« Manspreading »

Pour en finir avec le syndrome des « couilles en cristal »

Il est maintenant interdit aux hommes de s’asseoir les jambes très écartées, étalées sur leur siège, dans les bus de Madrid. Une pratique masculine appelée « manspreading », dénoncée comme un non-respect de l’espace public. La capitale espagnole rejoint donc New York, Tokyo ou encore Vancouver, qui l’interdisent aussi dans leurs transports en commun. Le mot a d’ailleurs fait son entrée dans le dictionnaire anglais en ligne Oxford, il y a deux ans.

Des vignettes avec un pictogramme dans les bus de Madrid avisent les usagers du nouveau règlement depuis quelques jours. Le métro devrait emboîter le pas, selon la BBC. Pour l’instant, il n’y a pas de sanction financière.

Le groupe féministe Mujeres En Lucha (Femmes en luttes) a lancé l’initiative madrilène il y a quelques mois avec une campagne de sensibilisation sur les réseaux sociaux et le mot-clé #MadridSinManspreading (Madrid sans manspreading). Une pétition contre la pratique a atteint 13 000 signatures. Tout ceci a fait beaucoup de bruit, jusque dans les sphères politiques. Le parti Podemos, de gauche, a présenté une loi au Parlement le 6 juin dernier pour interdire le « manspreading » dans les transports en commun de la région.

En France, le collectif Osez le féminisme avait aussi lancé une campagne de sensibilisation avec le mot clé #takebackthemetro en 2014. Mais ni l’entreprise qui gère les transports publics (RATP) ni les instances politiques n’ont réagi à l’appel. Le groupe encourage maintenant la population à envoyer à la RATP des photos et témoignages de « manspreading ». Une pratique aussi appelée « le syndrome des couilles en cristal », face à l’argument voulant que la position soit bonne pour la santé des testicules.

À Montréal ?

Pourrait-on voir ce type d’interdiction dans les transports publics à Montréal ? « À ce jour, on n’a pas reçu de plainte concernant le manspreading », répond une porte-parole de la Société de transport de Montréal (STM), Amélie Régis. « Et nos inspecteurs qui sillonnent le réseau n’ont pas remarqué ce comportement. Ce n’est pas une pratique répandue à Montréal », affirme-t-elle. Les principales plaintes ciblent les sacs à dos qui prennent trop de place et les usagers qui ne cèdent pas leur siège aux personnes à mobilité réduite, rappelle-t-elle.

Mais pour Mélissa Blais, doctorante en sociologie à l’UQAM et chargée de cours à l’Institut de recherches et d’études féministes, ce n’est pas parce que la STM ne reçoit pas de plainte que le phénomène n’existe pas chez nous. Bien au contraire.

Empiéter sur l’espace des autres

Au-delà de l’interdiction, il faut comprendre le message social et féministe derrière, souligne Mme Blais, réjouie par l’initiative espagnole. 

« Ça force les hommes qui prennent de l’espace à se limiter, à faire attention aux autres, à voir que l’espace public leur appartient moins. »

— Mélissa Blais

Mais attention, ce ne sont pas des hommes assis avec les jambes légèrement écartées qui sont ciblés. « Il ne faut pas confondre une ouverture des jambes qui ne prend pas la place des autres, et le manspreading, qui empêche les autres d’avoir un certain confort et force les personnes à côté à prendre moins d’espace et se restreindre dans le même espace », souligne-t-elle.

Et si les femmes faisaient la même chose ?

Et si on encourageait les femmes à s’approprier l’espace plutôt que de restreindre celui des hommes ? « Si on pense au bien-être et au confort des femmes, oui il faudrait qu’elles s’assoient les jambes écartées. Mais dans ce cas, ce n’est pas un enjeu de santé. C’est un enjeu de respect et de civisme dans un espace public clos avec beaucoup de monde », répond-elle. Sans oublier que si une femme s’assoit dans le bus les jambes totalement écartées, elle subira des regards désapprobateurs, avise-t-elle.

Dès l’enfance

Mélissa Blais indique que la société autorise les hommes à s’approprier l’espace de multiples façons subtiles, dès l’enfance. Elle donne en exemple des études qui démontrent que les garçons s’approprient presque toute la cour d’école pour jouer, alors que les petites filles occupent des endroits délimités. « Et si les petites filles bougent trop, on va leur demander d’arrêter », déplore-t-elle.

Au-delà d’une réglementation, ce type d’initiative et de revendication permet de réfléchir aux positions des femmes dans l’espace public, ce qui est positif en soi, estime Mélissa Blais.

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