne se comptent plus – des Matins de Réal à Jeopardy, puis à Galaxie, en passant par Madame est servie –, c’est aussi dans les coulisses qu’il assurera sa totale domination.

En 1967, il est l’auteur du téléroman Lecoq et fils, puis ce seront Amour, délices et Cie, Dominique (avec Dominique Michel dans le rôle principal), Métro-boulot-dodo, Le ranch à Willie et L’or du temps.

Giguère a été le premier à exploiter des thèmes inédits à la télévision, qui ont remué l’opinion publique, quand ils ne choquaient pas littéralement, comme la consommation de drogue. En effet, dans L’or du temps, il y a une scène où l’on voit le personnage de Jackie qui « sniffe » de la cocaïne avec son amant. Du jamais vu ici à la télé.

Maraudage de Radio-Canada

La direction de Radio-Canada avait entamé des négociations secrètes avec lui pour le faire venir à la société d’État. Et il avait été tenté. Il était mécontent de ses conditions pécuniaires à Télé-Métropole. Mais la nouvelle avait été éventée et c’est précipitamment que la direction des programmes du canal 10, Robert l’Herbier en tête, offrira un pont d’or pour qu’il demeure dans la maison.

Mais on n’achetait pas Réal Giguère. C’est indirectement en raison d’un différend avec Dominique Michel qu’il claquera finalement la porte du canal 10, pour n’y retourner que des années plus tard.

Son impatience était légendaire et il ne pardonnait pas la médiocrité. Pour lui, seul comptait la qualité de sa livraison en ondes.

C’était un intervieweur remarquable qui parvenait à arracher les vers du nez en douce. « Aujourd’hui, disait-il, on agresse trop vite en partant les invités qui se braquent. Moi, j’ai toujours commencé en douce pour en arriver à poser la vraie question et obtenir la réponse que je souhaitais. »

Il a pris sa retraite définitive à la fin des années 90. Il a toutefois fait une sortie spéciale pour les 50 ans du réseau TVA en accordant une entrevue remarquable à Éric Salvail, en 2011.

Pour expliquer son retrait définitif, il a confié à ce dernier que c’était un cancer de la prostate qui lui avait enlevé toute énergie en raison d’un traitement d’hormonothérapie. On lui avait enlevé une grande partie de son taux de testostérone. Il a préféré rester chez lui et vaquer à ses deux occupations favorites, la lecture et la cuisine.

Hormis le monde de la télévision, il adorait travailler comme comédien. Il a joué dans le film Caïn, qui ne passera pas à l’histoire du septième art, puis sur scène. Son seul regret a été de refuser une offre du Centre national des Arts d’Ottawa pour jouer L’avare de Molière. Il aurait tant aimé jouer un jour un classique du répertoire. Mais son nom est à jamais inscrit au Panthéon de la télévision québécoise.

— Avec Marissa Groguhé et Véronique Lauzon, La Presse, et La Presse canadienne

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