Chronique

L’interdiction des signes invisibles

C’est écrit noir sur blanc, dans le projet de loi sur la laïcité déposé par le gouvernement du Québec jeudi : le port de signes religieux, petits ou grands, visibles ou invisibles, sera interdit à tout employé de l’État en situation d’autorité. Petits ou grands, visibles ou invisibles, on peut dire que ça fait le tour. On veut être certain de ne rien oublier. C’est clair. Des signes religieux, on ne veut plus en voir !

En 2013, quand le Parti québécois (PQ) avait déposé son projet de loi sur la charte des valeurs, on voulait interdire le port des signes religieux ostentatoires. Ostatenquoi ? On était tous allés chercher, dans le dictionnaire, la signification exacte du terme ostentatoire. Ostentatoire est synonyme de tapageur, de voyant. C’est l’antonyme de discret. Le maquillage d’Hubert Lenoir, au gala des Juno, était ostentatoire. Bref, le PQ en avait contre les gros signes religieux. Ceux qu’on ne pouvait pas manquer. Ceux qui nous sautaient aux yeux.

Bien sûr, cela était sujet à interprétation. Ce qui est ostentatoire pour l’un est peut-être très raisonnable et de bon goût pour l’autre. La CAQ, ne voulant pas sortir le galon à mesurer pour juger de la légalité du signe religieux, a décidé de faire ça simple et de tous les interdire, du plus minuscule au plus énorme. Et tant qu’à faire, même les invisibles. Et moi, c’est ce qui m’a fait tiquer. C’est quoi, un signe invisible ?

On reprend notre dictionnaire. Signe : chose, phénomène perceptible ou observable qui indique la probabilité de l’existence ou de la vérité d’une chose, qui la manifeste, la démontre ou permet de la prévoir. Bref, la définition même d’un signe, c’est d’être visible. Un signe invisible, ça ne peut pas influencer grand monde, ni mettre en doute la neutralité de l’État, puisqu’on ne le voit pas.

Mais si le législateur a jugé bon de l’interdire, y’a sûrement une raison. Craint-on la secte des invisibles qui distribueraient des signes invisibles à ses disciples invisibles ? 

Ou entend-on par signes invisibles les signes codés, cachés ou dissimulés, un peu comme les signaux envoyés par l’instructeur du premier but au baseball ?

Interdiction des signes invisibles…. Interdiction des signes invisibles… Avouez que c’est intrigant. Peut-être que je cherche trop loin. Peut-être que cette mention ne vise, au fond, que les signes religieux portés en dessous du linge. On ne peut pas porter une chaîne avec une croix, même si elle est dissimulée sous notre col roulé. OK. Pourquoi ? Au cas où l’employé de l’État décide d’enlever son col roulé ? Ça deviendrait un signe visible, et il serait interdit.

J’ai beau virer ça de tous les côtés, je n’arrive pas à comprendre l’interdiction des signes invisibles. Vous me direz que tout le monde s’en fout. Il n’y a aucun lobby en faveur des signes invisibles. Vous avez raison. Il n’y a que moi que ça préoccupe. La société est complètement indifférente à l’invisible. Et c’est peut-être ça, son problème.

L’interdiction des signes invisibles est d’autant plus étonnante que les tatouages, eux, sont permis. Un employé de l’État peut avoir une croix tatouée dans le front, c’est correct, mais il ne peut pas avoir un chapelet dans sa poche. Quoique, j’ose croire que personne n’ira fouiller dans sa poche. D’ailleurs, le ministre Simon Jolin-Barrette l’a même spécifié : « C’est sûr que le matin, il n’y aura pas de fouille à nu pour vérifier si la personne porte un signe religieux. » C’est rassurant. Soudain, le job de fonctionnaire serait devenu beaucoup plus stressant ou excitant, selon son rapport avec la fouille à nu.

Donc, on interdit les signes invisibles, mais on ne les cherchera pas. Bref, le signe invisible n’a pas trop à s’en faire. 

C’est ça, le problème, avec les lois, on tient tellement à ne rien oublier qu’on en vient à interdire des trucs pour rien. Interdire l’invisible, faut le faire. Comme si les panneaux dans la rue interdisaient le stationnement de tous les véhicules, même les véhicules invisibles, sous peine d’être remorqués. Quoique, à voir la longueur du texte sur les panneaux de stationnement interdit, peut-être est-ce le cas ? Avez-vous vu la remorqueuse invisible déplacer la voiture invisible ?

Je sais que le projet sur la laïcité soulève des questionnements beaucoup plus importants que l’application de l’interdiction des signes invisibles. Par exemple, un employé de l’État a-t-il le droit de sacrer ? Plus pertinent encore, un « usager » de l’État a-t-il le droit de sacrer ? Peut-il, lorsqu’il constate ce qu’il lui faut payer en impôt, lâcher quelques gros mots se terminant en « nak », « ment » ou « vaire » ?

La question n’est pas si bête. Le Québec peut-il vraiment se déclarer un État laïque tout en continuant de sacrer éperdument ? Après les signes vestimentaires, nous attaquerons-nous aux signes verbaux ? Aux signes invisibles mais audibles. À moins que le sacre fasse partie de nos valeurs distinctes.

Comme le dit si bien un citoyen enthousiasmé par le projet de loi sur la laïcité de la CAQ : « Le Québec est maintenant un État laïque en sacrament ! »

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