Santé

D’importants ratés pour Rendez-vous santé Québec

Peu utilisé, le service en ligne coûte cher à l’État

Un an et demi après son lancement, le système gouvernemental offrant des rendez-vous en ligne avec un médecin n’est utilisé que par une infime minorité de cliniques, en raison de bogues importants, alors que les coûts de sa mise en œuvre ont explosé, approchant les 7 millions jusqu’à maintenant.

La plateforme est censée être « pleinement fonctionnelle », selon la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), mais seulement 33 cliniques médicales l’utilisent, sur plus de 1400 établissements dans l’ensemble de la province.

Les 48 supercliniques québécoises devaient obligatoirement s’inscrire à Rendez-vous santé Québec (RVSQ) avant la fin du mois dernier. Mais seulement 20 de ces cliniques, qui suivent un très grand nombre de patients, s’en servent actuellement. À Montréal, 6 supercliniques sur 26 y adhèrent.

La plateforme gratuite se veut une réponse du gouvernement aux services privés de rendez-vous médicaux, dont le plus connu est Bonjour-santé, qui exige des frais dans certains cas.

Mais RVSQ est boudé par les médecins parce que « le système n’est pas encore au point », souligne le Dr Michel Breton, président sortant de l’Association des médecins omnipraticiens de Laval, qui pratique au Centre médical Laval et teste le système depuis l’année dernière, dans le cadre d’un projet-pilote avec cinq autres cliniques de cette ville.

« On ne peut pas se permettre un cafouillage. Nous avons le devoir de fournir un service efficace. »

Explosion des coûts

La firme CGI a décroché un contrat de 4,5 millions en 2016 pour l’installation et l’entretien du système jusqu’en 2021. En juin dernier, 1,5 million de dollars ont été ajoutés au contrat pour « améliorer certaines fonctionnalités non prévues initialement », explique la RAMQ. Les coûts internes à la RAMQ s’élèvent à 800 000 $ jusqu’en juin 2018, pour un total de 6,8 millions.

Si on ajoute un budget annuel de fonctionnement de 1,4 million, on parle d’un coût total de 11 millions d’ici 2021.

Lors du lancement de RVSQ en avril 2017, l’ancien ministre de la Santé, Gaétan Barrette, avait simplement évoqué un projet de 4,5 millions.

« Le principal problème, c’est que la plateforme n’est toujours pas compatible avec les systèmes utilisés par les cliniques. Nos secrétaires doivent faire le travail en double. » — Le Dr Michel Breton

C’est pourquoi le Centre médical Laval n’offre que 10 % de ses consultations sans rendez-vous sur RVSQ, comme plusieurs autres cliniques inscrites.

Bonjour-santé laissée pour compte

RVSQ menace la survie de Bonjour-santé, qui offre des rendez-vous en ligne depuis 2009. Mais l’entreprise n’a pas perdu de clients jusqu’à maintenant, affirme son président, Benoît Brunel : elle est implantée dans 380 cliniques et compte 2,5 millions d’utilisateurs par année.

Dès 2010, M. Brunel dit avoir proposé ses services au gouvernement, pour lui éviter d’avoir à créer de toutes pièces une nouvelle plateforme, mais sa proposition n’a pas eu de suite. La soumission de Bonjour-santé n’a pas été retenue à la suite de l’appel d’offres pour le développement du site web gouvernemental, ce que déplore l’entrepreneur.

« Le processus pour octroyer le contrat n’a pas pris en considération notre expertise, le fait qu’on est déjà implanté dans plus de 300 cliniques, dénonce-t-il. Notre dossier était sur le même pied que celui d’une entreprise qui n’avait jamais fait ça. »

« En voyant les 1,5 million qui ont été ajoutés au contrat par après, je peux vous assurer qu’on aurait pu faire le travail pour moins cher. » — Benoît Brunel

Bonjour-santé est à couteaux tirés avec la RAMQ, qui l’a traînée en cour, affirmant qu’elle facture aux patients des frais accessoires, maintenant interdits. Une demande d’action collective a été déposée en septembre dernier, de surcroît, par une patiente qui demande le remboursement des frais déboursés par les utilisateurs.

Le service est gratuit si un patient prend rendez-vous avec un médecin de la clinique où il est inscrit, mais coûte 17,25 $ plus taxe pour avoir accès à une consultation dans une autre clinique. Benoît Brunel soutient que la vaste majorité des utilisateurs de Bonjour-santé ne paient pas de frais.

Inscription obligatoire

Malgré les écueils relevés par les médecins, le gouvernement maintient son exigence : les supercliniques doivent adhérer à sa plateforme, sans quoi elles recevront des « avis de manquement », qui peuvent mener au retrait de leur financement, indique une porte-parole du ministère de la Santé.

Gaétan Barrette disait avoir l’intention d’obliger toutes les cliniques, ou du moins les groupes de médecine de famille (GMF), à utiliser RVSQ en 2019. Reste à voir ce que le nouveau ministre de la Santé de la Coalition avenir Québec décidera à ce sujet.

Dans son plan stratégique 2017-2021, la RAMQ indique qu’elle vise un taux d’utilisation de 50 % en mars 2019 et de 100 % un an plus tard, avec un taux de satisfaction de 80 %.

« On ne peut pas imposer ce produit avant qu’il soit prêt et fonctionnel pour les médecins et les patients », dénonce le Dr Louis Godin, président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ). « Il reste beaucoup de choses à améliorer avant son adoption à grande échelle. Quand il sera au point, les médecins vont y adhérer sans problème. »

« Nous espérons que le nouveau gouvernement aura une approche plus collaborative, plutôt que de fonctionner avec des menaces, de la coercition et un ton qui n’était pas le bon, comme l’ancien gouvernement », ajoute le président de la FMOQ.

Santé

Les ennuis majeurs, selon plusieurs médecins

• Pas d’arrimage avec les systèmes informatiques utilisés par les cliniques.

• Obligation d’ouvrir toutes les plages horaires sur RVSQ. Comme les places s’envolent toutes la veille, il n’y a plus de disponibilités le jour même pour les urgences (coupures, bras cassés, etc.). « On ne reçoit que de 10 à 30 % de cas qui nécessitent de voir un médecin sur-le-champ. Le reste, c’est pour des formulaires de renouvellement de permis de conduire, des renouvellements de prescription et autres consultations non urgentes. Ça dénature notre mandat », témoigne un médecin.

• « Notre clientèle naturelle, qui vit dans le secteur, a de la difficulté à avoir des rendez-vous. Mais on se retrouve avec des patients qui habitent à 40 kilomètres d’ici », selon un médecin.

• RVSQ ne permet pas de moduler la durée des rendez-vous, alors que certaines consultations, ou des patients vulnérables, nécessitent plus de temps.

• « Nous sommes dans un milieu défavorisé, de 30 à 40 % de la population n’a pas accès à internet ou ne sait pas l’utiliser. On voulait que les préposés à Info-santé puissent enregistrer ces personnes dans le RVSQ, mais ç’a été refusé », déplore un autre médecin.

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