Double vie

L’urgence de jouer

Ils gravitent dans le monde des arts tout en occupant un emploi à temps plein. Et ils réussissent dans leurs deux domaines ! Cette semaine, La Presse a rencontré Mathieu Gaudet, pianiste de concert ET médecin urgentologue.

Habituellement, ce sont des médecins qui décident de pratiquer (en dilettante) un métier artistique (la plupart du temps moins payant). Dans ce cas-ci, c’est l’inverse.

Mathieu Gaudet, à ne pas confondre avec l’auteur-compositeur-interprète de Loft Story, est un pianiste de formation. Titulaire d’une maîtrise de l’Université Johns Hopkins (à Baltimore), où il a travaillé avec Julian Martin, il a complété sa formation à la Glenn Gould School de Toronto, où il a étudié avec André Laplante, John Perry et Marc Durand.

Il a enregistré un premier album où il interprète les Préludes de Rachmaninov, un autre consacré à Schumann. Et il vient de jouer l’œuvre intégrale de Schubert à la Chapelle historique du Bon-Pasteur (sur une période de quatre ans), qui est en cours d’enregistrement. Une douzaine de disques paraîtront à partir de l’automne.

« Schubert est proche de ma sensibilité comme musicien, nous dit-il. Il a un langage qui prend racine dans un classicisme très fort. Schubert est vraiment l’héritier de Mozart et de Beethoven, donc les formes sont très bien bâties d’un point de vue architectural. Le cadre est solide, ce qui me permet d’improviser, et il y a une forme de douleur et de nostalgie très profondes qui me touchent. »

Notre regretté collègue Claude Gingras, critique musical, avait écrit ces bons mots à son sujet : « Gaudet possède la forte technique, le souffle, l’expressivité et le sens de la grande ligne et du détail que requiert la musique de Rachmaninov. »

Mais la vie de concertiste est rude et Mathieu Gaudet n’avait pas envie d’être tout le temps sur la route. Pendant son doctorat à l’Université de Montréal (avec Paul Stewart), il a commencé à se poser des questions sur son avenir.

« C’est sûr que c’est une carrière difficile, et c’était clair pour moi que je voulais une vie de famille, des enfants. Je me voyais mal soit être parti la moitié de l’année, soit, comme beaucoup de pianistes, devoir enseigner. Moi, ce qui m’intéressait, c’était de creuser une œuvre et de la travailler, c’était l’interprétation que j’aimais. Donc, je me suis trouvé un sideline… »

Ce « sideline », ç’a été la médecine. À l’âge de 26 ans, pendant qu’il terminait son doctorat, il a fait le plongeon dans le monde médical, où il s’est spécialisé en soins aigus (en médecine d’urgence).

« Je viens d’une famille qui travaille dans le réseau de la santé. Ma mère a fait carrière en soins infirmiers, et mon père a travaillé longtemps comme ambulancier. Ce que j’aime en médecine, c’est que c’est à la fois utile et stimulant intellectuellement. »

— Mathieu Gaudet

En 2012, il a terminé ses études en médecine. Après avoir travaillé comme intensiviste à l’hôpital de Joliette et au CHUM de Montréal, il s’est posé aux urgences de l’hôpital Jean-Talon.

À 42 ans, Mathieu Gaudet (qui a maintenant trois enfants) se dit comblé par son travail à l’hôpital autant que par ses projets pianistiques. Car il n’a absolument pas abandonné son métier premier.

« Ce sont des domaines où on n’a jamais fini d’apprendre, note-t-il. Je suis en train d’enregistrer les sonates de Schubert, que je connais quand même pas mal bien, mais on a toujours l’impression qu’il y a un autre niveau à atteindre. Il n’y a pas de secret, ce sont deux domaines où il faut mettre le temps pour être excellent. »

Mathieu Gaudet admet qu’il fait un « petit temps plein » en médecine pour pouvoir se consacrer à son instrument.

Dans son cas, il pourrait choisir l’un des deux métiers parce que, oui, « c’est fatigant » tout ça. « Mais c’est tellement formidable de faire les deux, dit-il. Je ne suis pas obligé de dire oui à tout en musique, je peux choisir mes projets. Je peux aussi donner des concerts, je dois juste aviser l’hôpital à l’avance. Je peux échanger mes gardes, donc j’ai quand même une flexibilité et je ne fais que ce dont j’ai envie en musique. »

S’il se produit à l’extérieur du Québec, il ne part jamais très longtemps, question de passer le plus de temps possible près de sa famille et de sa femme, qui est elle-même médecin de famille. Mais les projets de récitals abondent. Le 26 septembre, il donnera le coup d’envoi à la nouvelle saison de la Chapelle historique du Bon-Pasteur, avec le Quatuor Arthur-LeBlanc. D’ici là, c’est aux urgences que vous le croiserez.

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