Éditorial : Médicaments génériques

Le pari du ministre Barrette

Le ministre de la Santé Gaétan Barrette doit annoncer aujourd’hui les détails de son appel d’offres visant à faire baisser le prix des médicaments génériques. Une aventure semée d’embûches, mais qui vaut certainement la peine d’être tentée.

La nouvelle a causé une onde de choc cette semaine. Après des mois de négociations avec les fabricants de génériques, le ministre a fait volte-face. Les prix seront plutôt déterminés par appel d’offres, a-t-il confirmé.

Le Dr Barrette sort ainsi l’arme ultime, créée il y a à peine un an avec la loi 81, dans le but de faire diminuer le coût des génériques remboursés par l’État.

De nombreuses comparaisons internationales l’ont démontré : au Québec comme dans le reste du pays, on paie nos médicaments d’ordonnance beaucoup plus cher que beaucoup d’autres pays industrialisés. Les génériques ne font pas exception. Les prix canadiens « excèdent considérablement » ceux de six autres pays comparables, indique notamment un rapport commandé par le Commissaire à la santé et au bien-être.

Le problème n’est pas l’absence de concurrence, mais le fait que celle-ci ne profite pas aux bons acteurs. Les fabricants donnent des rabais aux pharmacies, mais ceux qui assument le coût de ces médicaments (régimes d’assurance privés et publics, patients, contribuables) n’en profitent pas, a souligné le Bureau de la concurrence.

Or, les génériques prennent de plus en plus de place dans l’arsenal thérapeutique. D’une part, plusieurs médicaments largement prescrits ont vu leurs brevets expirer ces dernières années. D’autre part, Québec en a généralisé l’usage pour ses assurés, limitant les cas où le médecin peut exiger le médicament d’origine pour son patient. La facture des génériques remboursés par le régime public dépasse aujourd’hui 800 millions de dollars par an.

Quelles économies le ministre Barrette sera-t-il capable d’aller chercher avec son appel d’offres ? C’est la première inconnue.

La proposition déposée au début de juin aurait permis à Québec d’économiser 300 millions par an en moyenne, a indiqué l’Association canadienne du médicament générique (ACMG) dans un communiqué.

Les fabricants semblent donc prêts à lâcher pas mal de lest. Sauf que c’était dans le cadre d’une entente négociée, comme ils le souhaitent, et non par appels d’offres, mécanisme auquel ils sont farouchement opposés. De plus, les négociations n’étaient pas terminées : on ignore si les éléments restants auraient réduit la valeur des gains pour l’État.

Et l’argent est loin d’être la seule considération. On a vu les inquiétudes cette semaine (risques de ruptures de stock, médicaments plus sensibles, etc.). Elles ont été entendues lors de l’étude du projet de loi, assure-t-on au bureau du ministre. Les appels d’offres cibleront seulement des molécules pour lesquelles il existe au moins trois fournisseurs potentiels, et incluront des mesures pour éviter les ruptures de stock. Reste à voir si les fabricants joueront le jeu – une préoccupation majeure, assez pour que Québec écrive au Bureau de la concurrence du Canada, en lui demandant de rester « à l’affût ».

Les fournisseurs actuels pourront-ils vraiment se permettre de bouder les appels d’offres, mettant ainsi à risque leurs ventes et leurs 4100 emplois directs au Québec ? Les quelques expériences tentées par d’autres provinces ne nous éclairent en rien, car elles portaient sur quelques médicaments seulement alors que Québec promet des contrats pour un grand nombre de molécules. Non seulement les fabricants peuvent-ils difficilement faire une croix sur un tel marché, mais encore certains pourraient y voir l’occasion d’accroître leur part du gâteau.

Deux choses, au moins, ne font pas de doutes.

1. Le mécanisme que cherche à imposer Gaétan Barrette ne bousculerait pas seulement les fabricants, mais aurait aussi des effets sur les pharmaciens, les chaînes et enseignes et, probablement, sur les assureurs privés. On n’a donc pas fini d’entendre des scénarios alarmistes.

2. Si le ministre gagne son pari et réussit à récupérer une partie des marges actuellement réparties dans le système, d’autres provinces s’empresseront de l’imiter.

Ce n’est pas fait. On ne sait même pas si, dans le fond, Gaétan Barrette souhaite vraiment aller de l’avant ou si ces appels d’offres sont une tactique de négociation – une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête des fabricants de génériques pour les forcer à mettre un genou à terre.

Quelle que soit sa stratégie, ses résultats seront surveillés attentivement.

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