Journée sans diète

S’affranchir des régimes

De nouveaux régimes font leur apparition chaque année et nous font miroiter une silhouette parfaite. Malgré l’abondance de solutions prometteuses, aucune n’a toutefois fait ses preuves à long terme pour la perte de poids : la quasi-totalité des gens regagne le poids perdu et en gagne même davantage. À l’occasion de la Journée internationale sans diète, Pause se penche sur ce phénomène et vous présente des gens qui ont fait la paix avec leur assiette et leur corps.

Marie-Josée Dumont

S’aimer comme on aime

« J’ai essayé tout ce qui est tendance, de Montignac aux capsules de piment rouge, en passant par l’alimentation par les groupes sanguins », résume Marie-Josée Dumont, 44 ans, qui mesure 5 pi 2 po et pèse 291 lb.

Chaque fois, sa faim augmentait à l’idée même de suivre un régime. « Pour faire un régime, il faut toujours penser à manger. Ça devient une occupation à temps plein et une obsession, résume- t-elle. C’est trop de travail et c’est pas normal ! »

Marie-Josée reçoit beaucoup de commentaires sur son poids. On lui dit que c’est par souci pour sa santé. Elle s’y est habituée. « J’étais une petite fille bâtie et musclée. Je ne correspondais pas aux standards de féminité, alors on me disait qu’il fallait que je fasse attention. Je suis devenue une belle femme ronde qui ne s’aimait pas. »

Si elle a cédé à la pression de faire des régimes, ce n’est pas tant qu’elle se trouvait grosse, mentionne-t-elle, que par désir de plaire et pour faire taire les remarques sur son allure, son panier d’épicerie ou le contenu de son assiette.

Adolescente, elle a arrêté de manger le midi afin que son copain de l’époque n’ait pas à toucher ses bourrelets. « J’ai beaucoup maigri, et là, on me disait que c’était trop, que c’était laid », indique-t-elle.

« Finalement, ce n’est pas beau quand t’es grosse, ce n’est pas beau quand t’es mince, t’es jamais correcte. »

— Marie-Josée Dumont

Le déclic vers l’acceptation de son corps est venu plus tard, il y a sept ans, quand elle a vu ses filles adolescentes se trouver laides à leur tour. L’aînée a la silhouette de sa mère, alors que la plus jeune est mince. Toutes deux ont pourtant souhaité changer leur corps. « J’en ai eu assez de livrer une bataille contre moi-même, confie-t-elle. Je me suis dit que c’était correct de se trouver belle comme on est. On n’a pas besoin de tous se ressembler. »

Marie-Josée a choisi d’accepter son surplus de poids. « Souvent, les gens se demandent si c’est un laisser-aller ou de l’acceptation. Si t’es grosse, c’est forcément parce que tu te laisses aller. Mais je me suis toujours prise en main. »

Les régimes, la privation, le stress imposés à son corps sont choses du passé, assure-t-elle. « Quand je n’ai pas faim, je ne mange pas, quand j’ai faim, je mange, résume-t-elle. À un moment donné, quand tu fais ce qu’il faut et que ça ne marche pas, il faut que t’arrêtes de te cogner sur la tête. Tu ne vas pas te faire disparaître à moitié pour correspondre à un profil. »

Son corps s’est forgé au fil du temps, des grossesses, des émotions. Il est à son image : généreux, excessif, remarquable, comme elle le souligne. Ce changement de perspective est une façon, pour elle, de dire oui au bonheur, au plaisir, à la vie.

Sa grand-mère Édith ne faisait jamais allusion négativement à son corps, se rappelle-t-elle. Elle mesurait 4 pi 10 po, avait de petites jambes, un gros ventre bien rond et ferme, et une tétine sur le bord du nez. Elle reste pourtant une image de perfection pour Marie-Josée.

