« Il y a un manque de compétences »

Au moment où les fausses nouvelles sont sur toutes les lèvres, La Presse a voulu prendre le pouls des jeunes Québécois sur la question. Un questionnaire de notre cru, conçu avec l’aide d’experts en éducation des médias, a été envoyé à 209 élèves du secondaire, du cégep et de l’université, un peu partout au Québec.

Notre démarche n’a aucune prétention scientifique et les résultats ne peuvent être extrapolés à l’ensemble des jeunes Québécois. Notre échantillon est mince, et ce sont des professeurs qui ont déjà un intérêt pour les médias qui se sont manifestés pour faire passer le questionnaire à leurs élèves.

Il reste que les réponses obtenues mettent au jour certaines lacunes qui avaient déjà été révélées par les experts.

« Plusieurs résultats confirment ce qu’on avait noté dans un sondage mené en 2014 auprès des jeunes Canadiens : il y a un manque de compétence et un besoin immédiat et très évident d’augmenter les habiletés en identification et authentification des données », commente Thierry Laplante, spécialiste en éducation aux médias pour Habilomédias, le centre canadien d’éducation aux médias et de littératie numérique.

Tour d’horizon de certains résultats intéressants.

La sagesse de l’âge

Notre échantillon laisse supposer que plus les élèves progressent dans leur parcours scolaire, plus ils jugent important d’être informés de ce qui se passe dans le monde.

« Ça traduit la maturation individuelle des gens, leur développement et leur sensibilisation citoyenne », commente Normand Landry, professeur à l’Université TÉLUQ et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en éducation aux médias et droits humains.

Selon l’expert, c’est à la fois l’âge et la scolarité qui expliquent cet intérêt croissant.

Pourcentage des élèves et étudiants qui jugent très important d’être bien informés de ce qui se passe dans le monde

Au secondaire : 34 %

Au cégep : 52 %

À l’université : 86 %

Le malaise Facebook

Facebook a essuyé un feu roulant de critiques au cours des derniers mois, de nombreux observateurs l’accusant de favoriser la propagation des fausses nouvelles et même d’avoir joué un rôle dans l’élection de Donald Trump aux États-Unis.

Après avoir fait la sourde oreille, le géant californien a réagi. Il collabore aujourd’hui avec des vérificateurs de faits pour signaler les fausses nouvelles. Au Canada, il s’est aussi allié avec le centre Habilomédia pour mieux éduquer les internautes.

Sans surprise, Facebook s’avère une plateforme incontournable pour les élèves qui ont répondu à notre questionnaire. Mais il n’a pas pour autant détrôné les autres sources d’information. Chez les élèves du secondaire et du cégep sondés, la télévision arrive même légèrement devant Facebook. Les journaux (toutes plateformes confondues) et la radio suivent de près.

Les sources d’information préférées des jeunes 

Au secondaire : télévision, Facebook, journaux, radio, YouTube

Au cégep : télévision, Facebook, journaux, radio

À l’Université : Facebook, télévision, journaux, radio

« C’est ce qu’on voit depuis 60 ans en sciences de la communication : ce n’est pas parce que de nouvelles formes de communication s’imposent qu’elles détruisent les anciennes, commente l’expert Normand Landry. Quand la télévision est arrivée, on a annoncé la mort de la radio. Quand l’informatique est arrivée, on a annoncé la mort de la télé. Mais ce n’est pas ce qui se passe. »

Si Facebook est massivement utilisé par nos répondants, il suscite cependant un malaise. Quand on leur demande d’évaluer la crédibilité de divers outils d’information, Facebook et YouTube arrivent loin derrière les autres. Et ce sont les médias traditionnels (réseaux de télévision et grands journaux) qui obtiennent les meilleures notes.

