ÉDITORIAL SOCIÉTÉ

Les « bons » immigrants

Si l’on se fie à Jean-François Lisée et aux partisans d’une réduction des niveaux d’immigration, la capacité d’accueil du Québec est largement dépassée. Il faut donc moins d’immigrants, et il faut aussi de « meilleurs » immigrants, qui parlent français, qui sont mieux qualifiés, qui s’intègrent plus facilement.

Voilà une solution aux problèmes de l’heure qui a le mérite d’être simple, compréhensible, sans effort. Et sans impact sur l’économie non plus, paraît-il.

Une aubaine, donc, pour tout politicien en quête d’appuis, qui peut ainsi flatter le « nous » en montrant « l’autre » du doigt…

Et si le problème était ailleurs ? Et si, contrairement à ce que la droite identitaire nous répète constamment, le problème n’était pas le nombre d’immigrants qu’on veut intégrer… mais bien l’intégration de ces immigrants ? Et si le problème n’était pas la « capacité » d’accueil… mais l’effort d’accueil ?

Jean-François Lisée a raison de dire qu’il n’y a rien de tabou à s’interroger sur les niveaux des seuils d’immigration. Mais posons-nous toutes les questions, pas juste celles qui font notre affaire.

Il est trop facile de résumer l’immigration à une vulgaire équation économique (bon ou pas pour le PIB ?). Trop facile de nous disculper de toute responsabilité et de placer le fardeau sur celui que nous accueillons.

Les choses ne sont pas aussi simples, comme le prouve justement l’étude la plus souvent évoquée par les tenants d’une baisse de l’immigration. Ces derniers citent habituellement Le remède imaginaire (2011) pour minimiser les gains économiques de l’immigration, puis ajoutent du même souffle que le groupe CIRANO a confirmé les conclusions de ce dernier dans une importante étude (2014).

C’est vrai… en partie. L’étude des professeurs Brahim Boudarbat et Gilles Grenier indique bel et bien que « l’impact économique de l’immigration est probablement assez faible ». Mais les auteurs vont plus loin en ajoutant deux nuances qui semblent s’être perdues dans la polarisation du débat.

D’abord, il existe des études contradictoires sur l’impact économique de l’immigration : certaines font état d’effets neutres ou négatifs, alors que d’autres concluent à des impacts positifs. On est donc loin d’une conclusion sans appel.

Ensuite, le CIRANO précise que le problème n’est pas tant le nombre d’immigrants en soi que leur intégration. « Certaines études ont montré que, si les immigrants s’intégraient mieux au marché du travail, leur contribution à l’économie pourrait être beaucoup plus grande. »

« C’est dans cette direction, ajoutent les auteurs, qu’il faut travailler », non pas dans une réduction arbitraire des seuils d’immigration, comme le suggère Jean-François Lisée.

Et c’est là où les solutions sont soudainement moins simples, moins manichéennes. CIRANO suggère de favoriser une plus grande ouverture des employeurs par rapport à l’immigration, par exemple. De favoriser les immigrants qui ont de jeunes enfants. D’encourager l’esprit d’entreprise chez les immigrants. Ou encore de favoriser l’emploi des femmes immigrantes.

Il ne suffit donc pas de privilégier les « bons » immigrants qui parlent français ou qui viennent de « Bruxelles, Paris et Barcelone ».

Il faut aussi réduire la méfiance des employeurs québécois par rapport aux minorités visibles, augmenter les fonds de francisation, réduire les délais d’accès aux services de soutien, faciliter la reconnaissance des diplômes étrangers, etc.

Ces solutions sont moins attrayantes électoralement qu’une bête réduction du nombre d’immigrants, mais elles sont autrement plus prometteuses, en plus de faire appel aux devoirs des immigrants et de la société d’accueil.

Si l’intégration et la francisation posent problème, attaquons-nous à l’intégration et à la francisation, non pas à l’immigration.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.