« Je sais que mon corps est aimable pour les autres aussi. Car j’aime moi-même le corps des gens qui m’entourent, qui sont, eux aussi, à l’image de leur vie, de leur histoire, de leurs choix… »

François Simard

Une question de compromis

Au tournant de la quarantaine, François Simard s’est lancé dans un régime afin de perdre les quelques kilos accumulés au fil des années. La naissance d’un troisième enfant, un rythme de vie effréné et des années plus « rock and roll » ont fait en sorte qu’il tournait les coins plus ronds pour son alimentation.

« J’étais fatigué, observe-t-il avec le recul. J’écoutais davantage mes émotions que ma raison en mangeant. » Les repas déjà préparés étaient également une solution facile pour gagner du temps. Ces mauvais plis ont fini par laisser leur empreinte, jusqu’à ce que François décide de prendre le taureau par les cornes.

Avec sa conjointe d’alors, il s’est tourné vers un régime protéiné, vendu comme un réaménagement de l’alimentation, qui incluait de l’activité physique et un suivi bimensuel par une coach. La méthode se présentait également avec une gamme complète de produits faibles en calories – substituts de repas, condiments, collations, desserts ou friandises.

« J’étais porté à chercher une solution drastique pour observer des changements rapidement. Oui, il y a eu des effets, mais c’est difficile de maintenir ce type d’alimentation sur le long terme », a-t-il pu constater.

Pendant cinq mois, François a suivi ce protocole à la lettre, quitte à ne pas prendre d’alcool et à recracher systématiquement les échantillons de vin qu’il doit tester pour son travail. « Ça se passait bien. J’ai perdu 50 lb et je me sentais mieux, convient-il. À un moment donné, c’est que tout ça finit par être contraignant et par coûter cher. »

Tranquillement, il a réintégré certains aliments qui lui étaient proscrits, et dans les six mois qui ont suivi, a repris 10 lb. Dix autres livres se sont ajoutées l’année suivante. « Je suis revenu au poids que j’avais avant d’engraisser. À ce moment-là, j’ai décidé de changer mon approche. J’ai consulté une nutritionniste afin de maintenir mon poids en fonction de mes besoins. »

« Quand je mange, j’ai pas envie de me poser vingt mille questions et de compter mes calories. Pour moi, manger et faire à manger sont des plaisirs de la vie. »

— François Simard

Cette réflexion au sujet de son alimentation lui a tout de même permis de revoir certaines habitudes : « Je n’arrêterai pas de boire du vin ou de manger des chips. Mais j’ai diminué le dessert. » Il fait également plus attention à la qualité des ingrédients qu’il choisit et qu’il cuisine lui-même, autant que possible.

« Si j’avais voulu garder le poids que j’avais après mon régime, il aurait fallu que je sois prêt à faire plus d’exercice et à surveiller mon alimentation de près. Ça dépend toujours des concessions que tu es prêt à faire. Moi, je n’ai pas cet intérêt. J’accepte donc de vivre avec les conséquences. »

Evelyne Caillé-Guibert

Changer son corps petit à petit

Enfant, Evelyne Caillé-Guibert était déjà obèse. À l’adolescence, elle se classait dans la catégorie des obèses morbides.

Parfois, elle se disait qu’on l’aimerait plus si elle était mince. Elle en conclut aujourd’hui que ça ne change rien. Evelyne peut en témoigner parce qu’elle a vécu dans deux enveloppes aux formats bien différents : son corps est en effet plus léger aujourd’hui de 100 lb.

« Je n’ai jamais essayé de faire de régimes. J’avais beaucoup de poids à perdre et je voulais atteindre un poids santé, mais ça me semblait trop difficile à atteindre. Je ne me sentais pas capable de me restreindre comme ça », raconte ce petit bout de femme de 5 pi 2. À défaut d’avoir cette « volonté », elle récoltait des tonnes d’information sur la nutrition et suivait avec fascination des histoires de perte de poids peu concluantes.