« Les élèves, peu importe leur niveau, sont au courant d’une problématique de fiabilité et de crédibilité envers Facebook. Cette sensibilisation est d’ores et déjà présente et je trouve ça intéressant », commente Normand Landry. Le spécialiste souligne cependant que ce n’est pas parce qu’on est au courant du problème qu’on résistera nécessairement à utiliser Facebook et qu’on remettra systématiquement en question ce qu’il nous propose.

Les sources jugées les plus crédibles 

Au secondaire : TVA, Radio-Canada, Le Devoir, La Presse

Au cégep : Le Devoir, La Presse, Radio-Canada

À l’université : Radio-Canada, Le Devoir, La Presse

Les sources jugées les moins crédibles 

Facebook et YouTube (ici, les élèves de tous les niveaux sont unanimes)

Chronique, édito, pub, alouette

Les médias traditionnels et sociaux diffusent de l’information. Mais ils servent aussi à véhiculer des opinions, à vendre des produits, à promouvoir des intérêts. Les jeunes Québécois se retrouvent-ils parmi toutes ces formes de communication ?

Pour le savoir, nous les avons bombardés de questions qui mélangent les genres. Premier constat : les élèves qui ont reçu des cours sur le sujet peuvent généralement distinguer une chronique, un éditorial et un article d’actualités. Pour les autres, ces distinctions sont souvent floues, y compris chez certains étudiants universitaires en journalisme de première année.

Invités à repérer l’élément qui les conduira vers une publicité sur la page web d’un journal (un dossier rédactionnel commandité par des universités), les élèves ont généralement bien répondu. Plusieurs ont expliqué avoir identifié l’élément par sa position et son allure plutôt que son contenu.

Les experts doutent cependant que les jeunes aient tous les outils pour toujours bien repérer la publicité.

« C’est une vraie problématique, dit Normand Landry. Historiquement, les médias ont privilégié une séparation aussi évidente que possible entre information et publicité. On voit à l’heure actuelle une tendance à l’effritement de cette distinction, à cause d’impératifs commerciaux et de pressions financières. »

Nos répondants voient généralement clair quand on leur demande si un communiqué de presse est objectif, ou encore si des témoignages élogieux envers le gouvernement publiés sur le site web du Parti libéral du Canada reflètent l’opinion de l’ensemble des Canadiens. Mais Thierry Plante souligne que les intentions des communicateurs sont parfois beaucoup plus difficiles à décoder que dans ces exemples, notamment parce qu’elles sont déguisées en information objective.

Pourcentage des répondants qui distinguent bien chronique, éditorial et article d’actualités

Secondaire : 47 %

Cégep : 73 %

Université : 69 %

Pourcentage des répondants qui ont bien identifié un élément qui conduit à une publicité sur une page web 

Secondaire : 66 %

Cégep : 82 %

Université : 88 %

Pourcentage des répondants qui jugent que le communiqué de presse de la CSN qu’on leur a présenté n’était pas objectif 

Secondaire : 68 %

Cégep : 85 %

Université : 100 %

Notre échantillon

En tout, 209 élèves et étudiants de trois niveaux de scolarité au Québec ont accepté gracieusement de répondre au questionnaire que nous avions mis au point. Voici la répartition de notre échantillon.

SECONDAIRE

28 élèves de 5e secondaire de l’école secondaire Monseigneur-Richard, à Verdun.

55 élèves de 4e secondaire de l’école secondaire Samuel-de-Champlain, à Québec.

42 élèves de 5e secondaire du collège de Mont- Sainte-Anne, à Sherbrooke.

CÉGEP

54 élèves en sciences humaines du collège Édouard-Montpetit, à Longueuil, qui ont reçu des cours d’éducation aux médias.

9 élèves en arts, lettres et communication du Cégep régional de Lanaudière, à L’Assomption, qui ont reçu des cours d’éducation aux médias.

UNIVERSITÉ

6 étudiants en 3e année en enseignement du français et de l’anglais langue seconde, Université de Montréal.

15 étudiants en journalisme à l’Université Laval, pour la plupart en première année du baccalauréat.

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