Dance Me

Entrer dans la danse avec Cohen

Les Ballets Jazz de Montréal (BJM) célébreront demain soir au Théâtre Maisonneuve l’œuvre de Leonard Cohen en présentant Dance Me, spectacle créé de concert avec trois chorégraphes de renom et mis en scène par l’homme de théâtre Éric Jean. Au cours des deux derniers mois, La Presse a suivi l’évolution de la production associée aux célébrations du 375e anniversaire de Montréal.

Un projet choisi par Cohen

Dance Me est le projet le plus ambitieux jamais entrepris par les BJM. Le travail des 14 danseurs avec les trois chorégraphes (Anabelle Lopez Ochoa, Andonis Foniadakis et Ihsan Rustem) s’est amorcé au début de l’été afin de développer un squelette. Ils ont ensuite entrepris une résidence-laboratoire au Centre de création O Vertigo avant de monter sur scène à Lennoxville, puis au Théâtre Saputo. « Ça a été un choc lors de la première résidence sur scène à Lennoxville », lance Louis Robitaille, idéateur de Dance Me. « Il nous était impossible d’assurer les changements de décor et de lumière manuellement, comme c’était le cas pour nos créations précédentes. Il a fallu dompter la nouvelle technologie qu’on utilise pour Dance Me », explique le directeur artistique des BJM.

Louis Robitaille a également dû passer par un long processus juridique afin de pouvoir utiliser la musique de Leonard Cohen. « Ça a pris plus d’un an, mais on a réussi ! C’est monsieur Cohen lui-même qui nous a donné l’exclusivité pendant cinq ans. Parmi la montagne de projets qu’il avait reçus, il en a choisi seulement deux, dont Dance Me. Il était très préoccupé par rapport à la manière dont sa musique était utilisée », se rappelle Louis Robitaille, qui a toujours rêvé de danser sur la musique du poète.

Martin léon : Travailler « dans la racine »

On retrouvera 17 des plus grands titres de Leonard Cohen dans Dance Me. C’est à Martin Léon qu’a été confiée la direction musicale. « Dance Me m’a motivé à sortir d’une sabbatique de 14 mois, raconte-t-il. J’ai étudié le corpus des chansons choisies, lu tous les textes et j’ai commencé à penser aux orchestrations et aux arrangements musicaux. C’est un projet qui est dans la racine, pas dans la tige ni dans la fleur, à l’image de Cohen. C’est bon pour la santé, un projet comme celui-ci ! »

Martin Léon a créé les transitions entre les tableaux avec le souci d’assurer une harmonie à travers les tonalités empruntées. « Pour augmenter le tempo, je vais par exemple utiliser de la percussion. Dans certaines transitions, on fait des moments cinématiques où on entend une voix, avec du vent au loin, du violoncelle, un violon et quelques percussions. Je remastérise les chansons, j’augmente ou diminue le tempo sans que ça paraisse trop. Je bricole des finales aux chansons, car elles finissent toutes en fade out sinon ! », explique le compositeur, qui chérit sa première expérience dans le monde de la danse.

Ihsan Rustem : « L’essence de Cohen est partout »

Pour sa toute première collaboration avec les BJM, le chorégraphe britannique Ihsan Rustem s’est vu confier la création de six pièces dans le cadre de Dance Me. « J’ai fait mes recherches pour tenter de comprendre dans quel état d’esprit se trouvait Cohen quand il a écrit chacune d’entre elles. En même temps, elles sont toutes ouvertes à l’interprétation ! C’est un défi, mais surtout une grande motivation », précise Ihsan Rustem, qui a dû s’accorder avec les deux autres chorégraphes et le metteur en scène tout au long de la création du spectacle.

« On a eu des heures de réunions par Skype, explique le chorégraphe établi en Suisse. Éric Jean m’envoyait des images dont je m’inspirais et j’arrivais avec des concepts dont nous discutions tous ensemble. Je devais aussi m’assurer de m’intégrer dans la continuité de ce que font les deux autres chorégraphes. »

« L’essence de Leonard Cohen est partout. Je passe plus de temps avec lui qu’avec mon conjoint ! Ce projet est rempli d’amour pour Cohen. Faire la première dans sa ville a quelque chose de magique », lance Ihsan Rustem, un brin ému. Surtout qu’il s’est vu attribuer sa chanson préférée, Hallelujah. « J’ai tout fait pour l’avoir et j’ai réussi ! On a dû trouver le bon moment pour elle dans cette soirée. Il y a une grosse surprise pour cette chanson-là ! », précise-t-il.

Éric Jean : la recherche du « juste équilibre »

Ex-directeur artistique du Quat’Sous, Éric Jean assure la dramaturgie et la mise en scène du spectacle. Cet amoureux de la danse avait déjà intégré des chorégraphies dans ses pièces de théâtre, mais n’avait encore jamais assuré la mise en scène d’un spectacle de danse. « Je me suis vite rendu compte que ça fonctionnait bien différemment qu’au théâtre. Tout part de la musique. Le grand défi a été de faire le choix des chansons. On a dû faire des deuils. Mais il y a des incontournables comme Hallelujah, Suzanne ou Famous Blue Raincoat. Il a ensuite fallu les distribuer aux chorégraphes pour trouver un juste équilibre, tout en gardant la possibilité de l’enveloppe théâtrale », explique Éric Jean.

Au final, Dance Me compte 24 morceaux, dont 17 chorégraphies entrecoupées de moments plus théâtraux. « Tout est lié par Cohen, sa voix et son univers. On a opté pour une image qui revient dans le spectacle, un peu comme si le fantôme de Cohen errait dans le théâtre. On l’entend parfois taper à la machine, on voit sa silhouette et une narration vidéo appuie cette trame, sans jamais montrer d’image de Cohen. Seule sa voix est présente », explique le metteur en scène.

Des costumes « rétro chic » signés Philippe Dubuc

Deux semaines avant la première, le designer Philippe Dubuc en était encore à finaliser les retouches des costumes confectionnés spécialement pour les danseurs des BJM. « Je voulais créer une garde-robe de base pour chaque danseur, qui allait évoluer au fil des tableaux. Cohen représente un certain classicisme dans son look. Son style, tout comme la représentation des femmes dans ses textes, évoque vraiment la sensualité, le charme et l’élégance », explique le designer.

Philippe Dubuc a exploité les accessoires associés pour toujours à Leonard Cohen, comme son chapeau ou ses blazers rayés à double boutonnière. « Pour résumer, on est dans le rétro chic ! Je suis parti de ces éléments pour habiller les hommes autant que les femmes. On m’a demandé de rester dans une palette de couleurs très sombres. Dans un des tableaux, les filles portent un chemisier blanc transparent qui évoque la chemise de costard, auquel on a intégré de la dentelle pour représenter la sensualité féminine. »

Au Théâtre Maisonneuve, du 5 au 9 décembre, dans le cadre de Danse Danse. Au Centre national des arts d’Ottawa, les 23 et 24 février 2018.

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