Sa propre métamorphose s’est amorcée il y a plus de six ans, à la suite d’une peine d’amour. « J’avais commencé à m’entraîner parce qu’au-delà de l’obésité, je n’étais vraiment pas en forme. Lorsque mon copain m’a laissée, je me suis retrouvée avec beaucoup de temps libre devant moi, se souvient la jeune femme de 34 ans J’étais donc contente de retrouver le petit réseau que je m’étais fait au gym. »

À 200 lb (elle en pesait 35 de plus au départ), Evelyne considère qu’elle était vraiment en forme. Beaucoup plus que certaines de ses amies qui étaient minces, mais qui avaient un mauvais cardio. « J’aurais pu rester telle quelle », estime-t-elle. Elle a toutefois décidé de poursuivre sur cet élan, et tant qu’à faire, d’utiliser ses connaissances en nutrition pour changer certaines habitudes alimentaires.

Écouter ses signaux de satiété et modifier ses portions en conséquence ont été significatifs dans cette perte de poids. « Je me suis rendu compte qu’entre “j’ai faim” et “je n’ai plus faim”, il y a un petit jeu : mon appétit n’est pas aussi grand que je le pensais. Mais je peux manger encore et encore avant d’être rassasiée. C’est quelque part là-dedans que je dois m’arrêter », estime-t-elle.

Évaluer les aliments qui en « valent la peine » est un autre comportement qui fait une différence pour elle. « Je fais de meilleurs choix et je choisis des aliments qui me plaisent. Si j’ai envie de manger du gâteau, je vais en manger. Mais pas à l’infini. Je vais peut-être aussi passer mon tour et m’offrir un beigne plus tard si c’est ce qui me rend plus heureuse », explique- t-elle. Car la bouffe reste encore ce qui lui procure le plus de bonheur dans la vie.

« C’est correct d’être gourmand. Si je mange alors que je n’ai plus faim, ce n’est pas la fin du monde. J’évite de dramatiser. »

— Evelyne Caillé-Guibert

Depuis cinq ans, son poids se maintient. Elle modère toutefois cette réussite. L’importance qu’on accorde au poids et la valorisation de la perte de poids l’étonnent toujours. Pendant cette année où son corps a fondu, elle aurait pu occuper son temps libre à écrire un livre, acquérir un nouveau talent, améliorer ses connaissances sur un sujet ou aider son prochain, ce qui aurait eu une plus grande portée, souligne-t-elle avant d’insister sur ce point : « Être plus mince ne fait pas de moi une meilleure personne. »

Pourquoi les régimes sont voués à l’échec

Trois spécialistes en alimentation nous en expliquent les raisons.

Le mur qui suit la lune de miel

L’euphorie qui accompagne le fait de voir dégringoler les chiffres sur le pèse-personne est de courte durée, constate Stéphanie Léonard, psychologue spécialisée dans les troubles alimentaires. Au bout d’un certain temps, l’état de privation entraîne des effets négatifs, sur le plan tant physique que psychologique : fatigue, carences, changements d’humeur, baisses d’énergie, dérèglement des signaux de satiété, frustrations, culpabilité. Un régime peut aussi exacerber les symptômes des personnes anxieuses ou dépressives puisqu’il affecte des neurotransmetteurs qui, comme la sérotonine, gèrent à la fois l’humeur et l’appétit.

Souvent, la quête du poids idéal devient obsessive. « Gérer son alimentation est déjà compliqué. Pour les personnes qui suivent un régime, c’est un travail à temps plein qui s’ajoute au reste », indique Stéphanie Léonard. La pesée, fréquente chez les gens qui sont au régime, alimente cette obsession et influe sur l’humeur. « C’est donner le pouvoir à un chiffre de bousiller son estime de soi. Sur le plan psychologique, ce sont des effets importants qui ne contribuent en rien à une image corporelle saine. »

L’effet yoyo

En situation de carence et de privation, le corps a le réflexe de se protéger contre une prochaine famine. « Il modifie son métabolisme pour diminuer sa dépense énergétique. Quand la personne recommence à manger normalement, elle prend du poids plus facilement », explique la nutritionniste Guylaine Guevremont.

