CHAPITRE 1

L’agression

Smadar Brandes n’a jamais vu le couteau.

Dans la nuit du 27 janvier 2016, peu avant 1 heure du matin, la jeune femme sort de la station de métro Villa-Maria et décide de rentrer chez elle à pied puisqu’il n’y a pas d’autobus devant la station. La température est plutôt agréable pour ce moment-ci de l’année.

Alors que l’étudiante à l’Université Concordia – elle termine une maîtrise en traduction – marche sur l’avenue Monkland plongée dans ses pensées, un homme surgit de nulle part et lui bloque le chemin.

« Il a dit quelque chose que je n’ai pas compris, se souvient Mme Brandes. On s’est regardés dans les yeux. J’ai vu qu’il était agité. »

L’homme lui assène un violent coup près de l’épaule gauche avant de prendre la fuite.

« Sous l’effet de l’adrénaline, je ne ressentais pas de fortes douleurs. Je n’ai pas compris que je venais d’être poignardée », raconte la jeune femme de 28 ans rencontrée dans son appartement du quartier Notre-Dame-de-Grâce plus tôt ce mois-ci, un an et demi après l’agression.

« À l’aide »

Paniquée, la jeune femme a le réflexe de courir dans la direction opposée à son assaillant. Elle crie à l’aide en traversant l’avenue Monkland lorsqu’elle voit un autobus qui passe à sa hauteur. Elle lui fait signe de s’arrêter. Pendant que le chauffeur immobilise son véhicule, un jeune homme alerté par les cris s’approche aussi.

Cette nuit-là, Gregory Wise, 20 ans, rentre chez lui en taxi. Mais comme le taxi vient de passer tout droit devant sa rue, le jeune homme décide d’en descendre et de faire le reste à pied.

« Quand j’ai entendu les cris, je me suis dit : “Ça n’est probablement rien, ce n’est pas un coin dangereux, souligne le jeune homme. En même temps, si je ne vais pas voir et que dans les nouvelles, le lendemain, je découvre qu’il s’est passé quelque chose de grave et que j’ai continué mon chemin, je vais me sentir coupable.” »

En voyant l’air affolé de la jeune femme, M. Wise l’invite à s’asseoir sur un banc. « Un homme m’a attaquée. J’ai mal », réussit-elle à articuler.

Le chauffeur s’assure qu’ils n’ont pas besoin de lui avant de repartir à bord de son autobus.

« Ça va », trouve-t-elle la force de lui répondre.

Le jeune homme de 20 ans suggère d’appeler le 911. D’abord, elle refuse. Il insiste pour examiner l’endroit où elle a été frappée. Il aperçoit une ombre sur son chandail. Il lui demande la permission de découvrir son cou en la rassurant sur le fait qu’il a « de l’expérience comme sauveteur ». C’est là qu’il découvre la lame plantée dans son cou.

« J’ai pris une grande respiration, puis je lui ai expliqué que je voyais quelque chose dans la région de l’épaule qui devrait être examiné par un médecin. Je voulais à tout prix qu’elle reste calme, alors j’ai vraiment essayé de ne rien laisser paraître de la gravité de la situation. » — Gregory Wise

Le sauveteur lui ordonne poliment de ne pas bouger la tête.

« J’ai compris que la lame était très près de la carotide. Je ne voulais surtout pas que la lame se déplace, ne serait-ce que d’un millimètre », décrit celui qui vient de finir des études en finances aux HEC.

Entre-temps, un autre passant qui promène son chien leur offre son aide. M. Wise laisse la jeune femme blessée avec ce dernier et s’éloigne suffisamment pour qu’elle n’entende pas ses explications au répartiteur du 911.

Il est 0 h 46. Le jeune sauveteur revient vite auprès d’elle pour attendre les secours.

Des policiers rassurants

Entre-temps, le chauffeur d’autobus retourné à la station de métro Villa-Maria croise deux patrouilleurs du Service de police de la Ville de Montréal et leur signale qu’une femme et un homme se sont « chicanés » sur l’avenue Monkland.

