Les stars sortent de l’ombre

Ils se surnomment Flow, Zilon, Labrona, Miss Me, Monk.E, Futur Lasor Now ou l’énigmatique Sake. Ils ne vous disent rien ? Et Banksy ? Vous avez entendu parler de celui-là au moins ?

Plus que jamais, les graffiteurs montréalais sortent pourtant de l’ombre – et de la rue –, grâce à de grands événements courus, aux salles d’exposition qui leur ouvrent leurs portes et aux réseaux sociaux qui leur donnent une visibilité sans précédent.

Un engouement qui fait même grimacer les puristes, qui déplorent la récupération de ce genre underground.

Le phénomène demeure marginal, mais les gens sont plus enclins à faire une distinction entre art de rue et vandalisme, croit le galeriste Yves Laroche, qui fait figure de chef de file dans le milieu.

« Il y a des gens qui font n’importe quoi, même sur les murs de ma galerie. Mais allez voir les œuvres de Blu, ou Vhils qui travaille avec un marteau-piqueur, et vous verrez qu’on est loin du vandalisme. »

— Yves Laroche, galeriste

Ce passionné a vécu l’éclosion du phénomène, au début des années 80, dans le vieux Philadelphie. L’engouement s’est développé ici au début des années 90. M. Laroche a ouvert aux graffiteurs les portes d’une première galerie d’art, dans le Vieux-Montréal. Un peu envers et contre tous.

« Les gens ne comprenaient pas, trouvaient que c’était du vandalisme », explique M. Laroche, qui est néanmoins parvenu à attirer de nouveaux visages influents de cette scène marginale comme Banksy – « alors seulement connu de sa mère et de son père », devenu depuis immensément célèbre. 

Il a découvert parallèlement les pionniers de la scène montréalaise tels que Zilon et Flow, qui s’est taillé une réputation enviable après avoir fait un graffiti sur une haute poutrelle du pont Jacques-Cartier.

Sterling Downey, fondateur du festival de graffitis Under Pressure – qui célèbre d’ailleurs ses 20 ans cette année – a bien connu Flow. « Il m’a pris sous son aile et m’a appris la culture du graff », raconte ce vétéran de la bombe aérosol, qui est aujourd’hui conseiller municipal pour Projet Montréal dans Verdun. « Le premier graffeur élu du monde ! », lance fièrement ce coloré verbomoteur.

Sterling Downey rigole un peu dans sa barbe blanche hirsute lorsqu’on lui dit vouloir démystifier l’univers des graffiteurs. Des journalistes l’abordaient pour les mêmes raisons il y a 20 ans, explique-t-il. « On portait des masques et des bandeaux dans les reportages télévisés. On avait l’air de bandits ! », se souvient le conseiller municipal.

Si la cote de crédibilité des graffiteurs a augmenté, cette forme d’art se pratique toujours dans l’illégalité. La plupart des adeptes interrogés ont d’ailleurs refusé de révéler leur identité, pour éviter des ennuis avec les policiers.

C’est le cas de ce jeune homme qui répond au nom de Futur Lasor Now. Cheveux foncés, casquette enfoncée sur la tête, manteau aux couleurs de New York, il a l’air du gars d’à côté. Il est pourtant un des artistes les plus prolifiques à Montréal présentement, un spécialiste de l’affiche.

Il y a même de fortes chances que vous ayez déjà croisé un de ses dessins collés sur des murs aux quatre coins de la ville. Il ne part jamais sans avoir des autocollants dans son sac.

Même dépendance chez Aspir, rencontré par hasard en train de faire un graffiti sous un saut-de-mouton de l’est de l’île. En plein jour. Comme ses semblables, il carbure à l’adrénaline et au risque. « Je dessine depuis que je tiens un crayon », précise Aspir. Pas toujours facile, toutefois, de passer des messages dans cette jungle. « Tu peux avoir mis le plus beau message, tu cries quelque chose, mais quand tu te fais camoufler, c’est comme si tu te faisais fermer la gueule », résume Aspir.

LA GLOIRE 2.0

Dans le monde des graffiteurs, Montréal se positionnerait aujourd’hui parmi les villes importantes comme Berlin, New York, Londres, Barcelone et Prague. Il y aurait plus d’une centaine d’artistes de la rue à Montréal et chaque printemps amène son lot de nouveaux visages. Plusieurs veulent exposer. 

Yves Laroche se souvient avec nostalgie des balbutiements du milieu, où les graffiteurs découvraient un monde de possibilités dans le paysage urbain, sur les trains, le métro, les bâtiments. Aujourd’hui, le domaine « s’académise », constate avec une pointe de regret M. Laroche. « L’art a toujours été fait par des marginaux et aboutit dans la bourgeoisie. Présentement, c’est un peu la fin des haricots. Je suis à la recherche de la nouvelle garde », explique le galeriste.

Futur Lasor Now admet que les réseaux sociaux ont changé la donne. « J’ai toujours fait les choses en me disant que personne ne les voyait. Aujourd’hui, c’est fou, on fait quelque chose et les gens le diffusent aussitôt sur leurs réseaux ou sur des sites spécialisés. »

Pour le jeune artiste, il s’agit là d’une bonne chose. Mais aussi d’un piège. « On commence à calculer qu’on va recevoir 20 likes avec telle affiche, mais 100 avec telle autre… »

Quant à la ligne entre l’art et le vandalisme, elle se trace où, au juste ?

Futur Lasor Now esquisse un sourire.

« Ça, on pourrait en parler toute la nuit… »

PETIT LEXIQUE DU PARFAIT GRAFFITEURS

WRITERS

Nom donné au graffiteurs.

CREW

Nom donné aux graffiteurs réunis en groupe.

TAG

Signature stylisée et souvent illisible reproduite de façon répétitive, à l’aide d’une bombe aérosol ou d’un marqueur, sur les murs de la ville. En général un mot, soit le pseudonyme de la personne qui l’écrit.

TAGGING

Pratique consistant à poser sa signature en plus grand nombre possible.

SCRAFFITI OU SCRATCHITI

Signature laissée en égratignant une surface (vitres de commerces, de transports en commun, de lieux publics).

THROW-UP OU FLOP

Performance graphique qui consiste à peindre en un seul coup de bombe. C’est une signature plus travaillée que le tag, présentant un contour et un remplissage. Souvent illisible.

PIECE

Presque couleur composée principalement du nom de l’auteur, plus technique et travaillé que les throw-ups.

PRODUCTION OU FRESQUE

Travail collectif en couleur, réalisé par un crew ou plusieurs artistes. La fresque est de grandes dimensions et comporte généralement une pièce de chaque graffiteur.

BEEF

Quelqu’un qui dessine par-dessus le travail de quelqu’un d’autre.

ALL CITY

Qualifie les artistes prolifiques qui sévissent aux quatre coins de la ville.

Sources : entrevues et document officiel de la Politique en art urbain déposé en 2014 à la Ville de Longueuil

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