C’est ainsi que certains s’engagent dans une ronde de régimes et dans une interminable bataille contre leur propre corps. Avec le temps, ils seront de moins en moins capables de retrouver leur poids de départ, prévient Stéphanie Léonard. « Seulement 5 % des gens arrivent à maintenir leur poids après un régime. Je ne sais pas pour vous, mais je ne trouve pas ça très vendeur. »

95%  

Proportion des gens qui perdent du poids, puis le reprennent – et parfois plus –, au cours des cinq années suivant une tentative de perte de poids 

— Association pour la santé publique du Québec (ASPQ)

Y a-t-il de bons et de mauvais régimes ?

Un régime plus draconien aura des conséquences plus néfastes, mais les effets, en fin de compte, sont semblables. N’importe quelle approche va donner des résultats à court terme, fait remarquer la nutritionniste Hélène Laurendeau, en donnant cet exemple : « Si tu coupes le gluten, tu vas perdre du poids. Pas parce que tu as coupé le gluten, mais parce que tu as coupé tes calories. Dans tous les cas, ce n’est pas viable à long terme », prévient-elle.

S’imposer des règles rigides quant aux types d’aliments qu’on consomme, éviter les situations sociales impliquant la nourriture, faire de l’activité physique pour contrôler son poids, diaboliser certains aliments, calculer les quantités d’aliments ingérés ou s’imposer de manger uniquement à des heures précises sont, à l’instar des diètes à la mode, des façons d’être au régime, souligne l’organisme ÉquiLibre dans le cadre de sa 11e Journée sans diète. « N’importe quelle restriction qu’on s’impose au niveau alimentaire est un régime, résume la nutritionniste Guylaine Guevremont. Souvent, les gens vont se faire croire que c’est pour la santé. Et c’est là qu’il faut être honnête envers soi-même. »

Vers une saine stratégie alimentaire

Avant même de chercher à perdre du poids, il y a lieu de se questionner sur ses motivations et sur le modèle de beauté qu’on nous propose. « La nature, on le sait, vient dans différents gabarits. Passer sa vie à priver son corps, ce n’est pas l’honorer », souligne Guylaine Guevremont. « C’est insidieux comme message, mais les gens ont l’impression qu’ils vont se sentir mieux et plus en confiance s’ils sont minces », estime pour sa part Stéphanie Léonard. Derrière ce message, il y a une industrie très lucrative qui a tout intérêt à alimenter nos insécurités, rappellent les deux intervenantes.

Plutôt que de partir de la taille des vêtements ou d’un chiffre sur la balance, on devrait s’interroger sur nos comportements, conseille la psychologue. S’alimente-t-on avec de bons aliments, à des heures régulières, dans les bonnes portions ? Sommes-nous à l’écoute des signaux de faim et de satiété qu’envoie notre corps ? « Notre objectif devrait être d’être en pleine possession de nos moyens. J’essaie de faire en sorte que les gens se connectent sur le fait d’être bien, plutôt que d’avoir l’air bien. »

S’interdire les interdits

L’interdit est attrayant. Plutôt que d’éliminer complètement certains aliments qu’on aime, mieux vaut apprendre à les apprivoiser. « C’est la dose qui fait le poison, rappelle Hélène Laurendeau. C’est normal de prendre plaisir à manger. On n’a pas à se sentir coupable de ça. » Développer une relation positive avec son assiette, c’est retrouver le plaisir de manger, de cuisiner, de choisir ses aliments et d’être ensemble. C’est retrouver le plaisir des sens, résume-t-elle. Et ce plaisir aide aussi à satisfaire l’appétit.

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