Les patrouilleurs Angelo Bardakhji et Peter Simtikidis décident d’y aller sur-le-champ. Ils comprennent vite que ce n’est pas un cas de violence conjugale.

Toujours assise sur le banc, la victime réussit à expliquer aux agents qu’elle a été agressée par un inconnu. Elle fait une description sommaire de son agresseur. Pendant que l’agent Bardakhji transmet la description par radio à ses collègues, l’agent Simtikidis rassure la jeune femme jusqu’à ce que les ambulanciers arrivent.

Une fois dans l’ambulance, Mme Brandes commence à ressentir une douleur plus vive.

« J’étais tellement bien entourée : Greg, les policiers, les ambulanciers. Je n’ai pas eu le temps de paniquer et de me demander : “Est-ce que je vais mourir ?” » — Smadar Brandes

En route vers le Centre de traumatologie de l’Hôpital général de Montréal, Mme Brandes ne sait toujours pas qu’elle a une lame de couteau enfoncée dans le cou.

À la recherche du suspect

Pendant ce temps, le sergent du SPVM Luc Lamontagne installe son poste de commandement à l’intersection de la rue Earnscliffe et de l’avenue Monkland, où l’agression a eu lieu. L’agresseur, qui a pris la fuite à pied, ne doit pas être bien loin, soupçonnent les policiers.

Un agent est posté à chaque coin de rue, formant ainsi un périmètre pour coincer le suspect dans l’hypothèse où il serait terré dans le secteur et qu’il tenterait de sortir de sa cachette.

L’agent Bardakhji découvre le manche d’un couteau, des vêtements et des objets hétéroclites abandonnés près du lieu de l’agression.

« Une innocente victime attaquée de façon gratuite comme ça, c’est extrêmement rare. On a mis le paquet pour l’attraper », raconte le sergent Lamontagne.

Les gyrophares des véhicules de patrouille sont allumés et les sirènes retentissent pour faire sentir au suspect qu’il est cerné. Les patrouilleurs suivent toutes les traces laissées dans la neige au cas où elles les mèneraient à l’agresseur.

Alors que le sergent Lamontagne attend le maître-chien qui les aidera dans leurs recherches, un homme se présente au poste de commandement escorté par un policier.

Lev Berner est inquiet. Sa femme n’est toujours pas rentrée de son cours à l’Université Concordia. Elle marche souvent de la station de métro jusqu’à leur logement en empruntant l’avenue Monkland.

Le sergent Lamontagne se doute bien que la femme de M. Berner est la victime qui vient de partir en ambulance. Son signalement correspond à la description de la victime. Il ordonne à deux de ses agents de conduire le mari inquiet à l’hôpital.

Lorsque le maître-chien arrive peu après 2 heures du matin, l’animal retrouve le suspect en deux minutes à peine. L’agresseur – transi de froid – est caché sous le balcon de la résidence située à l’intersection où a eu lieu l’agression. Il ne résiste pas à son arrestation.

Le suspect

Mathew Roberge, 27 ans

– accusé de tentative de meurtre et de voies de fait graves

– a plaidé non coupable

– en attente de son procès

Il a déjà tué quelqu’un

Le 16 février 2013, alors qu’il avait les facultés affaiblies, Mathew Roberge a donné un coup de poing au visage d’un homme qu’il ne connaissait pas, Jean Balthazar, 51 ans, convaincu que ce dernier voulait s’en prendre à un ami. La victime a passé 15 jours dans le coma avant de rendre l’âme. L’agression est survenue à la sortie d’un bar de Laval où M. Roberge venait de participer à un concours qui consistait à frapper le plus fort possible sur un punching-bag. Après avoir cogné sa victime, Roberge a crié : « Yes, je l’ai eu. One shot. ». En 2014, il a été condamné à une peine clémente de quatre ans de prison pour homicide involontaire. Il est sorti de prison dès octobre 2015 en raison du temps passé en détention préventive. Son risque de récidive avait été qualifié de « quasi inexistant » par la juge Suzanne Lauzon qui l’avait condamné en 2014. Le jeune homme a aussi des antécédents de possession de cocaïne en vue d’en faire le trafic.

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