ÉDITORIAL ARIANE KROL

Cinq priorités en santé

Augmenter l’aide à domicile

Les besoins sont criants. Selon la Protectrice du citoyen, à peine la moitié des Québécois de 65 ans ou plus ayant besoin de services d’aide à domicile en reçoivent – et les aînés ne sont pas la seule clientèle mal desservie. Les tentatives de faire plus avec les ressources existantes ont donné lieu à des cas odieux où des patients dont les besoins n’avaient pas changé ont vu les heures auxquelles ils avaient droit réduites ou même éliminées. C’est non seulement inacceptable, mais aussi contre-productif, autant pour le système de santé que pour les proches aidants. Il faut en finir avec les beaux discours et s’organiser pour que les bottines du personnel suivent les babines des élus. Le gouvernement devra augmenter significativement les ressources allouées au soutien à domicile et s’assurer qu’elles se rendent bien sur le terrain.

Responsabiliser les régions

Le prochain ministre de la Santé héritera d’une concentration de pouvoirs sans précédent, vestige des mégafusions du printemps 2015. En effet, le ministre choisit aussi bien les PDG des centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS et CIUSSS) que leurs conseils d’administration. Cette centralisation extrême pouvait à la limite s’expliquer dans un contexte de transition, mais plus de trois ans après les fusions, elle n’a plus lieu d’être. Le gouvernement peut dicter des critères (expérience, qualifications, etc.), mais il doit créer un modèle de gouvernance plus sain où les membres du conseil sont mandatés pour veiller aux intérêts de la population de leur territoire et choisissent le PDG en conséquence. L’autonomie redonnée aux organisations devra toutefois aller de pair avec une obligation de résultats locaux. Évidemment, il y aura toujours des crises qui remonteront jusqu’au bureau du ministre – quand vous avez le privilège de gérer près de la moitié des dépenses de programmes du gouvernement, il faut faire avec.

Attirer et retenir la main-d’œuvre

Les fusions d’établissements, les restrictions budgétaires, le vieillissement de la population, les pénuries de main-d’œuvre et les priorités des nouvelles générations de travailleurs ont créé une tempête parfaite. Des établissements qui n’arrivent pas à recruter ou à retenir le personnel requis, des postes qui ne trouvent pas preneur, des employés qui désertent le réseau par frustration ou par peur d’y laisser leur peau, d’autres qui craquent sous la pression : Québec doit donner un sérieux coup de barre, sans quoi la situation va continuer à empirer au détriment des patients. Le système de santé doit redevenir un employeur attirant. On a beaucoup compté sur la conscience professionnelle du personnel soignant pour sauver la mise, mais on a oublié que leur dévouement vient d’un besoin : celui de prodiguer des soins adéquats. Cet élastique a été étiré jusqu’à la rupture. II est temps de redonner aux employés les moyens de s’occuper de leurs patients correctement.

Ouvrir des portes

Avoir accès à un physiothérapeute ou un ergothérapeute à la clinique plutôt que d’aboutir aux urgences, se faire vacciner par un pharmacien, être pris en charge par une infirmière en mesure d’exercer toutes ses compétences… Si on veut améliorer l’accès aux soins et réduire l’attente, il faut ouvrir des portes et ajouter des corridors. Ça s’est fait un peu, notamment avec les pharmaciens et les infirmières praticiennes spécialisées, mais bien trop timidement par rapport aux besoins. Le virage, on le reconnaît, est difficile à prendre, car il nécessite des tractations avec plusieurs corps professionnels, dont les médecins. Le gouvernement aurait intérêt à mettre la population dans le coup et à la rallier à sa cause – en canalisant la grogne contre les salaires vers un projet plus constructif comme celui-ci, par exemple.

Ressusciter le Commissaire à la santé

L’abolition du poste de Commissaire à la santé et au bien-être annoncée en 2016 a finalement été évitée de justesse au printemps dernier, après que le gouvernement Couillard eut retiré cette mesure de son projet de loi. Mais tout reste à faire. Cette fonction, en effet, est devenue un zombie sans titulaire, ni budget, ni personnel. Il faut afficher le poste sans tarder, car le besoin d’avis rigoureux et documentés, indépendants du ministre, des fonctionnaires et des groupes d’intérêts, est toujours aussi pressant. Le commissaire Salois a montré la pertinence de la fonction en s’attaquant à des sujets tabous comme le mode de rémunération des médecins, la procréation assistée ou la révision des services couverts par le système public. Son successeur aura l’embarras du choix. Le gouvernement pourra aussi lui demander de se prononcer sur des enjeux particuliers, mais surtout, il devra lui garantir une indépendance absolue afin que son travail demeure utile et crédible.

Et la CAQ…

... ne part pas de zéro, loin de là. Le document d’orientation publié au printemps dernier montre que le parti de François Legault a consulté, écouté et réfléchi. Plusieurs de ses mesures répondent, au moins en partie, aux priorités ci-dessus, ainsi qu’à d’autres enjeux incontournables. La CAQ, donc, a su poser de bons diagnostics. Le plus difficile reste à faire : administrer des traitements efficaces en assurant le suivi et les ajustements nécessaires. On l’a vu le 1er octobre : les électeurs n’accorderont pas nécessairement un deuxième mandat pour atteindre les résultats promis. L’ambition ne suffit pas ; il faut prioriser.

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